TEMOIGNAGE. Pour Niktus, bassiste et co-fondateur du groupe FFF, "les Français se sont hyper-individualisés" pendant la crise sanitaire
En marge des majors depuis sa création dans les années 1990, le groupe FFF – Fédération Française de Funk, revendique son indépendance avec succès. Niktus, compositeur, multi-instrumentiste, co-fondateur et bassiste de FFF, raconte son année Covid entre création et critiques de la gestion du monde culturel en temps de crise.
Franceinfo Culture : Comment êtes-vous entré dans la pandémie en mars 2020 ?
Quand le confinement est tombé, FFF était dans la conception d’un nouvel album, donc pas de concerts prévus. On finalisait les morceaux avec Marco (chanteur du groupe), alors que je sentais qu’il allait se passer quelque chose. Je suis parti de Paris pour atterrir dans le sud, sur une colline devant la montagne, pas loin de la mer. J’avais un mini-studio d’enregistrement, ce qui m’a permis de composer, composer, composer… La composition étant un processus solitaire, et comme je travaille souvent seul, ça n’a pas changé la donne. J’avais la chance d’être dans un très bel endroit, sans savoir que j’allais rester bloqué là-bas. J’ai sorti des trucs que j’avais emmagasinés depuis longtemps pour avancer sur tout ça. Ça a été « bénéfique » dans ce sens-là. Mais la préparation de la tournée qui devait s’enchaîner avec FFF a été mise en berne, alors qu’on l’attendait tous.
Ce qui m’a sauvé, c’est d’avoir eu cette possibilité de travailler et d’avoir beaucoup de grain à moudre. J’ai bouclé la musique d’un documentaire. Je viens aussi de créer un opéra, un projet très stimulant, et maintenant que je peux le monter et le faire tourner, en cette période peu propice en France, on pense l’emmener en Afrique, où il y a plus de permissibilité. Il est prévu que je joue un rôle, d’abord pressenti pour Bruno Lavant.
Quel regard portez-vous sur la gestion culturelle de cette crise ?
Je suis consterné par le sacrifice culturel général, le spectacle vivant, les concerts, le live, les cinémas… Alors qu’on était dans l’incertitude, pour quelques mois l’an dernier, cela dure depuis plus d’un an, maintenant. Au final, je trouve qu’il y a une grande injustice par rapport à la réalité des choses. En raison des choix qui ont été faits, comme l’autorisation donnée aux galeries marchandes d’ouvrir, l’usage des transports en commun, ou d’autres secteurs qui semblent bien plus à risque que les lieux culturels. Les supermarchés, malgré leurs efforts, sont bien moins sécurisés que les salles de spectacle, surtout avec tous les dispositifs dont elles se sont munies, avec des frais à la clé. Depuis le couvre-feu de novembre 2020, on ne fait que s’enliser, la crise ne cesse de s’accroître en fait. Avec la frustration que ça entraîne pour les gens et les artistes. On a la chance d’être dans un pays où la culture est choyée, par contre son fonctionnement, malgré les aides, laisse à désirer.
Ce qui m’a le plus déprimé, c’est l’annulation des festivals en plein air. C’est réalisable pourtant, avec des astreintes, d’accord, mais c’est possible, avec des tests, un encadrement. Pour les artistes, reste la possibilité de se produire sur un écran, mais c’est tellement éloigné du ressenti réel que je trouve ça insupportable, même s’il y a des expériences heureuses, mais c’est autre chose.
Ces confinements privent les gens de l’expérience collective, ils les poussent à se replier sur eux-mêmes. J’ai trouvé très révélateur le comportement des Français durant cette crise. Dans le rapport entre leur personne, et leur responsabilité face au collectif. Ils se sont hyper-individualisés. Ce qui leur vaut des critiques de l’Espagne par exemple pour le carnaval à Marseille le 22 mars dernier qui a rassemblé 7000 personnes sans masques, ce qui a beaucoup choqué. Pour eux, c’est juste impensable. Comme ils disent, ils ont décidé de vivre avec le virus, en rouvrant néanmoins les restaurants, les bars, les musées, certaines salles… Mais les gens respectent les consignes là-bas, ici bien moins.
Le clubbing n’a pas de secret pour vous, quel est votre regard sur les fêtes clandestines ?
Je comprends les réticences qui ont été émises, mais dans les fêtes clandestines, selon les tests réalisés avant et après, les contaminations se sont révélées infimes. D’autant que le protocole de celles auxquelles je suis allé, exigeait que ça se passe en extérieur. Donc avec beaucoup moins de risques, puisqu’on sait très bien que la majeure partie des contaminations se produisent à l’intérieur, en famille, dans le foyer.
Ce sont les jeunes qui pâtissent le plus des restrictions sanitaires. Une de mes filles, qui venait de trouver un label pour son album avec son groupe Lulu van Trapp, devait partir en tournée, résultat : privée de sortie. Ils ont fait d’autre choses, sorti leur album, produit, réalisé des clips, répété… Beaucoup d’artistes en ont profité pour créer et engranger de la matière, et au mieux ont pu entrer dans une brèche pour pouvoir exposer tout ça. Mais beaucoup de gens vont être décimés dans plein de secteurs, de la création à l’exploitation. Toute la chaîne cultuelle est touchée.
Avez-vous vu des créations qui vous ont semblé innovantes durant la période ?
Je suis tombé par hasard sur un chanteur lyrique qui lançait des airs depuis une fenêtre surplombée d’une guirlande électrique, dans un immeuble de bureaux totalement vide. Cela donnait une impression de décor incroyable. Il y a plein de projets comme cela inventifs. J’en ai un qui allie musique et cuisine. Mon ami réalisateur Stéphane Baz a commencé par projeter des images incroyables tournées en macro autour de la nourriture, sur les façades depuis les rames de RER. Il a développé le procédé en voiture à Paris sur des bâtiments emblématiques ou non, avec un groupe électrogène dans son coffre. J’ai écrit une musique d’une durée d’une heure, le temps du spectacle, en m’inspirant du Sacre du printemps de Stravinsky. Il a fait ça il y a quinze jours et l’a filmé. Il a complètement exploité le cadre et les contraintes de ce confinement. Comme à chaque crise, on y puise une source d’inspiration pour se renouveler. C’est indispensable à l’homme, comme artiste et comme spectateur.
Mais je trouve aussi que certains professionnels n’ont pas été assez prompts à développer justement cette inventivité qu’on attend d’eux. Il y en a qui n’ont pas cette vocation, comme les diffuseurs ou les exploitants de salle, par ailleurs indispensables. Mais pour les troupes de théâtre, tout le monde ne peut pas s’adapter à l’extérieur, ou des pièces ne s’y prêtent pas. Mais on peut toujours détourner les obstacles.
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