Mehran Karimi Nasseri : Les malheurs de “Sir Alfred”

Ce célèbre apatride, incarné à l’écran par Tom Hanks, est revenu mourir à l’aéroport de Roissy où il avait vécu dix-huit ans !

Peut-être l’aviez-vous croisé, peut-être même lui aviez-vous parlé en passant par le hall de départ du terminal 1 de l’aéroport de Roissy où, après moult péripéties, il avait fini par s’installer en 1988 et où il resta jusqu’en 2006… Mehran Karimi Nasseri siégeait là, sur une banquette, au milieu de nombreux cartons et bouquins (il passait son temps à lire), répondant – en anglais et avec gentillesse – aux sollicitations des badauds qui avaient eu vent de son histoire, notamment à travers le film Le Terminal, de Steven Spielberg, sorti en 2004. « C’est un réfugié sur orbite, un demandeur d’asile planétaire, disait de lui Philippe Bargain, psychiatre et chef du service des urgences de l’aéroport. Il vit sur le même disque que nous, mais pas sur le même sillon. […] Il pourrait quitter l’aéroport, mais il y est fossilisé. »

Rebondissements

Comment cet Iranien d’origine avait-il atterri-là, sans mauvais jeu de mots ? Pour quelles raisons les autorités françaises lui avaient-elles permis de s’y établir ? Qu’est-ce qui a poussé cet homme de 77 ans à venir mourir à Roissy, le 12 novembre dernier, alors qu’il n’y vivait plus depuis quinze ans ?

Autant de questions et de mystère auxquels nous allons tenter d’apporter des réponses… plus ou moins rationnelles dans la mesure où, dans cette histoire, la folie douce se mêle à des rebondissements improbables !

Mehran Karimi Nasseri naît en 1945 à Masjed Soleiman, dans la province du Khouzistan, au sud-ouest de l’Iran. Les circonstances de sa naissance sont floues.

Il racontait dans son livre The Terminal Man, paru fin 2004, qu’il était le fruit d’une relation coupable entre son père médecin et une infirmière britannique et qu’il avait été élevé par l’épouse légitime du patriarche – des propos contestés par sa famille. Considéré (toujours selon lui) comme un bâtard, il aurait été, à la mort de son père en 1973, envoyé en Grande-Bretagne pour y poursuivre ses études. L’année suivante, il participe à plusieurs manifestations au Royaume-Uni contre le shah d’Iran, alors au pouvoir. De retour dans son pays natal, il est arrêté à son arrivée à l’aéroport de Téhéran, le 7 août 1975. D’après ses dires (difficiles à confirmer), il est alors emmené par la police secrète, puis emprisonné et torturé durant quatre mois avant d’être expulsé d’Iran.

Imbroglio

©BENGUIGUI/SIPA

Commence un périple interminable, à la fin des années 1970, à toutes les portes de l’Europe où ses demandes d’asile sont rejetées les unes après les autres : Allemagne (de l’Ouest et de l’Est), Pays-Bas, France (deux fois), Yougoslavie, Italie, Royaume-Uni… Mehran Karimi Nasseri voit du pays mais n’a toujours pas de toit sur la tête ! Il échoue finalement en Belgique, qui l’a intercepté à sa frontière avec l’Allemagne de l’Ouest où il essayait d’entrer illégalement. Le 7 octobre 1980, sa demande d’asile est acceptée par le haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Mehran vit alors en Belgique pendant quatre ans avant qu’une étrange mouche ne vienne le piquer : il décide de partir à la recherche de sa mère présumée au Royaume-Uni ! Le 16 novembre 1984, il embarque sur un ferry, muni de papiers en règle. Mais, à la suite d’un imbroglio administratif, il se retrouve expulsé de Grande-Bretagne et interdit de territoire en Belgique ! C’est à partir de ce moment-là que son destin, déjà agité, va basculer.

En 1985, Mehran demeure de façon irrégulière sur le sol français, à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Arrêté, il est condamné à trois mois de prison et, à sa sortie, rejoint une première fois l’aéroport de Roissy. On a peu d’informations sur les trois ans qui s’écoulent ensuite. En 1988, alors qu’il a réussi à s’envoler pour Londres, il est derechef refoulé et renvoyé en France, où il purge à nouveau une peine de prison, de cinq mois cette fois. Il retourne ensuite à Roissy… et va y rester !

Mascotte

©BENGUIGUI/SIPA

Mehran, dont la douce folie est attestée par de nombreux témoins, a perdu ses papiers mais possède un billet d’avion qui l’autorise à « végéter » dans l’aéroport. À partir de 1992, des avocats français tentent de lui obtenir un titre de séjour… titre qui lui est finalement proposé en 1999, mais qu’il rejette sous un prétexte absurde : « Je refuse de signer ces papiers, ils ne sont pas à mon nom, déclare-t-il. Je ne suis plus celui que j’ai été. Je m’appelle désormais sir Alfred Mehran et je ne suis pas iranien. »

Dans l’intervalle, « sir Alfred » est devenu un objet de curiosité et la mascotte des employés de l’aéroport envers lesquels il se montre toujours affable. Ainsi, le réalisateur Philippe Lioret propose, en 1994, un film librement inspiré de son histoire, Tombés du ciel, avec un Jean Rochefort truculent. La sortie du Terminal, en 2004, achève de le rendre mondialement célèbre. On raconte que même Tom Hanks est tombé sous le charme de ce gentil illuminé qui a, dit-on, perçu une somme conséquente de la part de la production du film de Steven Spielberg.

Fin juillet 2006, Mehran est hospitalisé en urgence pour une intoxication alimentaire et n’en ressort qu’en janvier 2007. Pris en charge par une antenne de la Croix-Rouge, il est ensuite transféré dans un foyer d’accueil d’Emmaüs France du XXe arrondissement de Paris, où il va rester quinze ans… Jusqu’à ce mois d’octobre 2022 lorsque, par on ne sait trop quel moyen, il est revenu vivre à Roissy pour s’y éteindre paisiblement quelques semaines plus tard. Mort en son jardin…

À voir…

©MORTON Merrick

Le Terminal,  Steven Spielberg (2004)

Louis-Paul CLÉMENT

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