La faute à Rousseau : comment l’assassinat de Samuel Paty a bouleversé le tournage
Dans la peau de Benjamin Rousseau, prof de philo pas tout à fait comme les autres, le comédien Charlie Dupont a quitté sa Belgique pour jouer les nouveaux héros sur France 2 La faute à Rousseau. Et si on faisait les présentations ?
Télé Star : Si vous deviez présenter Benjamin Rousseau à des amis, que diriez-vous de lui ?
Charlie Dupont : C’est un type décalé. Si le terme est galvaudé aujourd’hui, il s’applique précisément à lui car Benjamin est quelqu’un qui n’est jamais vraiment à sa place et toujours en gestion de ses paradoxes. C’est un ancien punk, qui se vit comme un grand romancier maudit, mais qui est obligé d’aller enseigner la philo dans le lycée de la ville où il a grandi en retournant vivre chez sa mère, interprétée par Anny Duperey. Ses rêves de grandeurs sont mis à mal, néanmoins, il est fou de philosophie et il utilise ses talents en réglant les problèmes de ses élèves, alors qu’il est infichu de régler les siens.
Être à la fois un prof et un fils, n’est-ce pas ce qui caractérise ce personnage en le mettant au même niveau que ses élèves ?
C’est en effet une des grandes forces de l’écriture de cette série, et ce qui m’a fait aimer ce personnage. C’est d’abord un être humain avant d’être un prof de philo. On a trop souvent de la philosophie l’image d’un jeu de langage totalement abstrait, cette série la ramène à un truc de tous les jours. Construire un personnage là-dessus a été ma folle aventure car, en aidant ses élèves, c’est lui que Benjamin va découvrir. On est dans un partage. J’ai senti que mon personnage commençait à prendre forme lorsque nous poursuivions nos discussions hors plateau, avec les jeunes acteurs qui jouaient mes élèves.
Sortir la philosophie des livres n’est-il pas particulièrement nécessaire dans la crise que nous traversons ?
Absolument. Deux événements ont bouleversé le tournage. D’abord le confinement, qui nous remplissait de gratitude à l’idée de pouvoir tourner, comme un soldat qui passe avec un trésor d’une tranchée à l’autre, sous les bombes. Que le grand cliché du flic dans les séries télé soit remplacé par un penseur et un poète, ça dit quelque chose du moment que nous vivons. Puis il y a eu l’assassinat de Samuel Paty, survenu pendant que nous tournions. Nous nous sommes senti le devoir d’observer une vraie minute de silence, dans le décor de notre fausse classe. Les journées de tournage juste après ce drame, nous les avons vécues la gorge nouée. D’ailleurs nous lui avons glissé certains hommages, notamment lorsque mon personnage lit « Charlie Hebdo ».
On vous a vu tour à tour dans la peau d’un acteur porno espagnol dans la série « Hard » ou dans celle d’un naturiste dans « Fais pas ci, fais pas ça » mais rarement dans registre moins décalé justement, comme dans La faute à Rousseau…
Jouer, pour un acteur, c’est ne pas jouer. Moi qui ai plutôt été habitué comme vous l’avez souligné à jouer des personnage très loin de ma personnalité – et j’adore ça ! – ici, je me suis rapproché de moi le plus possible. A part avec sa famille – où j’espère être plus doué que lui ! – les combats, les valeurs et les coups de gueule de Benjamin, je les partage.
Cela fait près de vingt ans que vous êtes comédien, êtes-vous parvenu à dégager une certaine philosophie pour vivre ce métier de façon épanouie ?
Il y a des jours où je vous répondrai vraiment oui, et d’autres vraiment non. Pour citer Confucius : « On a deux vies. La deuxième commence quand on réalise qu’on en n’a qu’une ». Cette pensée me construit depuis mes dix-huit ans, époque à laquelle j’ai perdu un très proche. Avec ce putain de métier où l’on est sans arrêt confronté au désir des autres et où l’on peut en pleurer toute la journée, j’ai toujours eu une forme de recul car j’ai toujours su qu’il il y a plus important que de rater un rôle. J’ai une famille, des enfants, des amis, qui me construisent peut-être davantage que ce métier. Néanmoins, ça me fait bien chier quand je n’obtiens pas un rôle ! En tout cas, pendant que Benjamin se dessinait je me suis que, quel que soit le succès de la série, il va indéniablement être un personnage qui va marquer ma vie.
Vous qui êtes aussi scénariste et réalisateur, avez-vous quelques fers au feu ?
Deux jolies aventures : l’une avec François-Xavier Demaison sur laquelle je travaille à l’écriture et l’autre avec Jeremie Rénier, dont j’ai eu l’idée, que Philippe Blasband écrit, et que je réaliserai.
Vous qui êtes citoyen Belge, dans quelque mesure la « Belgitude des choses » est-elle une philosophie, ou est-ce nous, Français, qui projetons ce cliché ?
Si je voulais résumer les choses à la Benjamin Rousseau, je dirais que nous sommes sur la thématique de l’identité. Pour faire simple : le Français a une image de son identité très forte mais qui vacille pas mal depuis des années : qu’est-ce qu’être français en 2021 ? Manifestement, la question pose quelques problèmes à certains. En Belgique, nous sommes un état tampon qui empêche les pays autour de se faire la guerre, c’est pour ça qu’on a été créé. Nous sommes depuis toujours pénétrés de partout, entre la culture nordique ou anglo-saxonne et l’Italie. Donc la Belgique n’a jamais eu d’identité propre. Ou plutôt, son identité, c’est de ne jamais en avoir eu et ce n’est pas grave ! Dans ce rapport à l’identité, si le Français et le Belge sont dans la même situation – à savoir, pas grand-chose – peut-être que le Belge a plus l’habitude de se le dire !
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