Troubles du comportement alimentaire : quand la balance pèse lourd sur le mental des athlètes

  • Un suivi constant qui peut créer des troubles physiques et psychologiques
  • Le poids du stress et des compétitions
  • Les dangers d’un contrôle excessif de l’alimentation chez les athlètes
  • Poids, sport et après-carrière

Aux Jeux olympiques de Londres, en 2012, Anne Kuhm est la benjamine de l’équipe de France olympique. La gymnaste de 15 ans, sacrée championne de France cette année-là, souffre de troubles du comportement alimentaire (TCA).

Pendant plusieurs années, elle s’impose d’importantes restrictions. Elle mange moins, compte les calories, élimine les féculents et contourne les repas. « Je pensais qu’une gymnaste devait être fine, légère et belle à regarder. Ça me semblait normal d’être autant dans le contrôle, c’était un sacrifice comme un autre pour une athlète », se souvient-elle.

« J’entendais les entraîneurs à l’INSEP dire aux grandes : ‘t’es une grosse vache, t’as les fesses trop lourdes, tu as raté cette compet’ parce que tu es trop grosse’. C’était humiliant ! J’avais peur que ces remarques se retournent vers moi, alors j’essayais d’anticiper avant que mon corps change à la puberté. »   

Lorsqu’elle prend conscience de sa pathologie, elle veut en parler, mais elle a peur des réactions.

« En France, c’est un sujet encore tabou », déplore la gymnaste. Alors qu’elle est la première française à évoluer en NCAA, le championnat universitaire américain, elle commence un suivi psychologique entre 2017 et 2019. De l’autre côté de l’Atlantique, la parole se libère progressivement autour des problèmes de santé mentale des athlètes.

À son retour en France, après une hospitalisation, elle publie un livre en mai 2022, A la recherche de l’équilibre, pour “briser un tabou” et “montrer aux personnes atteintes de TCA qu’elles ne sont pas seules”.   

Un suivi constant qui peut créer des troubles physiques et psychologiques

Les athlètes suivent des régimes alimentaires constants, qui peuvent être dangereux pour leur santé, physique comme mentale.

Récemment, la tenniswoman française Caroline Garcia s’est confiée publiquement sur ses “crises de boulimie”, qui ont accompagné ses moments d’angoisse la saison passée. “Je me réfugiais dans la nourriture […] Manger m’apaisait pendant quelques minutes. On sait tous que ça ne dure pas, mais… C’était une échappatoire. C’est incontrôlable”, se livre la numéro une française à L’Équipe, début janvier, avant d’entamer une nouvelle saison au 4e rang mondial.

En 2017, Amandine Buchard, vice-championne olympique de judo, a été l’une des premières à aborder ses problèmes de santé liés à son poids. Être au bon poids dans sa catégorie, -48kg à l’époque, pour les pesées post-compétition était devenu “une torture”. Sur la fin, je devais perdre 7 à 8 kg. Au quotidien, je ne mangeais, ni ne buvais, pratiquement pas. Je courais avant et après les entraînements, parfois même en pleine nuit”, confie-t-elle au Parisien.

À Tokyo en 2021, particulièrement émue sur le podium, elle se pare finalement de l’argent olympique, en -53 kg.

Le poids du stress et des compétitions

Un récit que corrobore une autre judokate française, Blandine Pont, championne de France. « Moi ma catégorie, c’est -48 kg alors que mon poids est de 53,5 kg. Avant une compétition, c’est plusieurs jours de privation, un effort difficile qui occupe tout mon esprit », confie-t-elle.

Dans les sports à catégorie de poids comme le judo, la boxe ou encore la MMA, la pesée est la première partie de la compétition et peut-être la plus cruciale. Elle donne accès aux épreuves.

« Psychologiquement c’est difficile de devoir se restreindre constamment alors que notre corps est aussi en demande d’énergie pour s’entraîner, explique-t-elle. Être judokate, c’est vivre une sorte de yo-yo permanent”.

Dans les couloirs de l’INSEP, “combien tu pèses ?”, “tu as combien à perdre ?”, sont des questions récurrentes. 

Avant une compétition, c’est plusieurs jours de privation, un effort difficile qui occupe tout mon esprit.

Dans l’ombre, les athlètes sont nombreux à dépeindre une lutte interne, où le corps et l’esprit sont sans cesse tiraillés. Alors que la santé mentale devient un sujet majeur dans le sport de haut-niveau, ils ont désormais recours à des psychologues, diététiciens ou nutritionnistes pour les aider dans leur quotidien.

Blandine Pont est accompagnée par une psychologue préparatrice mentale, avec qui elle aborde son rapport à l’alimentation et le regard qu’elle pose sur son corps.

« Ca m’est arrivée d’être complexée par mon corps et d’avoir une vision déformée de celui-ci. Mais il faut apprendre à vivre avec, ça fait partie de notre sport, témoigne-t-elle. En parler m’aide à mieux aborder les compétitions et à être bien dans ma vie ».  

Les dangers d’un contrôle excessif de l’alimentation chez les athlètes

Pour Cécile Giornelli, nutritionniste, spécialisée en sport de combat, la nutrition est devenue fondamentale dans la préparation d’un.e athlète. « La performance se joue à pas grand chose. Techniquement, ils sont tous aussi bons les uns que les autres, la nutrition peut être un ajustement en plus pour mettre les sportifs dans les meilleures conditions », relate la spécialiste.

Dans leur course contre les kilos, les athlètes doivent veiller à ne pas tomber dans le contrôle excessif de leur nourriture. « S’il y a eu une vraie prise de conscience sur les bienfaits de l’alimentation sur les performances, il y a encore trop de « légendes ». Surtout dans les sports de pesée, qui exigent des pertes de poids brutales. Si on ne connaît pas les bonnes pratiques et si on n’est pas suivi, on peut très rapidement basculer vers des TCA ».

 Selon Anne Kuhm, prévenir est nécessaire, car tous « n’ont pas conscience des conséquences néfastes sur la santé ».

« De nombreux sportifs ont répondu à mon livre et je me suis rendue compte que c’était un réel problème. Il faudrait mettre en place un suivi pour que ça cesse, pour plus de performance et moins de blessures. Il faut mieux prévenir que guérir », argue-t-elle.

Poids, sport et après-carrière

Si la balance est un enjeu crucial pendant leur carrière, elle a aussi des conséquences sur leur vie d’après.

« Pour les athlètes qui ont fait des régimes toute leur vie, quand ils arrêtent brutalement les entraînements et relâchent le contrôle de leur alimentation, c’est très dur d’accepter les changements sur leur corps, décrit Cécile Giornelli. Certains le vivent très mal », explique la nutritionniste spécialisée en sport de combat.

Depuis qu’elle a mis fin à sa carrière, Anne Kuhm a délaissé les tapis de gymnastique. Elle confie « aller mieux », sans dire être guérie : « Je suis toujours suivie. Je sais quelles sont mes faiblesses et je travaille dessus, c’est un apprentissage constant. »

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