La mode est-elle vraiment la deuxième industrie la plus polluante du monde ?
- Mode, deuxième industrie polluante : info ou intox ?
- Mode et pollution : l’abominable vérité
- Cinquième, deuxième ou troisième industrie la plus polluante ?
On le sait, ce n’est plus un scoop. Contrairement à ce qui a pu être dit, lu ou entendu à travers tout ce qui ressemble de près ou de loin à un média, les réseaux sociaux en tête, la mode n’est pas la seconde industrie la plus polluante au monde derrière celle du pétrole. Pourtant, on ne va pas se mentir, c’est une vérité que l’on prenait jusqu’à très récemment pour acquise, sans jamais avoir envisagé de remettre sa pertinence en question.
Ça sonnait bien, ça semblait vrai, et ça avait le mérite de surfer sur un air du temps qui aime faire de la mode le bon gros méchant. Mea culpa : on a nous même pu la colporter ci et là. D’ailleurs, même des grands noms du journalisme anglo-saxon comme The Guardian ou The Fast Company ont été pris en flagrant délit de relais de cette info non vérifiée, à laquelle ils ont offert – certainement sans le vouloir – un surplus de crédibilité.
Si vous nuancez cette affirmation, vous allez être accusé de prendre la défense de l’industrie de la mode.
En France, ce sont carrément des hauts-fonctionnaires comme Brune Poirson, secrétaire d’Etat à la transition écologique, qui ont pu déclarer à la radio début 2020 que, oui, oui, l’industrie textile est la seconde industrie la plus polluante de la planète. Or, comme l’a souligné le Journal du Dimanche (JDD) après cette intervention, ou le New York Times (NYT) deux ans plus tôt, ceci est absolument faux.
Mode, deuxième industrie polluante : info ou intox ?
Et c’est Jason Kibbey, directeur général de la Sustainable Apparel Coalition, qui le dit dans les colonnes du célèbre quotidien américain. « Factuellement, ce n’est pas vrai. » avait-il en effet précisé à la journaliste star Vanessa Friedman dans son article de 2018. Et pour cause, comme le précise le JDD en date du 23 février dernier, l’information serait impossible à vérifier, le classement auquel cette fameuse « seconde place » fait référence se révélant en réalité… introuvable.
L’Alliance pour la mode durable, institution initiée au printemps 2019 par l’ONU, dément l’information et pointe du doigt Eileen Fisher, une créatrice de mode américaine qui aurait été la première à colporter la rumeur en 2015, dans une interview donnée par le site OneGreenPlanet.
Interrogée par la suite par le New York Times la designer s’était défendue en affirmant qu’elle tenait cette information de « The True Cost », ce fameux documentaire réalisé en 2015 par Andrew Morgan qui lève le voile sur les conditions de travail effroyables des ouvriers sous-traitants de la fast-fashion.
Problème ? Le dit-réalisateur affirme quant à lui avoir tiré cette donnée d’une conférence de 2008 organisée par le Copenhagen Fashion Summit sur la mode durable, qui lui-même a puisé l’information dans un rapport du cabinet de consulting Deloitte, un rapport dont l’existence reste aujourd’hui obscure. Bref, difficile de remettre la main sur la source de ce qui est aujourd’hui considéré comme l’une des plus grosses « intox » de l’industrie textile.
Mode et pollution : l’abominable vérité
Persiste toutefois la question suivante : comment une information si vague, si approximative, a-t-elle pu être tant montée en épingle et élevée au rang de vérité générale ? Selon Vanessa Friedman du New York Times, c’est du côté de la nature humaine et de ses penchants pour les énoncés simplistes qu’il faut se tourner.
« Les gens sont tombés dans le panneau pour les mêmes raisons que pour lesquels ils se laissent avoir par d’autres contres-vérités : accusations attrayantes, une manière de jouer avec tous les préjugés qui existent autour de cette industrie, de sa culture du jetable à son art d’assouvir tous ses plaisirs. » suggère-t-elle dans son article.
La moitié de l’impact est due à la production mais on oublie aussi la moitié de la pollution liée au consommateur.
De plus, comment imaginer contester une affirmation qui, au-delà de son aspect vindicatif séducteur, part de la louable intention d’inciter une industrie mondiale à radicalement changer et troquer le pire pour le meilleur ? « Si vous nuancez cette affirmation, lors d’une conférence par exemple, vous allez être accusé d’être négatif ou de prendre la défense de l’industrie de la mode. » souligne Alden Wicker, fondateur du site EcoCult.
En bref, remettre en question ces propos, c’était jusqu’à présent se faire l’avocat du diable et rejoindre le côté obscur de l’Empire modeux. Mais ça, c’était avant. Car depuis l’enquête du quotidien new-yorkais, forcément, tous les acteurs susmentionnés ont depuis rétro-pédalé, optant pour des déclarations bien plus tièdes et laconiques, du type « la mode est l’une des industries qui requiert le plus de ressources au monde. » Merci pour l’info : on aurait pu deviner.
Cinquième, deuxième ou troisième industrie la plus polluante ?
Et pour cause, les chiffres sont là. Qu’elle soit la 2e ou la 8e industrie la plus polluante du monde, la mode n’en reste pas moins extrêmement dangereuse pour la planète et ceux qui l’habitent. « Si l’on regarde les émissions des gaz à effet de serre, le textile est classé cinquième plus gros émetteur. Si l’on considère l’occupation des sols, elle est seconde. En consommation d’eau et de matière, elle est troisième. » résume Erwan Autret, ingénieur à l’Agence de l’environnement (Ademe), dans une interview au Parisien.
« La moitié de l’impact est due à la production mais on oublie aussi la moitié de la pollution liée au consommateur : parce qu’il achète trop, parce qu’un tiers seulement (36 %) des vêtements partent dans les bons bacs et peuvent ainsi être valorisés, parce qu’il consomme beaucoup d’eau en lavant son linge… », souligne-t-il.
Nous avons besoin d’être alarmiste, sinon on va juste couler avec le Titanic
Selon les cabinets McKinsey et Qantis, près de trois cinquième de nos vêtements finissent ainsi dans un incinérateur ou une décharge dans l’année même qui suit sa production. Autant de données ahurissantes qui finalement se compilent plutôt bien sous l’étiquette « seconde industrie polluante du monde. » « Nous avons besoin d’être alarmiste, sinon on va juste couler avec le Titanic. » relativise Fisher au sujet de cette polémique sémantique.
Pour la designer américaine, peu importe le niveau de toxicité de la mode, seuls comptent aujourd’hui la prise de conscience et le passage à l’action, quitte à ce qu’on y aille un peu fort sur la stigmatisation du secteur. Ou quand la gravité des maux justifie que l’on sorte les grands mots.
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