De la bimbo à la « girlboss »… La téléréalité est-elle toujours sexiste ?
- A l’occasion des 20 ans de la téléréalité, 20 Minutes propose une série d’articles sur ce phénomène qui a bouleversé le petit écran.
- Les programmes de téléréalité sont toujours aussi sexistes depuis 20 ans comme le montre le rapport du Haut Conseil à l’Egalité publié en 2020.
- Les candidates de téléréalité surfent sur leur image et font désormais carrière dans diverses émissions de téléréalité mais aussi en dehors. Elles deviennent emblématiques d’un nouveau type : la bimbo girlboss.
Il y a 20 ans, la France se préparait à vivre une déflagration sans précédent dans le paysage audiovisuel : l’arrivée de Loft Story, et de la
téléréalité. Pour célébrer cet anniversaire et essayer de cerner ses enjeux, 20 Minutes consacre une série d’articles quotidiens durant le mois d’avril. Et pour nommer cet ensemble, nous avons choisi le titre « Génération
Loana ». Pourquoi ? Parce que la candidate, et gagnante, de la première saison de Loft Story incarne, mieux que personne, la téléréalité.
La jeune femme a aussi marqué son époque et le monde de la téléréalité en personnifiant à la perfection la figure de la bimbo – écervelée, à forte poitrine, hypersexualisée –, figure caricaturale si chère aux émissions de téléréalité. Aussi moquée par le public qu’objet de fantasmes, Loana a ouvert le bal d’une succession de candidates qui ont incarné, elles aussi, ce même stéréotype à travers différents programmes et de différentes manières. De Loana à Maeva Ghennam en passant par
Nabilla, l’image des femmes dans la téléréalité est-elle toujours la même ?
Des émissions hétéronormées et sexistes
En 2020, le Haut Conseil pour l’Egalité publiait un rapport accablant et sans appel concernant ce type d’émission : « La téléréalité est une grande pourvoyeuse de sexisme : traits de caractère et assignation à des tâches et rôles stéréotypés, sexualisation très présente et guidée par la recherche du male gaze et non par l’affirmation de la puissance du corps des femmes, procédés de dénigrement et de clash qui tournent à plein. Présentées souvent comme stupides, faibles et rivales entre elles, elles ne sont que le faire valoir de « mâles dominants ». »
Marion Oderda, rapporteure du rapport en question, soulignait d’ailleurs que si l’on soumettait les programmes au test de Bechdel (nombre de femmes dans une œuvre, dialogue ou non entre elles, sujet de conservation avec ou sans rapport systématique à un homme), on constatait que Les Anges ou Les Marseillais, (et même Koh Lanta) qui étaient alors étudiées, échouaient à 100 %.
Pour Laëtitia Biscarrat, maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Côte d’Azur à Nice, spécialiste de la question du genre et des médias, « la proposition de ce type de programme est de faire l’apologie des rencontres hétérosexuelles dans un cadre hyper traditionnel. C’est une célébration de l’hétérosexualité complète, dans un schéma narratif normatif. » Le but du jeu, dans Loft Story, était de former un couple gagnant. Et les choses n’ont pas beaucoup changé depuis. Pour la chercheuse, la téléréalité est « une instance de socialisation genrée et de réitération des normes hégémoniques. On voit les errements, la trahison, les conflits, et puis le couple, on se prend une petite maison – à Dubaï pour le glamour – on fait des enfants. C’est un schéma qu’on retrouvait déjà dans les années 1950 ou 1960 dans les magazines pour adolescentes ».
Toujours et encore des bimbos !
De ces normes genrées et de ce sexisme traditionnel ressort, tenace, le stéréotype de la bimbo. En effet, comme l’explique le rapport du HCE, « les émissions de téléréalité valorisent « l’hyperféminité » des candidates » qui doivent apparaître comme des « séductrices », et, sous-jacent, comme des objets de désir disponibles sexuellement en bonus. Cette figure type est emblématique des fantasmes érotiques masculins traditionnels. L’idée de ces programmes n’étant pas de déconstruire les fantasmes et les modèles, aussi injustes et sexistes soient-ils, aucune candidate ne déroge à ces critères de sélections premiers. Elles sont donc systématiquement jeunes, minces, maquillées, coiffées, apprêtées, sexualisées et répondent à tous les critères à cocher pour faire partie des femmes désirables qui pimenteront l’aventure. C’est tout simplement leur job dans l’émission.
Tout comme on ne connaît que les prénoms des candidates, on peut presque toujours leur accoler un adjectif : la prude, la chieuse, la rigolote… Les responsables de casting cherchent ainsi des caractères type explique Laëtitia Biscarrat : « Il faut qu’on puisse identifier les gens rapidement. Donc les types ont vraiment une fonction d’opérateur de sens, d’opérateur d’intelligibilité, ce qui permet tout de suite, dans nos représentations sociales, dans nos imaginaires sociaux, de situer une personne ». Les programmes produisent donc Loana « la fille facile », Nabilla aussi sexy que stupide, ou Maeva Ghenamm la chieuse capricieuse…
Au-delà de ces stéréotypes et de ce sexisme, Marion Oderda et Laëtitia Biscarrat soulignent une autre dimension, peut-être plus problématique encore : la question de la sexualité et du consentement. Omniprésentes bien qu’elle ne soit pas filmée, la sexualité, la dimension érotique et la disponibilité sexuelle prêtée aux femmes dans ces programmes de téléréalité sont omniprésentes. Laëtitia Biscarrat observe à ce propos que « la promotion de la culture du viol apparaît à un niveau assez incroyable dans ces émissions, avec une culture de l’appropriation du corps des femmes où le consentement est une logique qui n’existe pas ».
« Elles ont compris les codes »
Les défenseurs de la téléréalité, cherchant à nier le sexisme de ces émissions, ont souvent clamé que les candidates de ces programmes réussissaient, pour une partie d’entre elles, à se forger un nom. Elles deviennent célèbres et surfent sur l’image qu’elles se sont bâtie. Elles ont compris les codes, et elles s’en servent à leur avantage. Laëtitia Biscarrat remarque que ces parcours de réussite passent, encore, souvent par le corps : « La chirurgie esthétique est presque toujours dénoncée comme la soumission des femmes aux normes de genre hétérosexistes et au capitalisme. Mais les candidates de téléréalité qui se fabriquent un corps qui va correspondre à des normes de féminités complètement fantasmées, font aussi un usage stratégique de leur corps dans une trajectoire professionnelle ». Devenir une bimbo devient un investissement professionnel calculé.
Qui plus est, en 2021, la téléréalité et la presse people se sont en quelque sorte institutionnalisées au point de proposer désormais des carrières aux candidats et aux candidates les plus marquants (et rentables). Les candidats de téléréalité sont considérés comme accomplissant un travail depuis 2009. Si Loana n’a pas pu bénéficier de l’expérience des femmes avant elles ni profiter pleinement du fait que l’on puisse faire carrière dans la téléréalité, elle sert d’exemple et d’inspiration aux suivantes. « Il y a des femmes qui participent à ces émissions parce qu’elles veulent lancer leur carrière, elles ont envie d’entreprendre, de créer des choses et de profiter de cette fenêtre de médiatisation pour pouvoir réussir » explique Marion Oderda. Nabilla Vergara par exemple a un impressionnant CV avec à son actif, entre autres, plusieurs émissions de téléréalité, une chronique dans l’émission Touche Pas à Mon Poste quelque temps, des contrats de mannequinat, des marques de cosmétiques… La jeune femme est emblématique de cette trajectoire à la Kim Kardashian. De simple bimbo, on est passé à l’ère de la bimbo-girlboss.
Des bimbos empowered ?
En 2021, les candidates sont au centre des programmes et l’on a l’impression que certaines « portent la culotte », dans le couple ou le groupe, plutôt qu’elles ne sont soumises à leurs homologues masculins. Ces bimbos nouvelle-génération ont une manière de s’assumer, de revendiquer, d’utiliser les stéréotypes même pour parvenir à leurs fins. Elles jouent à partir des règles qu’on leur donne, conscientes des codes, du système et décidées à en prendre leur parti.
Laëtitia Biscarrat s’interroge sur le cas de Maeva Ghennam (Les Marseillais) : « Certes au départ elle va cocher toutes les cases de stéréotypes de genre au sens de l’hypersexualisation, de l’exhibition de son corps, elle est toujours montrée comme idiote, superficielle – il y a ce régime de monstration qui est très enfermant –, mais en même temps, elle a un discours d’autopromotion d’elle-même, une manière de s’assumer pleinement. […] elle a beaucoup revendiqué « son corps en plastique » […] on peut en faire une lecture un peu plus nuancée en se disant que quelque part est-ce que c’est un choix ? ».
Pour la spécialiste, ces femmes de la téléréalité sont au cœur des interrogations d’un néo-féminisme ou d’un pop-féminisme peuplé de ses icônes ambivalentes comme Beyonce, les Spice Girls et bien d’autres… hypersexualisées et pourtant émancipées. Dans le rapport du HCE, il était d’ailleurs question de « cette référence à la pop-culture important [qui n’exclut] pas qu’il faille affiner l’analyse et que l’hypersexualisation des personnages féminins ne soit pas toujours la traduction d’un asservissement aux codes de la domination masculine mais soit vécue comme une forme d’empuissancement des femmes, usant de leur corps comme une arme d’affirmation de soi ». Si cette dimension reste a explorer, Laëtitia Biscarrat observe que les réussites et trajectoires individuelles de ces femmes, au demeurant « ne déconstruisent rien des normes qui sont véhiculées […] elles restent à l’intérieur d’un système qui exploite les femmes, le corps des femmes et leurs représentations ». Si certaines candidates de téléréalité décalent le stéréotype de la bimbo vers celui d’une bimbo pragmatique, un peu femme d’affaires, loin d’être totalement stupide et inconsciente, les programmes de téléréalité d’enfermement, eux, restent dans les mêmes schémas et reproduisent les mêmes types.
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