Entre apparence et résilience, comment la beauté s'est métamorphosée au gré des confinements
Depuis un an, elle semble vivre entre parenthèses, mais en fait la crise a accéléré sa métamorphose, et nous poursuivons le mouvement, petit bilan.
Et maintenant ? Que va-t-on faire ? Une orgie de make-up ? Regarder pousser ses poils en touillant ses masques capillaires dans la cuisine ? Tout oublier et revenir à l’obsession des canons de beauté ? Passer de l’avocat à la vodka ? Sans doute pas. Une crise pareille, ça laisse des traces. Dans nos corps, nos esprits, notre peau fragilisée, agressée, étouffée… Et dans les magasins fermés, ouverts, refermés, mi-ouverts. Pendant ce temps, les tendances émergentes ont passé la cinquième avec des formules plus naturelles, des emballages plus écolos, des impacts plus positifs pour l’environnement et la société.
En un an, même les visages de la beauté se sont aussi considérablement diversifiés. Couleur, poids, âge, sexe… Fini le modèle unique ! Pour Nuria Perez-Cullel, présidente de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, tout va perdurer : «Le Covid nous a fait peur, a montré qu’on pouvait changer de vie du jour au lendemain.» Christian Clot, auteur de Covid et après ? Notre nouvelle terre inconnue *, nous invite, lui, à abandonner le concept de résilience pour entrer en «adaptance», c’est-à-dire la capacité à nous adapter à des situations nouvelles pour construire autre chose. Et cela commence par notre rapport à autrui et à notre image.
Pour l’économiste Claudia Senik, professeure à Sorbonne Université et directrice de l’Observatoire du Bien-Être du CEPREMAP, qui a étudié l’économie du bonheur, on est plus heureux lorsqu’on a des interactions avec les autres et des activités variées. On a besoin d’exister en tant qu’individu mais on a aussi besoin du groupe, d’ être visible aux yeux des autres. Ce que le sociologue américain Erving Goffman appelle «l’interactionnisme».
Or, la crise et le télétravail nous privent d’une partie de notre moi social. Au début, le premier confinement a généré à la fois un sentiment d’anxiété mais aussi de liberté. Certaines femmes étaient soulagées de ne plus être en représentation permanente, mais dès le deuxième, en novembre, les mêmes ont ressenti un manque, une frustration, notamment à cause de la disparition des temps sociaux qui nous structurent.
Le fait d’ être sur son lieu de travail active une partie de son identité et fait du bien. D’où l’importance pour certaines de «se faire belle» juste pour les réunions Zoom. Le simple fait de se maquiller et de mettre des chaussures change la donne ! La preuve si besoin que la beauté a une réelle utilité sociale et n’ a rien de futile, qu’ elle contribue à l’estime de soi et même à la santé !
Du soin, du soin, encore du soin
Pas de sorties, plus de temps… Alors on s’est occupé de soi et on a décliné le care à tous les modes dans les seuls commerces restés ouverts près de chez soi : le supermarché (où les rayons de soins capillaires et de coloration maison se sont vidés aussi vite que ceux des pâtes) et la pharmacie. «Le Covid a fortement impacté le marché de la beauté, confirme Nuria Perez-Cullel, qui pointe trois faits majeurs.
Le double-nettoyage en vidéo
La consommatrice est de plus en plus en quête de santé, de soins qui apaisent, réparent, protègent avec une recherche d’efficacité et de tolérance. Les mots magiques ? Fonction barrière, assainissant, hygiène, immunité, microbiote. Deuxième tendance : le retour à la simplicité et aux basiques, comme les hydratants et les produits multifonctions faciles à comprendre, à utiliser. D’où le succès de Tolérance Control d’Avène pour les peaux hypersensibles. Enfin, les femmes ont envie de marques avec des histoires, des engagements forts, authentiques et concrets avec une prime au made in France, au local, au circuit court.»
Faute de masques et de vaccins, l’esprit cocardier s’est réveillé dans la salle de bains. Même discours pour Élise Ducret, chief marketing & digital officer chez L’Oréal, dont les marques Sanoflore, Garnier, La Roche-Posay, Dop, Cadum… sortent du lot en 2020. Autrement dit, le bio, le local. la sécurité, la réassurance, l’engagement… Ce que chez Sephora, on appelle joliment «cœur vert» (l’environnement) et « cœur rouge » (la société).
Autre phénomène marquant, la digitalisation de la beauté. La crise a aussi considérablement boosté la vente en ligne. «On a gagné trois ou quatre ans, confirme Élise Ducret. Pendant le confinement, les gens étaient connectés cinq heures par jour en moyenne, dont deux ou trois sur les réseaux sociaux. Si l’expérience en magasin reste importante et que l’e-commerce ne représente toujours qu’une infime partie du marché, il est devenu un usage courant pour tous les âges et dans les coins les plus reculés de l’Hexagone. On ne reviendra sans doute pas en arrière.»
Et le luxe dans tout ça ? Il s’en sort plutôt bien grâce à la Chine, devenue notre principale zone d’exportation, avant les États-Unis et l’Allemagne. Un rouge à lèvres sur quatre part là-bas, selon Patrick O’Quin, président de la FEBEA (fédération française des industries cosmétiques). Le secteur sait que le salut a deux règles : ne jamais sacrifier le prix de vente et la qualité des produits.
Laissons le dernier mot à Audrey Hepburn qui s’y connaissait en matière de chic et de séduction : «Je crois en la couleur rose. Je crois que rire est la meilleure façon de brûler des calories. Je crois aux baisers. Je crois qu’il faut être forte quand tout semble aller mal. Je crois que les filles joyeuses sont les plus jolies. Je crois que demain est un autre jour et je crois aux miracles.»
* Éditions Michel Lafon, 312 p., 15,95 €.
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