"Si le vent tombe", fable sur un Haut-Karabakh dans une situation surréaliste, filmé quelques mois avant une guerre dévastatrice
En découvrant le Haut-Karabakh, Nora Martirosyan, Arménienne qui réside à Montpellier, a été saisie par « l’absurdité de la situation » de cette terre disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et a voulu en faire un film, a-t-elle confié à l’AFP. Si le vent tombe, fable sur un aéroport sans avions, sort mercredi 26 mai au cinéma.
La cinéaste arménienne a choisi de raconter l’histoire d’un auditeur international, Alain Delage (joué par Grégoire Colin), qui débarque dans cette république autoproclamée (en 1991) pour expertiser l’aéroport, flambant neuf : le bâtiment fait la fierté nationale, mais en raison de l’imbroglio politique, n’a jamais pu servir.
L’aéroport, symbole « physique » d’un « espoir de reconnaissance »
Empreinte de poésie et de surréalisme, l’histoire est inventée, mais l’aéroport, perdu dans les vastes plaines du Caucase, existe bien. Ses difficultés pour ouvrir aussi. À la connaissance de Nora Martirosyan, il s’agit de l’unique long-métrage de fiction tourné dans cette région peuplée d’Arméniens depuis des siècles, et qui se bat depuis trente ans pour rectifier le découpage administratif imposé par Staline en 1921 dans le cadre de l’organisation des territoires au sein de l’URSS.
Si le vent tombe est aussi premier film arménien sélectionné à Cannes – édition 2020 – depuis des décennies. « J’ai découvert ce pays il y a onze ans et j’ai été saisie par l’absurdité de la situation : j’avais un pays devant moi, mais qui n’existe pas sur les cartes », a expliqué à l’AFP la réalisatrice en fin de semaine dernière. « De toutes ses forces, le gouvernement, les habitants faisaient semblant d’une forme de normalité. »
Dans ce film de fiction,« l’espoir de reconnaissance [du Haut-Karabak] est symbolisé physiquement, visuellement, par cet aéroport, et par la capacité de l’aéroport en tant qu’institution de lier un pays inexistant au monde », a précisé Nora Martirosyan mardi 26 mai sur France Inter.
Tourné au milieu des vastes étendues de la région, le film fait écho à cette situation suspendue, où la paix ne tient qu’à un fil. Il joue aussi du décalage avec le point de vue de l’auditeur international, dont la neutralité affichée et les certitudes se fracassent sur la réalité et les aspirations du peuple du Haut-Karabakh, renommé Artsakh par ses habitants.
Avec la guerre, le film est devenu le témoignage d’une période révolue
Filmer sur les lieux, c’était « comme avoir un énorme studio à l’échelle d’un pays », relate Nora Martirosyan. Et pour l’équipe, une dizaine de Français dont l’acteur Grégoire Colin dans le rôle principal, et des Arméniens, ce « n’était pas juste comme une occupation, ça faisait sens ». Un sens et une portée qui vont être bouleversés par le retour de la guerre, à l’automne 2020, quelques mois après le tournage.
Ce qui devait être un film sur le destin absurde des habitants d’une République sans reconnaissance internationale, devient aussi l’unique témoignage sur grand écran d’une période révolue. Entre fin septembre et début novembre 2020, les troupes azerbaïdjanaises et les soldats de la république autoproclamée du Nagorny Karabakh, soutenus par Erevan se sont violemment affrontés, suite à l’offensive lancée par Bakou soutenue par Ankara.
Les combats se sont soldés par une défaite douloureuse du Nagorny Karabakh, contraint de céder d’importants territoires à l’issue d’un cessez-le-feu signé sous le parrainage de Moscou. Depuis, la tension est toujours vive, malgré des pourparlers récents entre Arménie et Azerbaïdjan.
« Plusieurs lieux de tournage sont passés de l’autre côté »
« Plusieurs lieux du tournage, dont des villages, sont passés de l’autre côté, on n’y a plus accès, des personnes ont été déplacées », expliquait en février la réalisatrice. « C’est particulier de regarder aujourd’hui le film, avec ces nouvelles frontières redessinées. L’aéroport, aujourd’hui, ce sont les militaires russes qui y sont, et ils veulent le faire fonctionner comme aéroport militaire. »
Il n’a pas été question pour autant de revoir le montage du film, au fil des mois de confinement qui se sont écoulés avant la sortie : « Tel qu’il est », il raconte « une vérité, le cessez-le-feu et une espèce de fausse paix qui a duré trente ans », déclare Nora Martirosyan.
Dans son interview accordée à France Inter mardi 26 mai, Nora Martirosyan s’exprime sur le film et sur la guerre qui a frappé le Haut-Karabakh à l’automne 2020.
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