"Black Far West" : un documentaire d’Arte redonne toute leur place aux Afro-Américains dans la conquête de l’Ouest
La Conquête de l’Ouest, ses cowboys et ses indiens, ses diligences, ses saloons et ses grands espaces. Et pas un Noir à l’horizon. Cet imaginaire, c’est celui que nous a vendu et imposé Hollywood et ses westerns pendant des décennies (il aura fallu attendre Django Unchained de Tarantino en 2012 pour entrevoir l’envers du décor). Il s’agit pourtant d’une réécriture totalement falsifiée de l’histoire, d’une mise en scène politique effaçant soigneusement les Afro-Américains de cette page majeure du roman national américain.
C’est ce que raconte le documentaire passionnant de Cécile Denjean, Black Far West, une contre-histoire de l’Ouest (à voir sur Arte.tv jusqu’au 13 décembre), qui entend leur redonner toute leur place. Car les Afro-Américains furent nombreux et jouèrent un rôle non négligeable dans la conquête de ces vastes territoires encore vierges de toute colonisation : en 1875, un cowboy sur quatre était Noir. Nourrie de nombreuses gravures et d’archives photographiques ainsi que d’extraits de films, cette démonstration édifiante s’appuie sur les témoignages d’une demi-douzaine d’historiens et d’universitaires, sur les mémoires publiées il y a plus d’un siècle d’une poignée de pionniers noirs, et est ponctuée de reconstitutions de saynètes avec des comédiens actuels.
A la conquête de l’Ouest et de la liberté
Jusqu’à la fin de la Guerre de Sécession (1861 à 1865), une guerre civile qui déchira le pays entre les Etats du Sud pro-esclavagistes et les Etats du Nord abolitionnistes, la majorité des Noirs aux Etats-Unis sont des esclaves. Une fois le Sud vaincu, tous les esclaves sont émancipés : 4 millions de Noirs se retrouvent libres. Mais ils n’ont aucun moyen de subsistance, pas même un lopin de terre à cultiver. Certains se tournent vers leurs anciens maîtres pour travailler contre un salaire de misère, d’autres partent tenter leur chance au Far West, une terre promise à leurs yeux, où il trouveront, espèrent-ils, la liberté et des terres à cultiver.
Si l’Ouest ne ressemble pas toujours à leur rêve – les premiers Noirs à s’y installer vivent littéralement sous terre, au Kansas – ils y trouvent un nouveau métier à exercer : cowboy, ou littéralement garçon vacher, chargé de s’occuper du bétail. Un métier né bien avant la guerre de Sécession et confié déjà aux esclaves noirs…
L’Ouest offre un autre débouché aux Afro-Américains : soldat, un emploi rémunéré où l’on bénéficie de trois repas par jour et d’un cheval. Quatre unités noires ont en effet été créées après la Guerre de Sécession. Envoyées à l’Ouest, elles sont chargées par le gouvernement fédéral de déloger les Amérindiens de leurs terres, y compris par les armes. Un dilemme pour ceux que l’on a baptisé les Buffalo Soldiers, immortalisés dans une célèbre chanson de Bob Marley.
Entre Noirs et Indiens, des rapports complexes
Entre les Noirs et les Indiens, les relations sont complexes à l’époque du Far West avec une succession d’alliances et de trahisons, révèle ce documentaire. Dès les débuts de la colonisation, les Blancs ont tout fait pour éviter un rapprochement entre Noirs et Indiens, en incitant notamment ces derniers à posséder des esclaves noirs. En 1810, on estime que 10% des Cherokees en possédaient, et les plus prospères en avaient jusqu’à 400.
Durant la conquête de l’Ouest, de nombreux Noirs ont cependant trouvé refuge dans des tribus indiennes, y fondant des familles. Certains ont ensuite trahi leurs hôtes car leur maîtrise de la langue et des coutumes indiennes, en plus de leur connaissance du terrain, étaient prisées et rémunérées par l’armée américaine dans le cadre de son entreprise d’extermination.
De nombreux héros de westerns blancs sont inspirés de modèles noirs
Cécile Denjean montre que pour alimenter son récit frelaté de la conquête de l’Ouest, Hollywood n’a pas hésité à mettre en scène les véritables hauts faits d’armes de héros noirs, en les faisant incarner par des acteurs blancs. Ainsi, dans La Prisonnière du Désert de John Ford, considéré comme un des plus grands westerns, John Wayne joue un personnage inspiré de l’histoire vraie de Britton Johnson, ancien esclave parti à la recherche de sa femme et de ses deux enfants enlevés par les Indiens Kiowa. Mais l’acteur conservateur l’ignorait sans doute.
De la même façon, les aventures de Davy Crocket qui ont bercé plusieurs générations d’enfants, ressemblent trait pour trait à celles de James Beckwourth, un métis et ancien esclave devenu trappeur, qui vécut un temps auprès des Indiens Crows. Quant au personnage du Lone Ranger, héros très populaire aux Etats-Unis, il était encore une fois inspiré d’un Noir, Bass Reeves, premier shérif adjoint noir de l’histoire, roi de la gâchette incorruptible et traqueur de hors-la-loi (il en a arrêté 3000 au cours de sa carrière et en a tué 14). Sauf que son destin se termina, comme beaucoup d’autres, par un retour à la case départ. Car la Conquête de l’Ouest ne fut pour les Afro-Américains qu’une brève parenthèse de liberté. La ségrégation raciale allait bientôt les entraver à nouveau.
« Black Far West, une contre-histoire de l’Ouest » à voir sur Arte.tv jusqu’au 13 décembre 2022
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