Que fait l’Éducation nationale pour accueillir et protéger ses élèves transgenre ?
Au cours des derniers mois de l’année 2020, la question de la place accordée aux enfants et ados trans à l’école est revenue plusieurs fois dans l’actualité. D’abord, à travers le témoignage émouvant de Lilie, 8 ans, qui se battait pour être reconnue comme une fille par son école, interrogée par plusieurs médias alors. Puis, le bouleversant documentaire Petite Fille, de Sébastien Lifshitz, illustrait comment l’acceptation de l’identité d’un enfant trans par son école est cruciale dans son bien-être.
L’année s’est soldée sur une tragédie : le suicide de Fouad, jeune fille trans de 17 ans, scolarisée au lycée Fénélon à Lille, peu avant les vacances de Noël. Quelques jours plus tôt, elle avait été convoquée par une CPE, en raison de sa tenue vestimentaire.
Sa mort a suscité un émoi important en France, générant une mobilisation importante à travers le hashtag #JusticepourFouad, lancé par des camarades de l’adolescente. Si en l’état, les informations sont insuffisantes pour confirmer dans quelle mesure son suicide est lié à l’attitude de l’Éducation nationale, souligne Anaïs, de l’association OUTrans, le geste de Fouad a posé à nouveau la question de la responsabilité de l’école face à ses élèves trans, et des moyens mis en oeuvre pour leur inclusion.
Quelles ressources face à la transphobie à l’école ?
À l’heure actuelle, quelles sont les ressources disponibles pour accompagner des élèves trans dans un établissement scolaire? Contacté par Marie Claire, le ministère de l’Éducation renvoie vers la campagne nationale contre l’homophobie et la transphobie lancée en 2019, qui contient également un guide d’accompagnement destiné aux membres de la communauté éducative.
Manque de formations sur les questions LGBT+
Rémy Sirvent, secrétaire national du Syndicat des Enseignants-UNSA au secteur Laïcité, École et Société, n’y va pas par quatre chemins : « La condition des personnes trans passe complètement sous les radars », résume-t-il. « Après le suicide de Lille, on a dit dans les médias que la formation des personnels doit être améliorée, mais c’est très euphémique : il n’y en a pas. »
Olivier Lelarge, CPE et membre du Collectif Éducation contre les LGBTphobies en milieu scolaire, constate aussi un manque criant de formations sur les questions LGBT qui sont, quand elles existent, facultatives et proposées seulement dans certaines académies.
Après le suicide de Lille, on a dit dans les médias que la formation des personnels doit être améliorée, mais c’est très euphémique : il n’y en a pas.
Le sujet est pourtant loin d’être marginal et le besoin d’informations sur la transidentité est bien présent dans le quotidien des équipes pédagogiques : « Je le vois sur les groupes d’entraides de CPE. Les collègues ont beaucoup de questions : ‘Si un élève me dit qu’il est trans, qu’est-ce que ça veut dire ? Légalement, est-ce qu’on peut prendre en compte un autre prénom ?’. »
Il déplore aussi le silence de l’Éducation nationale, malgré plusieurs courriers du Collectif et les demandes répétées d’agir spécifiquement pour favoriser l’accompagnement des élèves trans. Dans son communiqué de décembre après le suicide de Fouad, le Collectif évoquait un engagement de Jean-Michel Blanquer, en réponse à une question du député Raphaël Gérard en octobre 2019, pour mettre en œuvre un travail spécifique de mise à disposition des ressources visant à faciliter la prise en compte du prénom d’usage par les équipes pédagogiques. Le Collectif déplore que ce groupe de travail dédié aux questions trans dans l’éducation n’ait jamais été réuni.
Questionné sur ce point, le ministère préfère mettre en avant son groupe de travail dédié aux questions LGBT, qui existe depuis plusieurs années et qui s’est déjà réuni à quatre reprises entre 2018 et 2019. Il est censé s’être réuni à nouveau en janvier, « avec l’objectif spécifique de produire des outils visant à améliorer l’accueil et l’accompagnement des élèves trans dans les établissements scolaires. »
Hésitations
De cette absence de consignes découlent des « difficultés pratico-pratiques » : « On n’a pas réellement d’outils pour pouvoir dire aux directeurs et directrices d’école, aux chef.fes d’établissements qu’ils et elles doivent prendre en compte le prénom d’usage et le genre d’une personne trans », déplore Anaïs.
Sans directives claires, les équipes pédagogiques tâtonnent et font ce qu’elles pensent être juste, parfois avec la meilleure volonté du monde… ce qui ne suffit pas toujours. La représentante d’OUTrans rapporte le cas d’un élève d’un lycée de région parisienne, qui souhaitait débuter son année scolaire avec son prénom d’usage et en étant genré au masculin : « Comme la mère de l’élève était d’accord, l’administration ne s’y opposait pas, mais n’allait pas changer les listes d’appel. Elle allait en parler à l’équipe enseignante pour le signaler, afin que pendant l’appel, le bon nom et le bon genre soient utilisés. On est intervenu pour dire que cette solution était la pire de toutes : elle revenait à un coming out forcé de l’élève, qui allait devenir la bête curieuse des professeurs. Et si l’un d’eux refusait de prendre en compte cette information ou oubliait par inadvertance ? L’administration a fini par accepter de changer le nom dans sa base. »
Dans Petite Fille, documentaire de Sébastien Lifshitz disponible sur le site d’Arte, la mère de la petite Sasha, 8 ans, se bat pour que l’école accepte que sa fille vienne habillée comme elle le souhaite, dont en robe ou en jupe, en dépit du « M » sur sa carte d’identité. Ce bras de fer constitue le fil de rouge du film et laisse deviner un directeur d’école et son équipe arcboutés sur leurs positions, qui refusent de laisser Sasha exprimer son identité de genre.
La véritable application de l’égalité nous oblige à considérer le droit d’une personne à être reconnue telle qu’elle veut l’être, telle qu’elle est.
Pour Rémy Sirvent, les hésitations de certains professeur.es et chef.fes d’établissement face à des élèves trans sont les restes de visions datées au sein de l’institution scolaire : « On voit encore à l’école des vestiges du passé, des règlements intérieurs où il est écrit que la tenue des filles est quelque chose qui va forcément perturber la bonne scolarité des garçons. Ces queues de comètes imprègnent les murs des établissements et vont télescoper un autre principe fondateur : l’égalité, qui est parfois confondue avec l’uniformité. La véritable application de l’égalité nous oblige à considérer le droit d’une personne à être reconnue telle qu’elle veut l’être, telle qu’elle est. »
Une conception partagée par Olivier Lelarge : « Être un professionnel de l’éducation, ça nécessite de sortir de ses propres représentations, de ses propres stéréotypes pour faire que l’école remplisse son rôle d’intégration et d’émancipation. »
Quelles solutions ?
Dans le guide d’accompagnement des enseignant.e.s diffusé dans le cadre de la campagne du ministère de l’Éducation, le refus d’utiliser le prénom d’usage et les pronoms choisis d’une personne trans est bien considéré comme un agissement transphobe. Toutefois, une note de bas de page apporte un complément : « Pour un ou une élève mineur(e), le prénom d’usage est adopté au sein de l’établissement scolaire en accord avec les parents. »
Cette précision montre bien que la question de l’autorité parentale peut constituer un frein, notamment lorsque le ou les parents ne sont pas au courant ou s’opposent à l’emploi du prénom choisi par leur enfant. « Sous prétexte que les parents devraient approuver le prénom d’usage de leur enfant, rien n’est fait », affirme Anaïs qui préconise des évolutions simples dans les logiciels utilisés par l’administration, comme un champ pour le prénom d’usage qui deviendrait prioritaire sur les listes d’appels et faciliterait la vie quotidienne de l’élève dans son établissement.
Face à ce manque de solutions, certain.e.s n’attendent pas l’Éducation nationale pour construire des modules dédiés. Le SE-UNSA prépare de son côté une formation, actuellement en phase de test, pour améliorer les connaissances des personnels éducatifs sur la transidentité.
Les risques suicidaires chez les jeunes personnes trans sont connus, et face à des chiffres alarmants, associations et syndicats appellent à l’action. « L’école doit être une zone de sécurité pour les jeunes trans, insiste Anaïs. C’est déjà assez compliqué dans la société, il faut qu’ils et elles puissent se dire qu’il y a une bulle de sécurité au lycée, au collège, où on les reconnaît pour ce qu’ils et elles sont. »
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