Emmanuelle Béart : “J'ai un môme de 12 ans, je suis amoureuse, c'est avancer qui m'intéresse”

L’actrice revient au cinéma dans L’Étreinte, de Ludovic Bergery, avec Vincent Dedienne. Un beau rôle de femme en pleine renaissance, qui lui redonne envie de tourner. Fidèle à ses passions et à ses engagements, elle se confie sans filtre.

Ce devait être une rencontre… Reportée. C’est devenu un coup de fil. La vie d’Emmanuelle Béart tourbillonne de choses essentielles et intenses (tourner et produire des documentaires avec son mari, préparer une pièce de théâtre et une série télé, s’occuper de son fils de 12 ans, Surafel, bêcher le potager de sa maison de campagne), au cœur desquelles loger une interview n’a rien d’une évidence. Dans le dossier de presse de L’Étreinte, le beau film de Ludovic Bergery où elle incarne une veuve qui renoue avec la vie, elle prévient d’ailleurs : «Je ne veux plus jouer à l’actrice. Je me fous totalement de ce que les gens pensent de moi.»

Pourtant, c’est plus fort qu’elle, même pressée par le temps, même par téléphone, Emmanuelle Béart est toujours cette femme entière qui ne sait pas parler pour ne rien dire. Jamais elle ne maîtrisera le small talk des stars en promotion, ne saura parodier la conversation. Ainsi cette heure passée à l’écouter – sa voix rauque et douce réveillant tant d’images – sera riche d’énergie, de projets, d’affects et d’indignations. Un entretien qui se décline en verbes d’action.

En vidéo, « L’Étreinte », la bande-annonce

Se réinventer

Dans L’Étreinte, en salles depuis le 19 mai, elle est Margaux, quinquagénaire dont le mari, plus âgé, est mort la laissant seule à une vie qui n’était occupée que par lui. L’actrice a voulu l’interpréter d’une manière qu’elle n’avait jamais tentée : sans lire le scénario, en se laissant porter chaque jour par la scène à tourner. «Margaux est quelqu’un qui est dans une errance, une perte de repères. J’ai voulu me mettre dans le même déséquilibre.» L’état ne l’effraie pas, au contraire. Emmanuelle Béart n’a jamais hésité à recommencer. À 57 ans, elle ne compte plus ses déménagements.

Grande amoureuse, elle a vécu des histoires fortes et passionnées avec Daniel Auteuil, avec le compositeur de musique David François Moreau, le producteur Vincent Meyer, l’acteur Michaël Cohen, et partage aujourd’hui la vie du réalisateur de documentaire Frédéric Chaudier. «J’étais très touchée, confie-t-elle, quand Ludovic Bergery m’a parlé de L’Étreinte. Parce qu’on a tous connu ces périodes où il faut se réinventer. Soit parce qu’on a perdu quelqu’un, soit parce qu’on a été quitté, ou parce qu’on a quitté. Cet endroit, cet espace entre le plein et le vide où d’un seul coup tout est possible… Mais où il y a aussi cette notion du temps qui passe, du temps qui reste à vivre. Margaux ne pourra pas rattraper ce qui est derrière elle.»

Jouer

Ce tournage «dans l’urgence, avec peu de moyens», a «réveillé [son] envie de faire du cinéma» après une décennie passée, à quelques exceptions près, sur les planches des théâtres. À la fin des années 2000, elle n’en fait pas mystère, «les propositions de scénario sont devenues moins fortes. Peut-être parce qu’il faut du temps au cinéma pour passer d’un âge à un autre. Il y a cette tendance à vous figer dans celle que vous avez été». Lucide, elle admet sa part de responsabilité, reconnaît qu’elle est «incapable d’appeler un réalisateur», inapte à demander.

«Je n’ai jamais eu à me battre au cinéma. Et c’est vrai qu’à un moment, j’ai eu un passage à vide où j’ai aussi refusé des choses parce que je ne ressentais plus la nécessité.» Du metteur en scène Stanislas Nordey, qui l’a appelée en 2009 pour lui proposer de jouer dans Les Justes, de Camus, elle dit qu’il lui a «sauvé la peau». Elle a enchaîné depuis trois pièces avec lui, et deux avec Pascal Rambert, «mon autre acolyte, ils sont mes deux grandes rencontres». En septembre devraient démarrer les répétitions de Penthésilée, de Heinrich von Kleist, mis en scène par Nordey, tandis que Pascal Rambert finit d’écrire pour elle un projet intitulé Violence.

Avancer

Révélée en 1986 par Manon des sources, de Claude Berri, Emmanuelle Béart a tourné avec les plus grands réalisateurs, Jacques Rivette, André Téchiné, Claude Sautet, Claude Chabrol, Raoul Ruiz, Olivier Assayas, sans oublier l’incursion américaine du Mission impossible de Brian De Palma, face à Tom Cruise. Elle en garde des souvenirs magnifiques, «qui ont fait celle que je suis», mais aucune nostalgie. «Quand les journalistes veulent me faire parler de ma carrière, je ne sais jamais quoi répondre, je m’ennuie. Parce que c’est passé, et que je suis ancrée dans le présent. Peut-être parce que j’ai un môme de 12 ans, parce que je suis amoureuse, pour toutes ces raisons-là, je ne sais pas, mais c’est avancer qui m’intéresse, pas regarder en arrière.» En avant donc, l’actrice s’apprête à tourner une série pour TF1, Le Syndrome E, adaptée du roman de Franck Thilliez – «où je joue la big boss de la Crim», s’amuse-t-elle. «Et puis je lis, je dévore des livres pour essayer de trouver un sujet à adapter, parce que j’ai très envie de passer à la réalisation.»

La douceur. Chemise en crêpe viscose, Ami. Créole L’Heure du Diamant, en or blanc, émeraudes et diamants, Chopard.

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La liberté. Chemise en coton, Dior. Pantalon en viscose, Barbara Bui. Créole L’Heure du Diamant, en or blanc, émeraudes et diamants, Chopard.

S’engager

On se souvient de son visage pâle, lèvres serrées, entre deux policières, à l’évacuation de l’église Saint-Bernard, à Paris, après plusieurs nuits avec les sans-papiers. Ce jour d’août 1996, Emmanuelle Béart perd son contrat avec Dior et révèle son tempérament d’indignée. Vingt-cinq ans plus tard, après Sol En Si, l’Unicef, le Droit au logement rue de la Banque, elle ne sait toujours pas «fermer les yeux». Elle a signé une tribune de soutien aux «gilets jaunes», publié, pendant le premier confinement, un texte appelant à une véritable transition écologique, et milite comme porte-parole de Stop exclusion énergétique.

Avec son mari, elle est allée à la rencontre de familles «qui vivent dans l’insalubrité complète». Ils ont tourné un spot d’appel aux dons, ont prévu de poursuivre par un documentaire. «On a une maison de production, c’était celle de mon père, qu’on a réveillée avec ma grande sœur, Ève Béart. J’y passe du temps. On a un film, Révolution sida, réalisé par mon mari, qui va sortir. On est en cours d’écriture d’un documentaire sur les banlieues… Après, il y a d’autres sujets sur lesquels je ne m’engage pas directement, mais qui me percutent. Comme le combat des femmes. Et MeTooInceste, la lutte contre la maltraitance des enfants, tout cela a sa place dans votre article.»

Réparer

Fille du chanteur Guy Béart et de l’actrice Geneviève Galéa – vite devenue militante communiste à plein temps -, Emmanuelle Béart a grandi avec sa mère, à Cogolin, dans le Var. Aînée de cinq enfants, elle s’occupe des cadets, très tôt responsabilisée. Lorsqu’on relit ses interviews depuis le début, il semble qu’elle sème des petits cailloux, évoquant ici une «blessure de chair» dans l’enfance, là des choses qu’elle a tues pour «protéger» sa famille, décrivant «la peur» – «un sentiment que je connais très, très bien» – ou bien encore sa «fuite» dans le cinéma. Ambassadrice de l’Unicef de 1996 à 2006, elle explique qu’aider à soigner des enfants n’est pas seulement un acte d’altruisme, mais aussi une façon de se réparer soi. Mais nous arrête à la première question : «Je ne répondrai pas.» Sur ce sujet, elle n’ira « pas plus loin », en tout cas pas maintenant. «Il se pourrait… plus tard, autrement.»

Transmettre

Une autre chose qui frappe, qu’on regarde les interviews ou le compte Instagram d’Emmanuelle Béart, est qu’elle ne peut s’empêcher de parler de ses trois enfants, tout en réussissant à les protéger. À peine sait-on que Nelly, qu’elle a eue avec Daniel Auteuil, travaille dans une société de production, que Yohann, fils de David François Moreau, poursuit de hautes études ou que Surafel, adopté avec Michaël Cohen, se lève à 6 h 30 le matin… Et pourtant, sans cesse ils surgissent, au détour des lignes ou des photos, silhouettes ombrées ou de dos, à ses côtés.

https://instagram.com/p/CCozV5fiKlI

Emmanuelle Béart avait cinq ans lorsque sa mère a fondé l’association Respect Solidarité. De cet engagement, la fille a d’abord retenu le manque de sa mère, sans cesse au front d’un nouveau combat. «C’est vrai que son absence m’a profondément marquée. Et que je ne voulais pas reproduire ce schéma. J’étais terrorisée, parce qu’on parle toujours de la reproduction des schémas familiaux comme d’une fatalité.» Ainsi accompagne-t-elle les réveils matinaux et les devoirs d’école de Surafel, «même si je rêve parfois d’embaucher une nounou, je n’en ai pas parce que je veux rester en contact direct, je veux être là.» Dans ce parcours résolument vers l’avant, il n’y a pas de place pour le ressentiment. «Je me suis réconciliée avec ma mère. J’en ai eu besoin très tôt, et ça s’est fait assez vite. Après, les cicatrices sont là. On vit avec.»

L’Étreinte, de Ludovic Bergery, avec Emmanuelle Béart, Vincent Dedienne, Tibo Vandenborre, Eva Ionesco.

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