Cinéma : La crise sanitaire a-t-elle définitivement enterré le cinéma ?
La querelle entre cinéma et VOD ne date pas d’hier, mais la crise sanitaire l’a remis au centre du débat. Alors, les multiples confinements et couvre-feu nous ont-ils vraiment éloignés des salles obscures ? En tout cas, ils font pencher la balance en faveur des géants du streaming.
Pandémie oblige, les salles de cinéma françaises ont été contraintes de baisser leurs rideaux le 16 mars 2020 pour ne les réouvrir que quelques semaines seulement, entre les deux premiers confinements l’année dernière. Et, depuis le 28 octobre dernier, la lumière ne s’y est toujours pas rallumée. Un coup de massue sans lendemain pour une industrie déjà fragilisée par l’explosion de la VOD (« video on demand », vidéo à la demande en français). Et pour cause, Netflix, Amazon Prime Video, Disney + et les autres ont la cote, notamment chez les Millenials qui vantent surtout leur prix défiants toute concurrence.
Le point de non-retour atteint pour le cinéma ?
Il est de plus en plus difficile de la contredire cette jeune génération. Alors qu’en France, les prix des tickets de cinéma ne cessent d’augmenter- une place coûtant en moyenne 10€ selon les dernières estimations du site Numbeo-, il faut compter 11,99€ par mois pour profiter de l’offre standard de Netflix, et 49€ annuels pour Amazon Prime Video. Les calculs sont vite faits n’est-ce pas ? D’ailleurs, ils l’étaient déjà bien avant le début de la crise sanitaire. Mais il faut avouer qu’elle n’a pas du tout arrangé les choses, obligeant le monde du cinéma à faire face à la plus grosse tempête de son histoire. Avant la pandémie, l’Hexagone imposait aux studios d’attendre trois ans avant de diffuser un film sur les plateformes. Une règle d’exclusivité en faveur du cinéma que beaucoup avaient pourtant réussi à transgresser bien avant la Covid en optant pour la diffusion simultanée… Ou pour la sortie exclusive en ligne. Et la recette est gagnante !
Proposé à la location par Apple TV depuis sa sortie le 1er avril 2020, Les Trolls 2 : Tournée mondiale a rapporté plus en trois semaines de sortie numérique au studio, que le premier opus de la saga en cinq mois de projection en salles. Un défi relevé haut la main par Universal Pictures, la société de distribution qui en a inspiré bien d’autres par la suite. Dernier exemple parlant en date : Je te veux, moi non plus, le film de Inès Reg et Kevin Debonne réalisé par Rodolphe Lauga. À l’origine prévu pour le cinéma, le long-métrage a finalement été mis à disposition sur Amazon Prime Video le 26 mars dernier. Un choix motivé par l’envie du duo de le sortir « au plus vite ». Et il aurait eu tort de se priver car si la rom’ com’ française a finalement reçu un accueil mitigé, elle a tout de même suscité un réel engouement dès sa première semaine de sortie. Une catastrophe économique pour les diffuseurs « classiques » mais également pour les salles de cinéma qui, en plus d’avoir dû plier boutique pendant de longues semaines, pourraient se retrouver délaissées par bon nombre de Français. Pour leurs prix d’abord donc, mais aussi parce que ces derniers se sont habitués, sans même s’en rendre compte, au confort d’un film regardé depuis son canapé à n’importe quelle heure.
Le malheur des uns… Fait le bonheur des autres !
Le célèbre adage ne se sera jamais autant vérifié : le malheur des uns fait définitivement le bonheur des autres. Et les autres ici, ce sont bien les plateformes de streaming et de vidéos à la demande. En plus de faire la course en tête auprès des consommateurs, elles font aussi les yeux doux aux professionnels du secteur qui les ont pourtant souvent mises de côté. Rappelez-vous en 2019, l’affaire Netflix VS Le Festival de Cannes. Elle avait fait couler beaucoup d’encre ! Pour la deuxième année consécutive, aucun film original du géant américain n’avait été sélectionné par le festival pour la compétition officielle. En cause, une règle instaurée par le président Pierre Lescure et ses équipes : les longs-métrages en compétition officielle doivent obligatoirement sortir dans des salles de cinéma. Mais alors que les organisateurs viennent d’annoncer le retour du Festival de Cannes en juillet prochain, il se pourrait que les cartes aient été rebattues. Pandémie et sorties repoussées obligent. La liste complète de la sélection officielle sera dévoilée le 27 mai et pourrait nous réserver bien des surprises.
En attendant, le fossé entre ces deux mondes disparaît petit à petit. Les catalogues des sites de vidéos à la demande ne cessent de s’étendre et de se diversifier, attirant toujours plus de fidèles. D’ailleurs, l’initiative prise par MK2 et Netflix en avril 2020 pour faire face aux nouvelles mesure sanitaires a largement séduit les cinéphiles. En intégrant quelques grands classiques du cinéma français, signés Truffaut, Demy, Dolan et bien d’autres, à sa longue liste de propositions, le géant du streaming a gagné en légitimité auprès d’un public encore parfois réticent. Il ne manquerait plus que certains films d’auteurs sortent exclusivement sur la plateforme…
Les films d’auteurs pourraient tirer leur épingle du jeu
Pour le moment, aucune date de ré-ouverture des salles n’a encore été annoncée par le gouvernement français mais, lorsque l’échéance sera fixée, l’industrie devra faire face à un nouveau défi de taille : celui de définir ses priorités. On compte en effet quasiment 500 films français et étrangers sur la liste d’attente. Embouteillage en vue donc… Le risque majeur étant que les salles optent pour la rotation et que les films made in France bénéficient d’encore moins de visibilité face à des blockbusters toujours plus puissants. Et le plan de réouverture des cinémas ne laissent rien présager de bon non plus de ce côté-là. Dans une interview donnée au Film Français, la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) a affirmé que la réouverture des cinémas se ferait en trois étapes, toutes entrecoupées de quatre semaines. Des jauges seront alors instaurées dans les salles : 35% puis 65% et enfin 100% pour la troisième et dernière phase.
Pas sûr donc que les premiers spectateurs à regagner les salles optent pour le cinéma d’auteur francophone. Pourtant, tout n’est pas encore perdu. Certains films pourraient même plutôt bien s’en sortir. Et pour cause ! Les sorties de la plupart des superproductions attendues de pied ferme par le public ont été repoussées à 2021 voire 2022. C’est le cas de Dune, du prochain James Bond Mourir peut attendre, et du petit frenchie OSS 117 : alerte rouge en Afrique noire qui ne sera projeté qu’à partir du 4 août prochain. Une situation inédite qui pourrait donner un large avantage au cinéma d’auteur, les films à gros budgets et les superproductions hollywoodiennes ayant donc pour la plupart été reportés. Le genre pourrait alors profiter d’une audience plus disponible. Plus encourageant encore : les Français ont très envie de retrouver les salles obscures et ils le font savoir ! Selon une étude menée par l’agence Vertigo en avril dernier, 63% d’entre eux ont envie de renouer avec les cinémas dès leur réouverture. Un chiffre encourageant qui grimpe même à 67% chez les 15-24 ans. D’ailleurs, la solidarité s’organise déjà depuis plusieurs semaines autour de ce milieu en crise. Manifestations partout en France pour demander la réouverture des lieux de culture, pubs gratuites et même cagnottes en ligne : voilà qui devrait redonner de l’espoir aux professionnels du secteur. Affaire à suivre donc (dès qu’une date officielle de ré-ouverture aura été annoncée…).
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