Tako Tsubo : quand le stress nous brise le coeur

« J’avais l’impression de m’effondrer, comme un immeuble bourré d’explosifs qui retombe sur lui-même dans une avalanche de parpaings ». Cette sensation, c’est celle que Danièle Laufer a ressenti le 13 février 2014 lors d’une altercation avec une collègue, et qui va l’amener à faire un Tako Tsubo. Plus connue sous le nom du « syndrome du cœur brisé », cette pathologie impressionnante, principalement causée par le stress, se manifeste par des symptômes s’apparentant à ceux d’un infarctus.

Dans un livre-enquête, Tako Tsubo, un chagrin de travail*, elle met en lumière ce mal, ses conséquences sur la santé et pose la question du stress dans le monde impitoyable du travail. Rencontre.

Atteinte en plein coeur

Journaliste dans la presse féminine, Danièle Laufer se dit « habituée à vivre en état de choc au boulot ». Pourtant, il y a trois ans, lorsque l’une de ses collègues l’invective sans raison devant un parterre de témoins préférant appliquer la politique de l’autruche, elle voit son niveau de stress atteindre ses limites. Cette « violence gratuite » dit-elle, à laquelle elle ne s’attendait pas, l’atteint en plein cœur. Littéralement.

J’ai vraiment pensé que j’allais mourir. C’était surréaliste.

Rythme cardiaque qui s’emballe, taches noires qui apparaissent devant ses yeux, mots qui s’emmêlent dans sa tête… Quelques jours plus tard, alors qu’elle est encore bouleversée par cet épisode, Danièle croit faire une crise cardiaque ou un AVC : « J’ai vraiment pensé que j’allais mourir. C’était surréaliste », nous confie t-elle. Hospitalisée, le diagnostic tombe : elle fait un Tako Tsubo. Elle passe alors deux jours en soins intensifs et rentre chez elle.

Un coeur brisé par un chagrin de travail

S’en suivent un long arrêt maladie, des antidépresseurs et un épuisement physique et mental qui la coupent du monde extérieur. Pour elle, inutile d’aller chercher la coupable bien loin : c’est son entreprise qui a déclenché son Tako Tsubo.

Aujourd’hui, lorsque vous tombez malade, c’est vous le responsable de votre maladie. Il faut avoir l’air fort, s’adapter.

« Je définirais ce qui m’est arrivé comme un énorme chagrin de travail », analyse t-elle. À son retour, sa hiérarchie et ses collègues ne comprennent pas son mal-être. Pire, ils minimisent sa pathologie. Elle prend trop les choses à coeur, en fait trop selon eux. « Cette espèce d’individualisme triomphant me chagrine. Aujourd’hui, lorsque vous tombez malade, c’est vous le responsable de votre maladie. Il faut avoir l’air fort, s’adapter ». Un ultime affront pour celle qui espérait recevoir un peu de compassion après sa convalescence.

Les conditions ne s’arrangent pas et obligent Danièle à s’arrêter une nouvelle fois. Puis elle reprend le chemin du bureau, encore. Pourquoi s’infliger une telle épreuve à nouveau ? « Je suis incapable de le dire. Je pense qu’il y a peut-être une part d’honneur, ce qui peut paraître irrationnel. Ma petite voix intérieure me disait qu’il fallait que je m’en aille et je suis restée car malgré tout, j’aimais mon métier. » Danièle ne parle pas de harcèlement ou de burn-out, « juste de conditions de travail qui minent » et qui ont été la source de ce stress hors norme. 

Une nouvelle vie loin du stress de l’entreprise

Aujourd’hui, la peur d’une récidive est toujours très présente dans l’esprit de Danièle : « Dès que j’ai le cœur qui cogne trop fort, ou que j’ai mal à la tête, j’ai très peur. Je me fais faire un électrocardiogramme et une échographie cardiaque une fois par an. Je me sens encore fragile. » Pour elle, une chose est sûre, il n’est plus question de revivre une telle épreuve. « Je sais que je ne supporte plus le stress. J’ai eu une overdose. Dans les situations trop difficiles, maintenant je m’en vais. »

Danièle a fini par dire au revoir au travail en entreprise, à ce système avec ses codes, sa hiérarchie, ses open space, vases clos dans lesquels les employés finissent pas étouffer et s’éteindre à petit feu. « Il y a quelque chose de sournois, de violent, d’anormal dans le monde du travail. Une infantilisation, une indifférence de la part de la hiérarchie et une impression de ne pas compter. Et ça rend les gens malade », regrette-t-elle. Elle travaille désormais en freelance, dans son appartement, et pratique le yoga plusieurs fois par semaine.  

Une nouvelle vie à laquelle elle prend goût : « J’ai l’impression de revivre depuis que je suis partie. Je suis fragile, mais plus forte car j’ai résiste à tout ça. Je n’ai pas envie d’être considérée comme une victime. Je me considère comme une guerrière. Je me suis battue. »

Un cri d’alarme qui n’a rien de romantique

Elle qui se définit comme une personne « sans doute trop idéaliste » avoue qu’elle ne savait pas « que l’on pouvait autant souffrir au travail. Qu’est-ce que j’ai pu verser comme larmes pour lui ! » Hypersensible ? Oui, et elle assume.

« Je revendique une sensibilité qui me paraît fondamentale pour vivre ou aimer. C’était trop, je ne pouvais plus, j’ai sans doute surestimé mes forces. Au fond, je pense qu’il y a des gens qui supportent mieux le stress que d’autres, et c’est problématique dans notre société. » Danièle souhaite interpeller celles qui, peut-être, se trouvent dans la même situation. « Ce livre est un cri d’alarme. Je pense que lorsque l’on est malheureux dans son travail, ça fait du bien de penser que l’on est pas seul. Les gens doivent prendre conscience que le bien-être est important, que ce n’est pas juste un mot et il faut que les entreprises veillent sur leurs employés. Nous avons besoin de mettre du sens dans ce qu’on fait, d’avoir des rapports humains normaux. »

Et de conclure : « C’est insupportable d’être juste un maillon de la chaîne. »

Le Tako Tsubo en quelques mots

Le Tako Tsubo (ou syndrome du cœur brisé) est une pathologie cardio-vasculaire aigüe décrite pour la première fois au Japon dans les années 90. Encore peu connu du corps médical et du public, il est pourtant à prendre au sérieux d’après la Fédération Française de Cardiologie (FFC). Selon une étude de l’université de Zurich publiée en septembre 2015, le taux de mortalité de cette cardiomyopathie, principalement provoquée par des chocs émotionnels et souvent associée à une fatigue intense (épuisement moral et physique), serait quasiment similaire à celui de l’infarctus du myocarde. 

Concrètement, « il s’agit d’une paralysie transitoire d’une grosse partie du cœur (ventricule gauche) due à une action directe des hormones du stress sur les récepteurs du muscle cardiaque », précise la Fédération Française de Cardiologie. En somme, le coeur se déforme, puis revient à sa forme initiale en l’espace de 48h. Les symptômes qui doivent alerter ? Essoufflement brutal, douleur brutale dans la poitrine, arythmie, perte de connaissance, malaise vagal.

Un mal à ne pas prendre à la légère car les conséquences à plus ou moins long terme peuvent être graves (insuffisance cardiaque aigüe, AVC). La plus extrême étant la mort subite. Les femmes ménopausées seraient les premières victimes « car leurs artères, particulièrement sensibles aux effets du stress, se spasment plus facilement » et qu’elles ne sont « plus protégées par les oestrogènes », explique la FFC.

Prudence donc. Au moindre doute, il faut consulter son médecin, son cardiologue ou appeler le 15 afin de réaliser une batterie d’examens afin de poser un diagnostic (électrocardiogramme, échographie cardiaque, tests sanguins, angio coronarographie avec étude du ventricule gauche et IRM cardiaque).

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* « Tako Tsubo, un chagrin de travail » de Danièle Laufer, Éd. Les Liens qui Libèrent.

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