Un chien sinon rien !

Outre-Manche, on les appelle les « lockdown puppies« . En mars 2020, alors que les portes se ferment sur des foyers livrés à eux-mêmes, à Netflix et à des après-midis passées à assembler des puzzles, l’idée surgit. Celle de faire un nouvel enfant ? Non, car contrairement aux prévisions, le baby-boom du confinement n’a pas eu lieu (on enregistre une baisse de 1,8 % de la natalité en 2020 (1).

Mais alors, que faisaient ces couples dans leur chambre ? Ils cherchaient désespérément… un chien, comme le confirme Adrien Magdelaine, cofondateur de Wamiz, le site des animaux de compagnie qui a vu les audiences de sa rubrique « Adoptions » doubler entre avril et mai.

Des élevages dévalisés

À la même période, la SPA lance un appel. Fermeture oblige, elle met en place le dispositif d’adoption solidaire qui permet de remplir sa candidature en ligne et de venir chercher son animal sur rendez-vous. « On a eu 27 000 demandes en cinq jours, se souvient Jean-Charles Fombonne, son président. D’habitude, on a 3 500 adoptions par mois ! » « Il y a eu une sensation de rupture sociale et, du coup, une fantasmatique autour de l’animal, ce compagnon qui aurait permis aux gens de ne pas être seuls », explique Victoria Herrmani, psychologue clinicienne (2).

Portés par les réseaux sociaux qui pullulent alors de posts canidés trop mimi, mais aussi par le fait d’avoir du temps chez soi et l’opportunité d’une case à cocher sur leur attestation de sortie, les Français·es confiné·es veulent un chien. Alors, lorsque les portes rouvrent, c’est la ruée. Simoné et son compagnon, qui mûrissaient le projet depuis longtemps, foncent à la SPA. Valérian et Valérie, qui ont passé deux mois d’inactivité forcée à envoyer des mails, vont chercher Ice, à Montpellier.

On a eu 27 000 demandes en cinq jours, (…) D’habitude, on a 3 500 adoptions par mois !

Quant à celles et ceux qui veulent un chiot, problème : les éleveurs ont été pris de court par cet afflux soudain d’amour canin. « Il y a une pénurie des chiens de race, explique Adrien Magdelaine. Les gens les réservent six mois à l’avance, il y a des listes d’attente ahurissantes. » Amandine, qui a eu le plus grand mal à trouver son jack russel, confirme. Idem pour Julie : « On cherchait un golden à poils longs, il n’y en avait plus nulle part. Par un copain, on a miraculeusement eu le numéro d’un éleveur à qui il restait deux chiots. »

Un coût financier important

Depuis, entre confinements, déconfinements et couvre-feu, ces quatre foyers, comme tant d’autres, gagatisent en mode congé canin. Au point de considérer cette arrivée comme celle d’un enfant. Mais « traiter un animal comme un bébé, c’est une hérésie, explique Muriel Alnot, psychologue pour animaux. Un chien reste un animal primitif. Il a besoin d’un cadre. Dans le cas d’achats ‘coup de cœur’, il y a le risque de s’en tenir au doudou transitionnel sans passer par l’éducation. Alors, l’animal surinvesti peut devenir agressif, et les maîtres désireux de s’en séparer ».

« On a pas mal regardé sur Internet, raconte Amandine. On lit tout et son contraire, entre l’ancienne méthode et la nouvelle éducation bienveillante. Alors, on a pris un dresseur. C’est un super accélérateur. » Et un sacré budget, auquel ont aussi cédé Julie et Éric, comme Valérie et Valérian, soucieux de leur compagnon de sept ans passé de la campagne aux rues du 16e parisien. Vaccins, psy, médaille, biscuits, joujous… pour leur chien, rien n’est trop beau.

Il y a une pénurie des chiens de race, explique Adrien Magdelaine. Les gens les réservent six mois à l’avance, il y a des listes d’attente ahurissantes.

« Les Français ne sont pas encore au niveau des Anglais ou des Américains, qui peuvent craquer pour une laisse en diamants, mais leurs dépenses augmentent chaque année, observe Adrien Magdelaine. Le secteur marche très fort. »

Câlins, balades, dodo

Car en créant du lien à l’intérieur mais aussi en dehors du foyer, le chien répond à un besoin émotionnel plus prégnant que jamais. « En famille, on se rassemble à nouveau, raconte Amandine. C’est un sujet d’émerveillement, de jeux, aussi. » Et de sociabilisation, comme l’explique Julie, qui s’est fait plein de nouveaux potes dans son pâté de maison. « On croise toujours les mêmes personnes, alors on se parle. »

Même son de cloche chez Simoné, qui discute avec les « petites mamies du quartier » qui fondent devant Pierrot, comme les 1 700 abonnés de son compte Insta. « Même mon vétérinaire le suit ! explique-t-il. Et d’autres chiens du quartier. C’est mignon, on les regarde grandir. » Amandine, elle, essaie d’intégrer un groupe WhatsApp de maîtres des Buttes-Chaumont qui se rancardent sur les parcs « dog friendly ».

En couple, on s’en occupe énormément le week-end. On fait des choses qu’on ne faisait jamais avant.

Car marcher des kilomètres, leurs nouveaux BFF en ont besoin, comme leurs maîtres encrassés par des mois de sédentarité. « Avec le télétravail, parfois le compteur de l’iPhone indiquait 13 pas dans la journée ! », confirme Simoné. « Ça structure, j’aime ce nouveau rythme, constate Valérie, ancienne grosse dormeuse. En couple, on s’en occupe énormément le week-end. On fait des choses qu’on ne faisait jamais avant. »

La crainte du retour à la normale et des vagues d’abandons

Parce qu’on a le temps et l’horizon partiellement bouché, « c’est la période idéale pour une adoption », approuve Muriel Alnot, qui s’inquiète toutefois du retour à la vie normale. « Si on n’a pas travaillé sur cette séparation, ça va être compliqué », explique-t-elle. La reprise du présentiel, une perspective qui angoisse Amandine : « Je réfléchis à demander du télétravail, à l’emmener au bureau. » Ce que font déjà Simoné et son compagnon avec Pierrot, habitué de la machine à café.

Mais quid de la perspective de pouvoir à nouveau voyager ? Si beaucoup craignent une grosse vague d’abandons, les professionnels veulent croire à un changement des mentalités. En 2020, leur nombre a diminué de 14 % (3) dans un pays pourtant connu pour sa propension à laisser Toby sur le bord de la route. Et puis, le 27 janvier dernier, une loi a été votée qui interdit la vente de chiens et de chats en animaleries d’ici 2024.

On a décidé qu’on ne voyagerait qu’avec lui, dit Simoné. On est plutôt campeur de toute façon.

Une manière d’en finir avec ces achats d’impulsion qui font balancer un chiot mignon dans le caddie sans penser au lendemain. « Quand ce sera acté, ça changera pas mal la donne, se réjouit Jean-Charles Fombonne. Je suis optimiste. » « On a décidé qu’on ne voyagerait qu’avec lui, dit Simoné. On est plutôt campeur de toute façon. »

« Comme elle est petite, on peut la prendre par tout », s’enthousiasme Amandine. Quant à Valérie, l’été dernier, elle a testé une première séparation en laissant Ice en pension, chez HEC, comme Hautes Études Canines… L’occasion de couper le cordon (sanitaire), et de booster plus encore un business plus si niche.

1. Insee, 2020.

2. 50 exercices de thérapies avec les animaux, éd. Eyrolles.

3. Chiffres SPA.

  • Covid-19 : des chiens renifleurs entraînés à détecter la maladie
  • Une vie de chien, oui, mais pas sans style

Corentin, Simoné et Pierrot, 12 ans

Marie Claire : Quelle est votre histoire avec les chiens ? 

Simoné : Avec ma mère et ma sœur, on a toujours eu des chiens. En arrivant à Paris, je me suis dit que ça n’était pas raisonnable. Mais en m’installant avec Corentin, je savais qu’un jour on en aurait un.

Et pourquoi un « vieux » ?

On voulait donner sa chance à un vieux chien. Au refuge d’Orgeval, on est tombé sur Pierrot, en boule dans sa cage. Il était si mignon.

Qu’est-ce que ça a changé ? 

On se lève plus tôt. Puis, la relation avec un animal, pour un couple qui est H24 ensemble depuis six mois, ça apporte beaucoup.

Il a son compte Insta…
Avec un chien, on devient gaga. J’ai préféré lui faire un compte pour ne pas spammer tout le monde. Les gens disent que ça leur fait du bien !

Valérien, Valérie et Ice, 7 ans

Marie Claire : Pourquoi être passé par le don ?

Valérie : Valérian voulait le kif de prendre un chiot mais, pour en avoir eu, je lui ai expliqué que c’était un travail de dingue. La SPA a retoqué notre dossier faute de jardin. Je suis tombée sur le site « Chiens à donner » puis sur Ice, dont la famille, en cours d’expatriation, ne pouvait pas l’emmener.

Comment se sont passés les présentations ?

On s’est beaucoup parlé au téléphone avec son précédent maître. S’il était agité les premiers temps, il s’est vite acclimaté. On a vu une psy qui nous a aidés. On lui donne beaucoup d’attention, qu’il n’avait pas forcément avant.

Qu’est-ce que ça a changé dans vos vies ? 

Tout ! Il est toujours heureux, ne te juge pas, c’est un bonheur, même de le sortir quand il fait – 3 °C. J’ai toujours été une folle des chiens. Et Valérian, qui n’avait eu qu’un chat, passe des heures au parc canin !

Amandine, Vivienne, Vincent et Gigi, 5 mois

Marie Claire : Quand vous est venue l’idée d’adopter un chien ? 

Amandine : On avait craqué sur celui d’une copine l’année dernière. Au deuxième confinement, on s’est dit que c’était le moment, parce qu’on était tous à la maison, avec cette envie de resserrer les liens familiaux. QUI LA SORT ? Beaucoup moi. Vincent le soir. Les filles dans la journée.

Que n’aviez-vous pas forcément anticipé ?

Le budget. 150 € de vétérinaire par mois, le dresseur à 90 € la séance, l’opération de stérilisation. Et puis, comme on culpabilise d’habiter en appartement, on lui achète plein de trucs.

Qu’est-ce que ça a changé dans votre vie ?

On a appris plein de choses, découvert tout un nouveau monde, fait des rencontres et puis on a un super argument pour emmener les filles à la campagne le week-end (la grande commençait à traîner les pieds…). nouveau rythme, constate Valérie, ancienne grosse dormeuse. En couple, on s’en occupe énormément le week-end. On fait des choses qu’on ne faisait jamais avant. »

Julie, Éric, Tim, Noam et Reh Hot, 6 mois

Marie ClaireQuand vous est venue l’idée d’adopter un chien ? 

On a longtemps habité à Dubaï, où les animaux ne sont pas du tout appréciés. On avait promis aux enfants que si on repartait, on aurait un chien. Pendant le confinement, en France, on a pris le temps de chercher.

Comment s’est passé son arrivée ? 

Quand on a su que c’était bon, il avait deux semaines, et les yeux encore fermés. Ensuite, j’ai appelé l’éleveur toutes les semaines jusqu’à son arrivée ! Je ne laisse plus traîner mes chaussures, et notre tapis et les pieds de chaise aussi ont dégusté, mais tout s’est super bien passé.

Que n’aviez-vous pas anticipé ? 

Pas grand-chose, j’ai déjà eu un chien. Et puis on est près d’une forêt, donc tout est simple. Mais j’avoue qu’avoir des sacs à caca dans son sac à main, c’est un grand moment de solitude…

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