Pourquoi les séries médicales continuent-elles de cartonner ?
Les séries médicales font partie intégrante du paysage audiovisuel. Mais alors, pourquoi continuent-elles de cartonner même si elles sont de plus en plus nombreuses ?
Tout le monde a un jour regardé une série médicale, que ce soit un épisode d’Urgences avec George Clooney, Grey’s Anatomy avec Ellen Pompeo, Good Doctor avec Freddie Highmore, Scrubs avec Zach Braff ou encore Dr. House avec Hugh Laurie… Au fil des années, même la France s’y est mise en proposant des séries comme la mythique H avec Jamel Debbouze, Eric Judor et Ramzy Bedia ou plus récemment avec des séries telles que Les Bracelets Rouges, Hippocrate. Que ce soit des séries humoristiques, décalées ou plus sérieuses, personne n’a échappé à ce phénomène et il est temps de se demander pourquoi elles continuent de cartonner alors qu’elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses.
Le succès des séries médicales remonte déjà à très longtemps… Il faut retourner en 1951 pour découvrir celle qu’on considère comme la toute première aux États-Unis, City Hospital, suivie de près par The Doctor en 1952.Toutes deux reprennent les codes de la médecine dans un hôpital, s’intéressant aux émotions des patients. La première série médicale ayant connue un véritable succès était M*A*S*H en 1972, rassemblant en moyenne 16,61 millions de téléspectateurs. Elle évoquait la vie des médecins et leurs relations dans un hôpital militaire au milieu de la guerre de Corée. En 1993, on découvre Docteur Quinn, Femme Médecin, une série regardée par près de 9 millions d’américains, qui a aussi connu un véritable succès en France. L’hexagone se lance quelques années plus tard dans la création de séries médicales dont la première, Médecins de nuit, a été diffusée entre 1978 et 1986 et était composée de 5 saisons.
I – Quelles sont les séries médicales qui fonctionnent le plus ?
Si aujourd’hui, on regarde de plus près les chiffres des séries médicales dans l’ère du temps, le succès est encore plus flagrant. Par saison, aux États-Unis, Urgences réunissait près de 19,56 millions d’américains. Docteur House en comptait 14,21 millions, alors que Good Doctor était suivie par 13,90 millions de fidèles chaque saison. Quant à Grey’s Anatomy, elle comptabilise de son côté 11,98 millions de téléspectateurs chaque année. Pour se rendre compte de leur succès, il suffit de les comparer à certaines séries très connues portant sur d’autres thèmes. Une des plus fortes reste évidemment Friends, avec 23,67 millions de téléspectateurs chaque saison, mais les chiffres de NCIS se rapprochent fortement des séries médicales avec 16,82 millions. À titre de comparaison, à la télévision américaine, Game of Thrones n’a réuni que 6,87 millions de téléspectateurs en moyenne par saison ! À l’heure actuelle, les États-Unis ont créé 72 séries médicales, et c’est sans compter les séries mettant en lumière les sapeurs-pompiers, un milieu qui se rapproche énormément des hôpitaux, telles que Rescue Me, Station 19, Chicago Fire ou 9-1-1, certaines étant même des spin-off de séries médicales. Si on inclut donc les séries sur les pompiers à celles sur les chirurgiens, le domaine médical à la télévision prend encore plus d’ampleur ! D’ailleurs, d’après le professeur George Ikkos, président du secteur psychiatrique de la Royal Society of Medecine, si elles ont autant de succès, c’est parce que les personnages sont le plus souvent décrits comme “des personnes ordinaires à la carrière extraordinaire”, de quoi permettre un sentiment de réalité chez les téléspectateurs.
On note aussi que les séries médicales reprennent souvent les mêmes codes pour séduire les téléspectateurs et les captiver au fil des intrigues. Outre l’aspect médical qui parle à tout le monde, elles mettent aussi la lumière sur les relations entre les personnages, notamment les histoires d’amour. Découvrir des moments de la vie intimes des chirurgiens, leurs péripéties amoureuses et familiales, tiennent les fans en haleine. Si les relations entre les médecins permettent de jouer sur l’affect et provoquent des émotions chez les téléspectateurs, les séries médicales n’hésitent pas non plus à poser sur la table des sujets de société dans l’ère du temps. Que ce soit les dégâts provoqués par le port d’armes à feu, les violences conjugales et familiales, les agressions ou le racisme, tous les sujets sont abordés par les séries, de manière à faire tomber les tabous. Même Grey’s Anatomy et Docteur House, entre autres, ont parlé de la misère de l’hôpital, du manque de moyens accordés par l’État aux soignants, mais aussi la difficulté pour accéder aux soins, notamment aux États-Unis, où chaque hospitalisation est payante.
On a donc demandé à deux fans de séries médicales leur avis sur ce succès, et leurs réponses rejoignent celle des professionnels. Solène B. nous a d’abord confié : “Un des éléments qui me semble important, c’est l’association de l’histoire globale des personnages avec les petites histoires épisodiques liées aux patients. Ça permet d’entretenir l’intérêt des spectateurs. En plus de ça, le métier de médecin est un métier extrêmement important (ce qu’on réalise d’autant plus aujourd’hui) et qui du coup fait un peu rêver. De les voir sauver des vies, même fictives, ça apporte un peu de baume au coeur. Et comme bien évidemment la vie n’est pas toute rose, il arrive également qu’ils perdent des patients. Ce côté émotionnel, je pense que ça touche beaucoup les gens et que ça leur donne envie de regarder. Quand l’épisode commence, on a envie de savoir si le patient va survivre, si sa maladie va pouvoir être soignée, s’il va pouvoir garder son membre blessé et j’en passe, et ça nous tient en haleine jusqu’à la fin.” Quant à Dana Z. voici son avis : “Si il y a toujours autant de séries médicales créées, c’est car c’est un fait actuel. Tout le monde va un jour à l’hôpital, aux urgences, ou bien se fait opérer, ça fait partie de la vie de tous. Aussi, on se sent emporté par les intrigues, on compare leurs histoire aux nôtres, on s’y retrouve… Le monde médical, c’est quelque chose qui passionne, on admire leur savoir faire, leurs connaissances, c’est un domaine un peu supérieur, qui inspire.” Ces séries permettent donc de développer une sorte d’attrait autour de la médecine, un sujet fort et ancré, un peu comme la fascination qu’on peut avoir autour de la mort.
II – Les séries médicales reflètent-elles vraiment la réalité ?
Mais les séries médicales collent-elles vraiment à la réalité ? Évidemment, comme la plupart des créations audiovisuelles, il y a quand même un peu de fiction, voire même beaucoup selon certains cas. Plusieurs professionnels de santé s’accordent à dire que les séries décrivent assez mal la réalité, romançant beaucoup les urgences, le temps d’attente d’un patient arrivé à l’hôpital, ou encore le travail et les études des médecins avant de devenir titulaires. Lise, une étudiante en médecine, avait déjà confié à melty il y a quelque temps : “Il faut avoir une envie personnelle très forte pour se lancer dans ces études de médecine… Les premières années ne sont vraiment pas les mêmes décrites que dans les séries”. En général, dans les séries médicales, les hôpitaux semblent toujours propres, les médecins n’ont pas l’air si débordés que cela et il y a toujours au moins une ou deux personnes compétentes pour s’occuper des patients assez vite, ce qui est évidemment bien plus compliqué dans la vraie vie, comme tout le monde s’en doute.
Des chercheurs du St Joseph Hospital et du centre médical de Phoenix en Arizona ont d’ailleurs mené une enquête en prenant l’exemple de la série médicale à succès Grey’s Anatomy. Ils ont comparé le scénario de certains patients avec ceux qui se déroulent dans la vraie vie, en milieu hospitalier, et les chiffres parlent d’eux-mêmes. La différence est d’abord flagrante en ce qui concerne les urgences. Dans la série, 71% des patients arrivés sont directement emmenés en salle d’opération, alors qu’en réalité, seulement 1 patient sur 4 suit ce parcours. Quant à la durée d’hospitalisation, dans la fiction, on observe qu’environ 50% des patients restent au moins une semaine à l’hôpital, histoire de construire des intrigues autour d’eux, alors que dans la vraie vie, seulement 20% y passent une durée aussi longue. Quant aux différences post-opérations, elles existent aussi entre la fiction et la réalité. Dans Grey’s Anatomy, il est très rare d’observer des patients être transférés en maisons de repos (6%), tandis que dans le monde actuel, 22% y sont conduits pour la rééducation après une hospitalisation. Enfin, il y a une autre différence à noter, et pas des moindres. Pour proposer des scénarios plus intrigants et captivants que jamais, Grey’s Anatomy a tendance à faire mourir 22% de ses patients hospitalisés, contre, heureusement, 7% dans la vraie vie.
On note cependant une exception dans les séries médicales. Parmi toutes celles qu’on a évoqué précédemment, Grey’s Anatomy, Dr. House, Scrubs ou encore Chicago Med etc., une se dégage des autres pour son côté plus réaliste : Urgences, qui a permis de faire décoller la carrière de George Clooney. Diffusée de 1994 à 2009 sur NBC, la série a connu un large succès et a été plébiscitée par de nombreux médias et spécialistes du monde médical, saluant son réalisme plus poussé que les autres créations télévisées. Si Vanityfair qualifiait Urgences comme étant “la synthèse parfaite entre le réalisme des situations médicales et le souffle romanesque du soap-opera hospitalier”, c’est surtout les propos du médecin François Moreau à Doctissimo que l’on retient. Voilà ce que confie l’homme exerçant chaque jour dans un hôpital : « Urgences présente un degré de réalisme très proche de la réalité. Ils travaillent avec des conseillers médicaux pour que tout soit crédible. C’est une description extrêmement précise du travail des urgentistes. Tant dans les situations que dans les gestes effectués, on a parfois l’impression de revivre des situations professionnelles”. Et justement, ce réalisme s’exprime avec le succès de la série. La preuve, Urgences a reçu 156 récompenses dans toutes les cérémonies et remises de prix confondues, contre 75 pour Grey’s Anatomy et 57 pour la série Docteur House. Urgences a d’ailleurs été élue la meilleure série médicale de tous les temps par un comité de soignants américains.
Les séries médicales essayent de coller à la réalité malgré la fiction et l’envie de romancer les histoires. Beaucoup d’entre elles font appel à des spécialistes de la médecine pour intégrer leurs équipes de scénaristes et fournir des termes exacts, pour coller à la vraie vie. Hope Jackson, résidente dans un hôpital de Washington DC, a rejoint la team de Grey’s Anatomy pour l’écriture des saisons 9 et 10 : “On m’a posé des questions sur le scénario, pour être sûre que les références médicales étaient précises. J’ai aidé les acteurs à prononcer des terminologies médicales correctement et j’ai aidé les gens des plateaux à s’assurer que la scène ressemblait vraiment à une salle d’opération.” Quant aux chirurgiens qui, dans chaque série médicale, semblent être d’un seul coup frappé par une illumination ou découvrent une maladie rare, elle a confirmé que cela pouvait aussi arriver dans la vraie vie : “Les auteurs demandaient si un scénario médical était possible ou s’était déjà produit… Je faisais des recherches et je trouvais un rapport de cas dans la littérature où c’était arrivé, un cas médical intéressant qui pourrait aider à raconter l’histoire que l’écrivain voulait” a-t-elle conclu. Comme quoi, toutes les maladies farfelues ne sont pas inventées !
III – Pourquoi les séries médicales auront-elles toujours du succès auprès des téléspectateurs ?
En réalité, si les séries médicales continuent de cartonner et ne cesseront sûrement jamais d’être créées et élaborées par les scénaristes et producteurs, c’est parce que d’une façon ou d’une autre, la thématique fait partie de notre quotidien, qu’on le veuille ou non. Tout le monde, un jour dans sa vie, est en contact avec son médecin, débarque aux urgences, doit subir une opération, accompagne ou rend visite à un de ses proches dans un hôpital… C’est en tout cas ce qui ressort de la thèse menée par Kévin Dabène, étudiant en médecine. La plupart des personnes interrogées relèvent le fait qu’on se sent impliqué, qu’on se projette dans une situation, et qu’on se retrouve un peu dans l’histoire, en ayant parfois même l’impression de regarder un documentaire. Il faut justement noter que les scénarios sont quand même construits à partir d’histoires vraies : Les noms des médicaments, des maladies, des opérations ne sont pas inventés, des professionnels de la santé sont contactés pour aider les scénaristes et il y a donc une part de réalité dans toutes ces séries médicales.
Finalement, hormis peut-être les séries sur les histoires de famille dans lesquelles tout le monde peut aussi se retrouver, le thème médical est sûrement le plus général, permettant de s’identifier à l’intrigue d’une manière ou d’une autre. C’est d’ailleurs ce que raconte Laurent Jullier, théoricien français du cinéma à Atlantico : “Tout le monde n’aura pas affaire à la police ou au juge d’application des peines entre la naissance et la mort, mais tout le monde a eu ou aura affaire à un médecin et a fait ou fera un séjour à l’hôpital. Cela met le spectateur en position de force, car il est capable de voir si le portrait du médecin au travail, sur l’écran, est conforme à ce qu’il a vu quand il est allé en consulter un. Tandis que rares sont les spectateurs qui ont vu travailler sur leur cas un lieutenant de police, un avocat d’assises ou un commissaire.” Dans une série policière, les gens s’amusent à deviner qui va être tué, ou qui est l’assassin. Dans une série médicale, c’est beaucoup plus compliqué, car les codes sont différents, la réalité prend parfois le dessus et c’est comme si l’intrigue était légèrement incontrôlable, comme si le sort des patients reposait entre les mains des soignants fictifs.
Les séries médicales sont aussi une façon de se soigner de ses propres maux. Dans ces créations audiovisuelles, on assiste à des drames, des tragédies, des moments parfois peu joyeux, et ces scènes permettent à chacun de panser ses blessures d’une manière différente… Il y a comme une envie de regarder ces séries où une multitude d’actions et de péripéties se déroulent, presque comme pour oublier les épreuves de notre quotidien, pour se plonger dans d’autres évènements et moments à affronter à travers la fiction. D’ailleurs, certaines séries médicales, outre cette capacité à miser sur l’émotion, utilisent aussi l’affect en centrant l’intrigue sur un chirurgien en particulier. Avec Docteur House et Gregory, Good Doctor et Shaun Murphy ou encore Grey’s Anatomy et Meredith, les héros sont un repère, un véritable point d’attache pour chaque téléspectateur, qui l’aide à créer comme une sorte de lien affectif avec la série. Les visages, les prénoms et les histoires restent, comme si ces chirurgiens faisaient partie de notre quotidien. En clair, les séries médicales arrivent à allier le fictif au réel, en utilisant un sujet de société qui touche tout le monde, et ne cessera jamais de nous surprendre. Voici pourquoi elles cartonnent autant et ont encore de beaux et longs jours devant elles, c’est sûr !
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