"Pour la France" : Rachid Hami interroge le bizutage tragique à Saint-Cyr en 2012 dans un film poignant
La noyade de Jallal Hami à 23 ans lors d’un bizutage (« bahutage » dans le jargon local) à l’école de Saint-Cyr Coëtquidan (Morbihan) en 2012, avait été vite étouffée par la grande muette. Le réalisateur Rachid Hami, frère de la victime, prend ce travail de mémoire comme point de départ d’un film sans concessions sur la diaspora algérienne des années 90 au sein d’une famille éclatée. Magnifiquement écrit, réalisé et interprété, Pour la France sort en salles mercredi 8 février.
Construction savante
Bizutage tragique à l’École Militaire de Saint-Cyr le 30 octobre 2012 : Aïssa, 23 ans, se noie dans un étang lors d’un rituel d’intégration. La nouvelle frappe une famille dont la mère a quitté l’Algérie en 1992 avec ses deux enfants, et dont le père est resté sur place. Ismaël, le grand frère, fait face à une autorité militaire embarrassée pour rendre justice à Aïssa, et se remémore leur enfance jusqu’à leurs derniers jours à passés ensemble, à Taipei.
Les premières images évoquent une scène de guerre d’Apocalypse Now : la traversée nocturne d’un étang par un bataillon, dans une panique générale avec des feux éparses dans un brouhaha et un stress éprouvant. Puis on se retrouve en Algérie en 1992 où le GIA sévit, poussant une mère de famille à partir seule avec ses deux fils pour la France. La suite va raccorder les deux événements dans une construction savante pour exposer un drame qui va se transformer en tragédie.
Antigone
Ismaël, c’est Antigone. Comme elle dans la pièce de Sophocle, il cherche à convaincre les autorités à donner des funérailles dignes à son frère. Rachid Hami construit son film en alternant l’action présente avec le passé. Le montage parallèle permet de creuser en même temps les liens existant entre Ismaël et son frère, et les raisons de son entêtement à obtenir la reconnaissance des autorités militaires à son égard. Les deux récits menés de front permettent de justifier la mission dans laquelle s’est engagé Ismaël.
Le sentiment qui en ressort met dos à dos les opinions tempérées de la mère et de son nouveau mari face à l’opiniâtreté d’Ismaël, et l’embarras qu’a l’armée à minimiser les faits. Elle aura le dernier mot, laissant un goût amer à la famille. Entre les deux : l’histoire mouvementée de deux frères, dont l’un vit de débrouilles et l’autre porté par une foi patriotique fanatique pour la France qui, finalement, lui plantera un couteau dans le dos. Complexe et équilibré dans les sentiments qu’il expose, et fascinant dans son récit remarquablement écrit et filmé par Rachid Hami, Pour la France touche au cœur et à l’esprit.