« Je fais de la chanson française nerveuse », estime Noé Preszow
- Noé Preszow, 26 ans, est nommé en catégorie « révélation masculine » aux prochaines Victoires de la musique.
- Son album, A nous, devait sortir vendredi mais a été décalé au 2 avril en raison de la situation sanitaire.
- « Je suis quelqu’un d’assez tumultueux et en crise. Le moment où j’écris et enregistre les chansons est un moment où je me rassemble », explique l’artiste belge à 20 Minutes.
Vous ne savez peut-être pas encore comment prononcer le patronyme de Noé Preszow (il faut dire « prèchof »), mais ce nom ne devrait pas tarder à vous être familier. Le chanteur belge de 26 ans est en lice en catégorie révélation masculine aux Victoires de la musique ce vendredi. Son premier album devait sortir le même jour mais, crise sanitaire oblige, il a été reporté au 2 avril. Qu’importe : s’il a été présélectionné, c’est parce que les premières chansons qu’il a essaimées, A nous – qui donne son titre au disque –, Que tout s’danse ou Le monde a l’envers ont fait forte impression. Entretien avec un artiste sensible et, comme il se définit lui-même, « un peu cinglé ».
Votre album aurait dû sortir ce vendredi, il a été reporté au mois d’avril. Il valait mieux attendre ?
(Un temps) En fait, maintenant, c’est fait. Une fois que quelque chose est acté, je ne reviens plus dessus. Pour moi, cela fait quatre ans que cet album aurait dû sortir. A nous, je l’ai écrite il y a quatre ans et plusieurs autres chansons datent de cette période-là. Il n’y en a pas tant de plus récentes que ça. Je suis prêt depuis l’âge de 20 ans et j’en ai 26. S’il y a un regret au niveau de la temporalité c’est là que ça se joue, parce qu’on n’est pas jeune éternellement, et non dans un décalage de six semaines pour une sortie d’album.
Comment présenteriez-vous votre musique ?
Je dirais que je fais de la chanson française mais… comment dire… avec de l’action (rire). Aujourd’hui quand on dit « chanson française » on a tout de suite tendance à imaginer quelque chose d’un peu sinistre. J’ai écouté beaucoup de choses, dans tous les sens, que ce soit du rock ou du hip-hop, et cela fait que ma musique est bricolée. Le cœur reste de la chanson française mais… nerveuse. Allez, on peut dire ça : je fais de la chanson française nerveuse !
Vous avez commencé la musique à quel âge ?
J’ai commencé le violon à 3 ans – c’est moi qui le souhaitais. J’ai écouté énormément de chansons françaises que l’on pourrait qualifier de « contestataire » et aussi du Bob Dylan, du Leonard Cohen, donc je me suis mis à la guitare. Depuis l’enfance, j’ai toujours joué avec les enregistreurs, j’aimais enregistrer ma voix et, au bout d’un moment, plutôt que de parler seul, je me suis mis à chanter. Mes premières chansons étaient improvisées directement sur l’enregistreur, je les écrivais après.
Dans la chanson « Les poches vides », vous citez Lou Reed, Barbara, Brigitte Fontaine, Jacques Higelin… C’est votre Panthéon musical ?
Je ne crois pas que je ferais une chanson avec mes propres références, parce que ce serait un peu se tirer une balle dans le pied. Ceux qui sont cités dans Les Poches vides sont les artistes de la jeunesse de mon père, mais effectivement, ce sont des gens que j’aime. Barbara, Lou Reed, Ribeiro, Lavilliers, Higelin, Fontaine, Simon et Garfunkel… C’est un mélange assez juste, finalement… Je vous réponds le contraire de ce que je viens de vous dire. Mais dans mon Panthéon personnel, il y a aussi les Waterboys, – un groupe qui a beaucoup compté sur moi-, les Beatles, Indochine, les Cure ou Louise Attaque. Ils ont été importants parce qu’on ne les écoutait pas chez moi. Je crois que, comme pour tout le monde et pour tout artiste, la vie commence le jour où il y a une forme de rupture avec ce qui nous a bercés et qui a bercé nos parents.
Votre chanson, « A nous », est sortie il y a un an, juste avant le début du confinement. C’est la carte de visite qui vous permet de présenter votre univers et vos préoccupations ?
C’est exactement ça. Là où cette chanson est fidèle à ce que je suis, c’est qu’elle est un peu mystérieuse et ambiguë. Pour moi, le « nous » n’existe pas. Ma culture, c’est quand même la première personne, j’ai toujours aimé les œuvres intimes, notamment en poésie. Alors, c’est une chanson sur ce qui se passe aujourd’hui, sur une forme d’énergie nouvelle à puiser, de rupture à faire avec plein de choses, dont les écrans omniprésents, mais il y a cette tension entre le « nous » et le « vous ». La fin du morceau est hyperimportante. Elle n’est pas là pour se donner bonne conscience mais parce que ce « vous » est central dans ma vie et mes chansons.
Votre album fait des allers retours entre vous, vos questionnements intimes, vos souvenirs, et l’universel. Vous avez eu peur de livrer un album trop autocentré ?
C’est un lieu commun de dire que l’intime est universel mais, effectivement, j’étais très habité par mon histoire familiale qui rejoint l’histoire du monde et notamment celle des exilés aujourd’hui. Je ne me suis pas fixé un cahier des charges en me disant qu’il fallait que je parle de moi mais pas trop. Chaque artiste à son lot de sujets qui le préoccupent, pour moi, la question des frontières et de l’exil est capitale. J’imagine qu’il y a une grande part d’inconscient dans ce que je fais.
Dans « Le monde à l’envers », vous évoquez aussi les violences policières. Comment est né ce titre ?
Je suis né en manif, j’ai cette culture-là. Les rapports de pouvoir, l’ordre, l’autorité, les uniformes, je les ai toujours vus de près, avec mes yeux d’enfants et ça n’a cessé de m’accompagner. Concrètement, pour cette chanson, j’avais des bribes de textes, dont le refrain. Au moment de terminer l’album, en revenant d’une manifestation [La «grande manifestation de la santé» a réuni 4.000 personnes à Bruxelles le 13 septembre], j’ai croisé deux amis pour qui les choses s’étaient très mal passées. Alors qu’ils étaient venus manifester pour la santé, ils ont terminé à l’hôpital. Il y avait quelque chose de complètement absurde et une extrême violence du fait que cela arrivait après le confinement. C’est venu comme ça, j’ai trouvé important de mettre cette chanson sur les violences policières dans l’album.
Dans vos chansons, vous parlez de ce qui vous indigne, cependant, votre colère reste contenue, il n’y a pas de cri, d’explosion de rage dans votre album…
C’est juste. J’ai un rapport ambigu à ce constat, cela me fait me poser des questions sur moi. Je suis quelqu’un d’assez tumultueux et en crise. Chaque chose que je fais est synonyme d’une certaine tension. Le moment où j’écris et enregistre les chansons est un moment où je me rassemble. C’est particulier parce qu’on pourrait dire que le chemin artistique, c’est le contraire : le moment où on explose. Moi, c’est la vie et le monde qui me rendent fou. Par contre, sur scène, celle où on transpire, je suis plus explosif.
Dans « L’étang », vous vous demandez si vous serez « un adversaire éternellement ». Vous vous interrogez sur votre capacité à vous résigner face à tout ce qui vous indigne ?
C’est une chanson particulière pour moi, donc ça me fait plaisir que le message soit passé. Aujourd’hui, je la redécouvre. La question est vraiment celle-là : est-ce que j’irai au bout de qui je suis vraiment ? Quand je chante ça, c’est parce que je sais que je suis un petit peu cinglé et que je n’aspire pas à une vie normale, car je ne comprends pas le monde tel qu’il est organisé. Je ne m’y retrouve pas. Il n’y a que dans le combat que je me sens vivant. Je ne cherche pas le conflit, mais il y a quelque chose dans ma vie faisant que je suis toujours un adversaire.
Vous qualifieriez-vous de pessimiste ?
Non, je dirais que je ne suis pas au-dessus ça, ni en dessous, mais à côté. Je ne dirais pas que le verre est à moitié vide ou à moitié plein, mais que le verre et brisé. Que les codes sont à refaire.
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