Les temples d'Angkor sous la menace d'un «Disneyland» aquatique

Angkor, ancienne capitale de l’Empire khmer (IXe – XVe siècles), abrite deux cents temples de grès ciselé, perdus dans une jungle de quatre cents kilomètres carrés. Un décor exotique, monumental et pittoresque, digne des films Indiana Jones. La zone, enfin, est classée au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992. Pourtant, ces précieux sanctuaires sont, aujourd’hui, menacés par un projet non moins pharaonique, comme le rapporte Le Monde.

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Complexe touristique monumental

«Angkor Lake of Wonder» («Angkor, lac des merveilles»), complexe touristique aquatique de soixante-quinze hectares, est comparable à Disneyland. L’entreprise à l’origine du projet, la société chinoise NagaCorp LTD, dont la fortune provient en grande partie des casinos, y prévoit douze attractions nautiques, dont une rivière enchantée de 2,5 kilomètres – avec barques et gondoles -, un grand canal de cinq cents mètres de long, une piscine à vagues avec plage de cinq mille mètres carrés, un triple toboggan aquatique, une cascade, un marché chinois flottant et un parc marin. Ajoutez à cela de grossières copies de sculptures angkoriennes, des restaurants, des boutiques et un palace de neuf cents chambres avec vue sur l’eau. Le tout construit à seulement cinq cents mètres des temples.

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Le décalage entre le site protégé et le projet touristique saute aux yeux. Pourtant, NagaCorp annonçait, le 12 mai 2020, avoir reçu l’agrément du premier ministre cambodgien, Hun Sen. Le marché permettrait, en outre, à la société de disposer dudit terrain pendant cinquante ans (contrat renouvelable), dont il pourrait décider pleinement de la construction et de l’administration. La location de la zone resterait gratuite de sept à dix ans, puis serait facturée 29 dollars par mètre carré, pour rapporter au total près d’un milliard de dollars à l’État cambodgien. Le groupe privé investirait, lui, à hauteur de 350 millions de dollars pour la phase initiale du projet.

Mise en péril du site

Du côté des experts, c’est l’incompréhension. Lors de la réunion du Comité international de l’Unesco pour la conservation et le développement durable du site historique d’Angkor (CIC-Angkor), les 26 et 27 janvier, où il fut question de ce voisin très encombrant, les participants ont considéré comme incompatible l’authenticité de la zone – qui est aussi le plus vaste site bâti classé au patrimoine mondial – et le caractère désinvolte et massif du futur Angkor Lake of Wonder. «La taille disproportionnée du projetsemble peu compatible avec l’esprit de préservation et de gestion d’un site iconique tel que celui d’Angkor. Ilaffecterait gravement l’image de la “valeur universelle exceptionnelle” qui lui a été reconnue par le Comité du patrimoine mondial en décembre 1992», écrivent-ils dans leurs recommandations.

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Les risques pour les temples d’Angkor sont multiples. La menace d’un probable afflux massif de touristes en provenance du parc d’attractions inquiète. Le site classé victime de son succès souffre déjà, hors pandémie, du nombre toujours grandissant des visiteurs. La proximité avec Angkor Lake of Wonder ne pourrait que redoubler ce flot. Par ailleurs, et de l’aveu de l’entreprise elle-même, NagaCorp compte bien profiter de cette proximité et de l’image du site protégé pour le développement de son parc.

Un second péril, écologique cette fois, plane au-dessus de la citadelle. Angkor était une ville hydraulique. Ses empereurs ont développé tout un réseau de canalisations quadrillant ses rues et ses bâtiments. La mission de l’Unesco avait, également, pour but de réhabiliter celui-ci, endommagé après des siècles sans entretien. Objectif rempli puisque l’eau est redevenue un élément central du lieu. Le parc aquatique pourrait menacer cet équilibre retrouvé, d’autant que la présence de visiteurs étrangers implique une consommation d’eau, par personne, plus de quarante fois supérieure à la moyenne (trois cents litres par jour contre sept pour un Cambodgien).

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Désengagement de l’Unesco à Angkor ?

Ces facteurs pourraient pousser à un désengagement de l’Unesco à Angkor. Ce ne serait, d’ailleurs, pas la première fois que le statut d’un site classé patrimoine mondial lui soit retiré. En 2009, la ville de Dresde, en Allemagne, avait perdu son label, à la suite de la construction non autorisé d’un pont moderne. Mais, incrédules, les experts n’imaginent pas, pour l’instant et malgré les déclarations de l’entreprise, la présence du parc d’attractions à moins de trente kilomètres de la cité. D’autant plus qu’en 2013, à l’occasion des vingt ans de la mission du CIC, le premier ministre cambodgien Hun Sen rappelait sa volonté «de protéger Angkor, héritage sacré de l’humanité».

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