Comment les grands festivals lyonnais ont-ils maintenu leur édition 2021 ?
- Alors que les annulations s’enchaînent depuis plusieurs mois, les trois principaux festivals de la région lyonnaise ont récemment officialisé la tenue de leur édition 2021 cet été.
- Les organisateurs des Nuits de Fourvière et de Nuits Sonores à Lyon, ainsi que de Jazz à Vienne (Isère), racontent à 20 Minutes « l’ascenseur émotionnel dingue » qu’ils ont vécu.
- Ils préparent tous une édition particulière, avec une jauge fortement réduite (et 100 % assise) en raison de la distanciation sociale imposée dans le contexte Covid-19.
« 2020 avait été un tel crève-cœur qu’il était impossible pour nous de ne pas essayer de maintenir notre édition 2021. Si on devait être le dernier festival à annuler, on s’est dit qu’on serait celui-là. » Directeur général de
Jazz à Vienne (Isère), Samuel Riblier symbolise la détermination sans faille de trois événements culturels majeurs de
la région lyonnaise étant parvenus à maintenir leur édition 2021. Outre Jazz à Vienne (du 23 juin au 10 juillet), qui a officialisé sa programmation le 6 avril, les Nuits de Fourvière (du 1er juin au 30 juillet) puis Nuits Sonores (du 20 au 25 juillet) leur ont emboîté le pas à Lyon.
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Cet élan positif de concerts estivaux, malgré les annulations à la pelle partout en France (Eurockéennes, Solidays, Vieilles Charrues, Main Square…) en raison du Covid-19, a pris forme le 18 février, lorsque la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a encouragé les festivals à se lancer, dans une formule à 5.000 places maximum, toutes assises. « Tant qu’on ne nous empêchait pas manu militari de le faire, je n’ai pas envisagé une seule seconde de ne pas maintenir notre festival », assure Dominique Delorme, directeur des
Nuits de Fourvière. Que ce soit à Fourvière ou à Vienne, le cadre d’un théâtre antique, habitué à une grande majorité de places assises, a favorisé le maintien de l’événement. Samuel Riblier revient sur la déclaration de Roselyne Bachelot.
Ça a été le vrai tournant pour nous. On s’est d’un coup sentis autorisés et légitimes pour lancer notre festival. On est même surmotivés pour cette édition, d’autant que pour une ville de 30.000 habitants comme Vienne, ça change tout si ce festival a lieu ou non. On est en tout cas dans un ascenseur émotionnel dingue depuis des mois. »
La question de « l’horodotage » en suspens
Celui-ci s’accompagne encore de certaines zones d’ombre, comme la problématique du couvre-feu, décrété en France jusqu’au 30 juin (à 21 heures du 19 mai au 8 juin, puis à 23 heures du 9 au 29 juin). « On milite pour un système d’horodatage, avec le billet de concert qui servirait d’attestation, indique Samuel Riblier. On a vite besoin d’une position claire pour savoir si on doit avancer les horaires de nos concerts, ce qui risquerait de nous faire perdre des spectateurs. » Depuis plus d’un mois, Jazz à Vienne a ouvert sa billetterie en annonçant dès sa première date, le 23 juin (Jamie Cullum et Anne Paceo), un spectacle entre 20h30 et environ 23h30.
Les Nuits de Fourvière ont préféré opter pour une option « sans horodatage possible », en avançant donc ses événements du mois de juin, à commencer par Robyn Orlin et Camille (les 1er et 2 juin), programmées à 19h30. Associées cette année à la Biennale de la danse (qui a décalé sa 19e édition de septembre à juin), les Nuits de Fourvière voient, au vu des réglementations imposées, leur jauge limitée à 1.000 personnes jusqu’au 9 juin, puis à 2.000 spectateurs ensuite (sur une capacité de 4.500 places).
« Je dois en être à ma 15e version de budget depuis six mois »
Dans ce contexte délicat, l’événement estival lyonnais se démène pour « réduire les coûts de fonctionnement », en se concentrant notamment sur quatre scènes, contrairement à 12 en pré-Covid-19, et en négociant « le réajustement du coût d’un spectacle ». « On travaille à équilibrer notre exercice, malgré cette jauge réduite de moitié, explique Dominique Delorme. On a alerté le ministère de la Culture et on a eu la confirmation qu’il y aura un soutien financier. »
Du côté de Jazz à Vienne, passé d’un accueil de 7.500 spectateurs à moins de 4.000, on compte également sur les aides de l’Etat, « à hauteur de 400.000 euros maximum par événement ». « Je dois en être à ma 15e version de budget depuis six mois », sourit Samuel Riblier. Avant de glisser un vœu pieux : « Si on nous enlève les règles de distanciation à partir de fin juin, on pourrait retomber un peu plus sur nos pattes au niveau financier ».
« Regarder un DJ pendant deux heures sans danser, ça serait un supplice »
La « grosse surprise » dans l’actualité culturelle lyonnaise vient du maintien de Nuits Sonores, festival référence des musiques électroniques. « Depuis septembre 2020, on s’était penché sur la possibilité de produire en seulement trois mois le festival si l’opportunité se présentait », raconte le directeur artistique de l’événement Pierre-Marie Oullion, prêt « coûte que coûte » à relancer Nuits Sonores, toujours dans les anciennes usines Fagor-Brandt (Lyon 7e).
« On avait le choix entre attendre pour espérer une version debout-dansante en septembre-octobre, et sécuriser cette possibilité-là cet été, précise Pierre-Marie Oullion. On en profite pour réaffirmer qu’on n’est pas qu’un festival dancefloor. Regarder un DJ pendant deux heures, sans pouvoir se mettre debout et danser, ça serait un supplice. On veut donc présenter en live des choses pas trop frustrantes. »
Peu d’artistes internationaux à Fourvière
Le 26 mai, Nuits Sonores dévoilera la programmation de cette édition « hors série ». Avec un plateau principalement français. « Dans ce contexte si incertain, les tournées sont impossibles pour de nombreux artistes internationaux », constate Dominique Delorme, qui devait par exemple accueillir Thom Yorke, Liam Gallagher, Beck et Agnes Obel lors de l’édition 2020 annulée.
Les rares exceptions, pour ce 75e anniversaire, concernent la chanteuse américaine Melody Gardot, qui vit une partie de l’année à Paris, et l’Israélien Asaf Avidan, installé en Italie. Un constat qui touche moins Jazz à Vienne, parvenu à maintenir une programmation « à plus de 60 % internationale », malgré les problématiques liées au Covid-19 mais aussi au Brexit.
Les bars et les déplacements des spectateurs autorisés
« Vu qu’il s’agit de nos 40 ans, on tenait à respecter l’ADN du festival », indique le directeur artistique Benjamin Tanguy. Marcus Miller, Maceo Parker, Jamie Cullum, Salif Keita, Keziah Jones, Seu Jorge et Ayo sont notamment à l’affiche en Isère. Le contexte de places exclusivement assises face aux artistes n’a par ailleurs pas constitué le moindre frein pour leur venue, à en croire Benjamin Tanguy : « Aucun artiste ne s’est posé cette question. Même un groupe comme Deluxe s’est dit qu’il adapterait son set pour l’occasion ».
Nuits Sonores, qui est conscient de se tourner vers « un public plus âgé que d’habitude », s’est en partie orienté vers de nouveaux artistes au vu des contraintes scéniques. La priorité pour le festival électro a été d’obtenir l’assurance que les spectateurs seraient autorisés à passer à leur guise de la scène des concerts (1.700 places) à celle des spectacles audiovisuels (800 places). Mais aussi que les bars seraient admis sur place.
« Pour nous, c’est un véritable salut psychologique »
2.500 personnes pourront donc être accueillies chaque soir, avec des horaires adaptés au contexte non dansant, de 18 heures à minuit, et même un mystérieux rendez-vous programmé de 6 heures à midi. On sera très loin de l’effervescence d’une édition classique, avec une fréquentation quasiment divisée par dix par rapport aux 120.000 participants habituels. Pour autant, les organisateurs ne boudent pas leur soulagement, à l’image de Pierre-Marie Oullion.
Les gens avaient peur qu’il n’y ait rien à faire cet été. Même pour nous, après tant de chômage partiel dans notre structure, c’est un véritable salut psychologique. »
Et ce malgré ces contraintes de distanciation et de places 100 % assises qui ne colle guère à notre imaginaire des « festochs » d’été ? « Si les spectateurs se mettent debout dans les gradins, les risques de contamination ne seront pas accrus, rappelle Samuel Riblier. Ça reste de la musique, on ne va pas à la messe. On vend un bon moment aux gens donc on ne va pas mettre un flic derrière les spectateurs pour les faire s’asseoir. »
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