À Paris, le célèbre cinéma associatif La Clef a trouvé un repreneur, ses défenseurs n'en veulent pas
Occupé depuis des mois, le cinéma parisien La Clef a trouvé un repreneur, prêt à mettre plusieurs millions d’euros pour ce temple du 7e art. Mais d’irréductibles cinéphiles continuent le combat, convaincus que l’âme du lieu est menacée.
Un lieu de transmission à part
Lieu de transmission depuis les années 1970, ce cinéma de deux salles est situé au cœur de Paris, dans le quartier Latin, soumis à une forte spéculation immobilière. Il a changé plusieurs fois de mains et s’est fait une place à part en offrant une visibilité à des cinéastes africains, asiatiques ou sud-américains peu programmés ailleurs. Mais l’équipe a été mise au pied du mur par le propriétaire, le comité d’entreprise des Caisses d’Epargne, décidé à se défaire de son bien.
Après des mois d’une occupation défendue par une pléthore de personnalités, de Cédric Klapisch à Jean-Luc Godard, un repreneur a mis 4,2 millions d’euros sur la table, s’engageant à maintenir le cinéma. Ça semble inespéré, surtout dans le contexte actuel. « Nous avons envie de faire une programmation à la fois pointue et engagée, en lien avec notre ADN, la solidarité et la préservation de l’environnement », explique à l’AFP Nicolas Froissard, l’un des dirigeants de ce repreneur, le groupe SOS, l’une des plus grosses associations de l’économie sociale et solidaire (21.000 salariés), présent dans l’emploi, les seniors, la jeunesse…
La vente ne sera effective qu’à la fin de l’occupation
Pourtant, le collectif Home Cinéma n’a aucune intention de mettre fin à l’occupation, un préalable pour que la vente soit effective. « On préfère encore être expulsés qu’absorbés par un groupe comme ça. Nous, on ne veut pas faire du fric mais préserver le dernier cinéma associatif de Paris », s’emporte auprès de l’AFP l’un des fers de lance de l’occupation, Derek Woolfenden. « Ils ne veulent pas du tout sauver le cinéma, mais privatiser les salles pour des évènements, faire une start-up du cinéma et un putsch immobilier », accuse-t-il.
Et l’opposant à la vente de pointer la personnalité du fondateur de SOS, Jean-Marc Borello, un très proche d’Emmanuel Macron, présent dans les instances dirigeantes d’En Marche. Un épouvantail pour ces militants, qui organisent la suite de la mobilisation, dans le hall d’accueil du cinéma, aux allures de MJC des années 1980, tables d’école et peintures défraîchies.
SOS, dont l’ambition affichée est de « démontrer que la performance économique pouvait être mise au service de l’intérêt général », montre de son côté patte blanche. Nicolas Froissard dénonce le procès d’intention, et explique qu’en tant que propriétaire, il s’engage « par écrit » à poursuivre l’activité cinéma. « Notre discours a toujours été de travailler avec qui veut travailler avec nous. On garantit une indépendance totale (dans la programmation), on n’aura aucun mot à dire là-dessus », martèle-t-il.
Les défenseurs du cinéma se tournent vers la mairie
Les détails du projet n’ont pas encore été dévoilés, mais le groupe peut mettre en avant un lieu consacré au cinéma et à la banlieue, géré à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Face au blocage, certains se tournent vers la mairie de Paris, très attachée à son tissu de salles, unique au monde. La promesse de campagne de sauver la Clef n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd, et certains rêvent d’une préemption publique, courant février.
Le sujet, caillou dans la chaussure de la majorité, a été évoqué jeudi au Conseil de Paris… « Aucun engagement n’a été pris sur le maintien de l’activité cinématographique sur le long terme, rien ne peut nous assurer qu’il ne s’agit pas là d’une opération foncière », s’y est alarmée Fatoumata Koné (EELV). La préemption est impossible, car il n’y aurait pas de « motif d’intérêt général » au sens de la loi, rétorque Carine Rolland, l’adjointe à la culture de la maire (PS) Anne Hidalgo.
Sans compter qu’avec un repreneur qui met quatre millions de sa poche, la capitale, confrontée à d’autres urgences sur le plan culturel, aurait du mal à justifier son intervention. « On a toujours dit qu’on soutiendrait l’activité du collectif et qu’on veillerait à ce que perdure un cinéma d’art et essai associatif ou d’économie sociale et solidaire », résume-t-elle. « Si on ne l’avait pas fait, aujourd’hui la Clef serait un supermarché. »
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