Thierry Peala et Verioca Lherm, deux voix et une guitare en osmose dans un bel hommage à la légende brésilienne Tania Maria
Thierry Peala est un chanteur de jazz au timbre soyeux, improvisateur envoûtant, connu pour de belles collaborations avec le trompettiste Kenny Wheeler et le pianiste Bruno Angelini, entre autres. Verioca Lherm – Véronique est son vrai prénom – est une guitariste et une chanteuse rompue aux rythmes du Brésil, ambassadrice de cette culture, notamment au sein du duo Aurélie et Verioca. Depuis quelques années, les deux artistes se réunissent ponctuellement sur scène tout en menant des projets pédagogiques communs. On savoure alors l’alchimie évidente de leurs voix, de leurs improvisations joyeuses, de leur langage musical en osmose.
S’ils se connaissent depuis vingt ans, ils n’avaient jamais enregistré de disque ensemble. C’est chose faite avec A Tania Maria Journey, sorti le 16 avril 2021 (Edyson/Inouï). Ils y célèbrent la pianiste et chanteuse brésilienne Tania Maria, qui est repartie vivre au Brésil après avoir brillé durant de longues années sur les scènes de France et d’Europe. Un défi relevé avec brio, un choix comme une évidence : leur passion commune pour l’improvisatrice virtuose est à l’origine de leur rencontre en février 2001. Tania Maria s’est déclarée « très heureuse » de découvrir « l’interprétation absolument neuve » du duo. Le percussionniste Edmundo Carneiro, ancien partenaire de la pianiste, joue sur quelques morceaux du disque.
Thierry Peala, Verioca Lherm et Edmundo Carneiro se produisent le 20 juin 2021 à Paris, au New Morning.
Franceinfo Culture : Comment Tania Maria est entrée dans vos vies ?
Thierry Peala : J’avais 16 ou 17 ans, j’ai connu sa musique grâce à un disquaire de Chalon-sur-Saône où j’habitais alors. Un jour, il m’a fait découvrir l’album Live de Tania Maria. Et là, je suis tombé à la renverse. À partir de là, dès qu’elle sortait un nouveau disque, je me jetais dessus. Ses albums ont été usés jusqu’à la corde ! Tania Maria a accompagné la fin de mon adolescence et mes débuts de jeune adulte.
Verioca Lherm : Le premier choc qui a fait basculer complètement ma vie musicale, je l’ai vécu à 18 ans. J’écoutais par hasard, à minuit à la télé, une superbe émission de musique en live avec Tania Maria et le duo des Étoiles [ndlr : Terminus les étoiles, en mars 1979]. À partir de ce moment, j’ai fait une fixation sur Tania Maria, sa liberté au piano, sa liberté vocale et rythmique, époustouflante. J’ai passé mon temps à aller chercher des albums chez mon disquaire à Aurillac.
Qu’est-ce qui rend Tania Maria si unique à vos yeux ?
V.L. : C’est le groove, comme un geiser de riffs permanent ! J’écoutais à l’époque pas mal de rock progressif – Yes, Genesis, Pink Floyd – et je trouvais sidérant, chez Tania Maria, cet afflux de riffs rythmiques qui vous prennent, qui n’arrêtent pas ! Et j’aimais surtout le flot mélangé, immédiat, de la mélodie qu’elle chantait, jouée directement au piano, et vice-versa. Je connais très peu de gens qui font ça. C’est ce que je préfère chez Tania Maria, l’improvisation. Environ deux ans après l’avoir découverte, je l’ai vue sur scène pour la première fois. J’habitais à Clermont-Ferrand et j’ai séjourné chez une amie à Saint-Étienne où elle se produisait. Tania jouait deux soirs de suite. Je suis allée au premier concert, j’ai été tellement sidérée que j’en ai perdu le sommeil ! Alors j’y suis retournée le deuxième soir !
T.P. : J’adore sa façon de siffler tout ce qu’elle joue à la main droite. Il y a d’autres musiciens qui font ça, Jobim par exemple. J’aime bien le faire aussi un peu, on a fait un clin d’œil dans le disque [ndlr : dans It’s Only Love]. Mais cette énergie qu’elle possède… Pour moi, Tania Maria, c’est quelqu’un qui détient une forme de clé du bonheur. À des moments où je n’allais pas très bien, je sais qu’en écoutant ses disques, ou en l’écoutant en concert, elle a changé complètement mon mood. Les vibrations de quelqu’un peuvent changer des choses physiquement, mentalement, chez l’autre. C’est quelqu’un de magique. À part Wayne Shorter au New Morning, j’ai rarement vu des salles entières se lever comme des bouchons de champagne au moment même où elle commence à faire trois notes. L’énergie qu’elle balance dans la salle, et tous ces gens qui tout à coup explosent de joie… Il y a quelque chose de brut, de sauvage, et en même temps de très sophistiqué au niveau des accords, des harmonies.
Tania Maria est directement associée à votre rencontre. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
T.P. : J’avais repéré Verioca quand elle jouait pour le groupe de jazz vocal Les Grandes Gueules. Elle me faisait mourir de rire dans ce spectacle, et je crois qu’elle y faisait déjà des percussions vocales, c’est quelque chose qui me plaisait beaucoup. Avant qu’on se rencontre, j’ai entendu son premier disque [ndlr : Brasileira de Coração, 1999] par l’intermédiaire de la chanteuse Laurence Saltiel qui a joué un rôle très important pour nous à différentes étapes de nos vies. En 2001, on s’est retrouvés tous les deux pressentis pour faire la première partie de Tania Maria à l’Olympia. C’est Véronique qui l’a assurée finalement mais j’ai été invité à y assister. On s’est rencontrés dans les coulisses et on s’est rendu compte de la passion qu’on partageait pour Tania.
Comment est née votre collaboration artistique, qui a abouti des années plus tard à ce disque ?
T.P. : On s’est vite très bien entendus et on a commencé à animer des stages ensemble, Véronique accompagnait certains de mes cours. Entre-temps, on s’est mis à travailler des morceaux, construire un petit répertoire et jouer dans des clubs comme le Baiser Salé, le Sunset, le New Morning… Tania Maria était présente dès le départ dans notre répertoire qu’on a étoffé peu à peu.
V.L. Comme on n’avait jamais rien enregistré ensemble, j’ai proposé de faire un disque autour d’un seul compositeur. On s’est demandé quelle était la personne qui nous avait le plus marqués dans notre vie. C’était bien sûr Tania Maria.
Comment transforme-t-on un répertoire écrit au piano en un répertoire pour voix et guitare ?
V.L. : C’est comme une réduction d’orchestre. Au départ, je pensais vraiment que certains morceaux que nous avions envie de jouer seraient impossibles à transcrire pour la guitare. En faisant des recherches sur Youtube pour savoir ce qui avait été déjà fait sur Tania Maria par d’autres interprètes, nous sommes tombés sur un duo incroyable de tuba et bugle qui jouait le morceau Yatra-Tá. Je me suis dit que s’ils arrivaient à faire ça à deux, alors à la guitare, ça pourrait être plus facile que je le pensais. Ça a été un élément déclencheur pour valider notre choix du répertoire de Tania Maria, sachant qu’il n’avait jamais été repris par une structure guitare-voix.
Comment avez-vous procédé ?
V.L. : J’ai essayé de faire une synthèse de la façon d’accompagner de Tania Maria à la manière du guitariste João Bosco : une guitare très complète, rythmique, qui a du groove et un jeu constant, ce qui n’est pas le cas du piano de Tania Maria qui fluctue sans cesse. Tania est tout le temps dans le groove, ça grouille d’idées, son piano se pose en général sur la basse et la batterie, qui, elles, sont toujours constantes. Tania leur demande un tapis rythmique très solide afin qu’elle puisse se promener comme elle veut. Je ne pouvais pas faire comme elle, j’ai donc opté pour une guitare solide, avec le renfort de percussions vocales.
Et au niveau du chant, comment vous êtes-vous cordonnés ?
T.P. : Quand on écoute Tania, on entend des riffs incessants. On a cherché une façon de s’en approcher avec nos voix qui feraient ce qui se passe à l’intérieur de son jeu au piano : elles « tricotent » et permettent d’amener du contrepoint. Ce qui est fixé, c’est le jeu de guitare, les harmonisations dans la mélodie, pas ce qu’il y a autour. Il y a beaucoup d’improvisation, des petits motifs sans paroles, des rebondissements, des entrelacements…
V.L. : Avec Thierry, on est tellement complices qu’on a l’habitude d’avoir des voix versatiles, qui passent facilement de la mélodie à l’impro, à la seconde voix, au voicing, au contrepoint, aux percussions vocales… Je m’adapte à ce qu’il fait. S’il est dans le grave, je vais dans l’aigu, et réciproquement. S’il est rythmique, je fais des notes tenues, et réciproquement, ça s’équilibre rapidement. Tout se fait de manière spontanée. Ça nous a permis de retrouver le côté très libre de Tania Maria.
Quand on vous connaît depuis des années, on est frappé par votre complicité, votre alchimie. Vous donnez l’impression d’être des âmes sœurs…
T.P. Véronique, pour moi, est une âme sœur en musique. Quand je l’entends, à la fois j’ai une forme d’admiration, je sais où me situer par rapport où elle est, donc j’arrive à faire quelque chose en complément. On a aimé les mêmes choses pendant beaucoup d’années. On parle énormément la même langue, même si Verioca a énormément travaillé la musique brésilienne de tous les styles, elle en possède une connaissance gigantesque.
V.L. Il y a un vocabulaire commun, et vraiment complémentaire, en effet. Thierry est capable, en improvisation, de faire des phrases sur des harmonies hyper compliquées… Dans notre duo, on ne se prend pas la tête, il n’y a aucun souci d’ego !
Thierry Peala et Verioca Lherm en concert à Paris
Dimanche 20 juin 2021 au New Morning, 19 heures
(invité : Edmundo Carneiro, percussions)
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