Elise&Julia, Good Sisters, The Good Company… Ces nouveaux espoirs de la com en phase avec l’époque

Une génération de très jeunes femmes – et des hommes de bonne volonté – poussent les entreprises à faire évoluer leur image en phase avec l’époque. Zoom sur ces agences dont les valeurs se communiquent avec autant de créativité que d’enthousiasme.

Des familles, des couples venus de tous horizons. Vêtus de cirés argentés, ils s’enlacent, heureux, en plein cœur de la forêt. C’est le scénario grandeur nature qu’Élise Goldfarb et Julia Layani ont imaginé, en septembre 2020, pour la dernière opération publicitaire Petit Bateau. Sur Instagram, les deux entrepreneures partagent les coulisses du shooting et postent une avalanche de clichés. En légende : «Merci @petitbateau de faire bouger les choses.» «La marque nous a contactées pour créer la campagne digitale de leur ciré recyclé, racontent-elles. On a voulu mettre en lumière les nouvelles familles, et donc sélectionné un casting diversifié, représentatif de la société actuelle. Parents LGBT, personnes trans, femmes seules, minorités… Tout le monde a sa place et c’est ce qu’on voulait transmettre à travers une ambiance positive.»

À 26 ans, Élise Goldfarb et Julia Layani sont à la tête de leur propre agence de conseil en stratégie digitale, Élise&Julia. Leur mission ? Pousser les entreprises à accélérer le pas vers la construction d’un monde meilleur. «Les marques ont aujourd’hui plus d’impact sur la société que les gouvernements ou les médias, assurent-elles. Elles ont le pouvoir de faire évoluer les comportements.» Élise et Julia font partie de cette génération de 25-35 ans, digital native, qui veut participer activement à la transformation du monde. Parmi leurs principales préoccupations : la transition écologique et sociale, la représentation des femmes et des minorités, la répartition des richesses ou encore la gestion des données personnelles. «Beaucoup de jeunes agences de communication se demandent désormais : “À quoi je participe ?”, analyse Caroline Marti, professeure, chercheuse et enseignante au Celsa-Paris Sorbonne. Je l’observe dans les oraux de concours, ces jeunes sont beaucoup plus motivés que leurs aînés à l’idée de changer les choses. Le point nodal, c’est la responsabilité.»

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Des marques éthiques

Avant la signature d’un potentiel contrat, Élise Goldfarb et Julia Layani ne laissent rien au hasard. «On ne fait pas de démarchage. Si tu veux bosser avec nous, il faut se plier à nos exigences. Les marques qui nous appellent savent qu’elles doivent être “clean” ou au moins avoir envie de changer. Elles sont surtout soucieuses du caractère humain de l’entreprise, assurent refuser celles qui font travailler les Ouïghours, par exemple.» Leur priorité ? Rester en alerte sur la société et ses questionnements. «C’est pour cette raison qu’on ne veut pas avoir trop de clients. On veut garder du temps pour être sur le terrain.» Fortes de leur succès, ces expertes de la com d’un genre nouveau veulent avant tout faire passer les «bons messages». «Si un client a une vision trop lisse, il n’est pas fait pour travailler avec nous», affirment-elles. Pour être au plus proches de chacun des projets, elles montent des équipes de free-lances sur mesure. «On veut des profils en adéquation avec les valeurs du projet, qui y croient profondément», résument-elles.

Une intransigeance que Thaïs Klapisch et Giulietta Canzani Mora (alias la DJ Piu Piu) appliquent avec Good Sisters, leur jeune agence de talents de femmes engagées créée il y a un an. «On demande systématiquement : “Qui fait le shooting ? Quel est le casting ? Quelles sont les valeurs de la marque ?…” Il faut qu’il y ait une éthique en rapport avec le talent féminin qui est proposé», explique Thaïs. «J’ai déjà refusé un projet car ça n’allait pas dans le sens de mon artiste», ajoute Giuletta. Après leurs expériences dans le mannequinat ou la musique, les deux jeunes femmes, également membres de l’association féministe Safe Place, veulent aujourd’hui mettre en lumière et aider des femmes qui les inspirent.

En 2012, Christelle Delarue a créé Mad & Women, une agence de communication féministe (qu’elle a depuis revendue). Son objectif, il y a presque dix ans déjà ? Déconstruire les clichés et apporter une dimension plus sociale aux projets valorisés. «Certains spots ou blagues cyniques ne sont plus recevables. Les agences ont la responsabilité de pousser les annonceurs à faire les bons choix», avançait-elle. À l’ère post-#MeToo, celle qui a aussi fondé l’association Les Lionnes – pour dénoncer les dérives du boy’s club dans la pub – milite à présent pour la mise en place d’une loi punissant le publi-sexisme. Giuletta, elle, veut aider ses talents féminins à être reconnues pour leur art et non pas leur physique. «La beauté va plus loin, la beauté, c’est l’engagement, clame-t-elle. Il y a une réelle remise en question de notre manière de communiquer, et les artistes ont aussi un rôle à jouer.»

De gauche à droite : Giulietta Canzani Mora (alias la DJ Piu Piu) et Thaïs Klapish, fondatrices de leur agence de talents Good Sisters.

L’année dernière, un homme, franco-britannique et quadra cette fois, Luc Wise, a fondé The Good Company, une agence de publicité engagée, citoyenne et responsable qui veut elle aussi participer aux mutations du monde. Son mantra ? Business for good is good for business («le business pour le bien, c’est bon pour le business»). Pour lui, l’engagement des entreprises est autant un impératif économique que moral. «En tant que communicant, je veux mettre mon talent au service d’une bonne cause et, avant tout, rendre l’éthique cool.» Un avis que partage Élise Goldfarb. «On a envie que les gens se disent : “Moi aussi, je veux en être !”»

L’entrepreneur diplômé de Cambridge en sciences sociales et politiques refuse de collaborer avec les marques des industries fossiles, par exemple. Mais le plus important, avance-t-il, c’est la démarche. «Aucune marque n’est foncièrement bonne ou mauvaise. On travaille au cas par cas. L’essentiel est d’être dans une volonté d’action concrète et non pas de faire du greenwashing ou du social washing.» Cette dernière stratégie marketing consiste à se donner une image écoresponsable, féministe ou LGBT friendly de manière trompeuse. Sur ce point, Julia et Élise sont intraitables : «On refuse le greenwashing, pinkwashing et toute forme de washing

Les champs sociaux

Si ces agences sont anti-fake, c’est qu’elles ont compris que l’engagement est devenu l’une des attentes principales des consommateurs. «Notre génération est née avec un téléphone dans la main, elle n’est pas dupe. On ne peut plus lui cacher la réalité, estiment Élise et Julia. On a besoin de plus de sens dans ce qu’on achète.» Beaucoup d’agences observent le pouvoir de l’achat-vote, c’est-à-dire le souhait d’acheter des biens, des services attachés à des valeurs auxquelles on croit. «On vote dans l’isoloir, mais aussi dans nos achats, avance Luc Wise. Les gens ont compris que leurs choix de consommation pouvaient agir sur le monde. Regardez le succès de la griffe Patagonia, la responsabilité fait partie de son ADN.»

Elise Goldfarb et Julia Layani : « On refuse le greenwashing, pinkwashing et toute forme de washing ! »

Cette attente, les dirigeants en ont conscience et mettent tout en œuvre pour y répondre. «On l’a vu pendant les élections américaines, de plus en plus de marques investissent des champs sociaux», décrypte Caroline Marti. La difficulté ? Imaginer des campagnes de com résonnantes et originales. «Il faut pouvoir créer de la préférence et de la différence auprès du public, poursuit-elle. Or, il y a un tel engouement autour de l’engagement qu’il est de plus en plus difficile de se différencier. Les agences doivent redoubler d’inventivité.»

Le mot d’ordre aujourd’hui ? Good is the new cool. Contrairement à leurs aînées, les jeunes agences font des réseaux sociaux leur force de frappe. «Avec Instagram, Twitter, et parfois Tik Tok, on connaît la cible de nos clients, car on est constamment en alerte sur la société, analysent Élise et Julia. On sait ce que les gens veulent voir, ce qui n’est pas toujours le cas des grosses agences moins connectées.»

Instagram – qu’elles utilisent quotidiennement pour partager les coulisses de leur travail ou encore les sujets qui les touchent – est le moyen d’échanger avec leur communauté en comprenant finement les sensibilités. Du contenu militant que l’on peut également suivre sur le profil de Good Sisters. À 20 ans, Thaïs Klapisch a grandi avec Instagram. «Ça ouvre des portes à l’infini. On peut découvrir l’envers du décor des shootings, s’éloigner des clichés. Avant, on voulait voir des filles taille 32 toujours parfaites, aujourd’hui, on veut s’identifier à de vraies personnes.»

Mais une bonne communication, c’est avant tout une entreprise engagée en son sein. The Good Company reverse chaque année 1 % du chiffre d’affaires à des associations en faveur de l’écologie. Les salariés en CDI (toute hiérarchie confondue) sont actionnaires de l’entreprise. «On a créé une coopérative pour donner plus de sens au travail et mieux répartir les richesses», assure Luc Wise. Ou comment faire ce que l’on prône.

Le modèle Patagonia

Depuis plusieurs années, Patagonia multiplie les campagnes chocs en faveur de l’environnement. Notamment en 2019, avec l’opération Facing Extinction, aux côtés des jeunes activistes, ou encore, dans le New York Times dès 2011, une action anti-Black Friday avec ce message : «N’achetez pas cette veste !»

En vidéo, la campagne « Facing Extinction » de Patagonia

Créée en 1972, la marque américaine a entièrement revu la manière de concevoir un vêtement. Création, commercialisation, recyclage, rémunération des salariés, transparence… La maison ne fait aucune concession. Depuis 1985, Patagonia (1) reverse une partie de ses bénéfices à des associations caritatives. Résultat ? Autrefois réservés aux randonneurs, aujourd’hui les tee-shirts et sweats Patagonia sont devenus les must-have de la jeune génération green cool. Quand les acheteurs sont (aussi) des militants.

(1) Le fondateur, Yvon Chouinard, est aussi fondateur du mouvement 1 % pour la planète, en 2002, qui invite des entreprises à reverser des fonds pour la planète. The Good Company de Luc Wise en fait partie.

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