"On peut partager sa musique autrement" : privés de concerts, des artistes émergents tentent de garder le lien avec leur public
En novembre 2020, Ninkasi – micro-brasserie lyonnaise et tiers-lieu accueillant des artistes de tous horizons – réalisait une enquête auprès des 44 groupes et artistes solo accompagnés par le Ninkasi Musik Lab, un dispositif de soutien aux artistes émergents. Les résultats du sondage mettaient en lumière un constat alarmant : la crise sanitaire a eu un impact important sur le développement des jeunes artistes. Confinements, couvre-feu et fermetures des salles de concerts ont réduit drastiquement les possibilités de diffuser sa musique et d’en vivre.
62% de concerts en moins en 2020
L’enquête de Ninkasi a révélé que les concerts avaient diminué de plus de 60% en 2020 par rapport à l’année précédente – touchant, de facto, la motivation des artistes (8 répondants sur 10 se déclarent ainsi psychologiquement touchés par la crise et 26% d’entre eux avouent avoir songé à arrêter la musique). 70% admettent avoir subi une baisse conséquente de leurs revenus, et 78% disent avoir éprouvé des difficultés logistiques et matérielles pour poursuivre leur activité.
Les conclusions du fonds de dotation Ninkasi mettent en évidence l’importance de soutenir les artistes de demain : seuls 19% des sondés sont intermittents du spectacle, les autres sont isolés des dispositifs d’aide déjà existants. Mais elles révèlent aussi un immense appétit de création. Car 74% des artistes interrogés ont poursuivi la composition pendant la crise sanitaire – et 52% ont déjà réalisé un premier concert en livestream.
« La route, les gens, l’énergie, la sueur, ça me manque. »
à franceinfo Culture
Quand la crise sanitaire a frappé l’industrie musicale, Nick Pulpman – son pseudonyme d’artiste – s’apprêtait à sillonner l’Europe centrale aux côtés d’un groupe croate. Après l’annulation de la tournée, le musicien de 27 ans, également membre du groupe de punk grenoblois Taulard, a lancé quelques DJ sets sur la plateforme Twitch. « C’était surtout des copains qui me suivaient« , précise celui qui ne compte plus ses collaborations artistiques. « Mais c’était sympa de partager la musique qui m’anime. J’ai fait des sets sur la religion, l’amour, l’enfermement, la drogue…«
Mais pour lui comme pour d’autres il faut se battre contre la lassitude et la frustation. « La musique, c’est quelque-chose qui se vit à plusieurs, dans une salle, avec du gros son. La route, les gens, l’énergie, la sueur, ça me manque. Alors en attendant, on enregistre, on essaie de faire en sorte de continuer… Mais je ressens autour de moi un manque de clarté, comme une perte de sens chez beaucoup d’artistes. La motivation, ça dure un temps, mais sans perspectives, elle finit par s’amenuiser.«
S’isoler pour se professionnaliser
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Roman Cacitti a créé le personnage de Steroman, son « avatar » musical, en 2013. Pour le musicien de 31 ans, influencé par Daft Punk, Justice ou Breakbot, le confinement a fait voler quelques inhibitions. « Mon travail alimentaire – professeur d’arts martiaux – a été mis en suspens à cause du Covid. Même si financièrement c’est difficile, ça m’a permis de me concentrer encore plus sur mon projet musical. Je me suis imposé un planning journalier pour réaliser l’ensemble des tâches que je repoussais.«
« Les artistes sont des habitués du système D. »
à franceinfo Culture
Création de communiqués de presse, gestion des réseaux sociaux, recherche de partenariats… Steroman a vu dans la crise sanitaire un bon moyen de se professionnaliser. Un temps d’hibernation qui a finalement dopé son projet : « en un an, j’ai quasiment multiplié par 10 mes abonnés sur Instagram !« , se réjouit-il. « A mes yeux, ceux qui ont le plus souffert de la crise sanitaire sont les techniciens. Les artistes, intermittents ou non, ont tous opté pour le système D. Et on a un avantage, c’est qu’on est de toute façon déjà très habitués au système D !«
La création comme thérapie
Pour certains, la crise a représenté une opportunité de retrouver l’inspiration. « Au début de la crise sanitaire, la moitié des membres du groupe ont quitté le navire« , explique Vincent Déjardin, chanteur et guitariste au sein du groupe parisien Nomadh – un peu plus de 500 abonnés sur Facebook. « Après le premier confinement, nous avons reconstitué un trio [avec Louis Dubresson et Hedi Ben Ayed, ndlr]. Le Covid nous a été finalement plutôt bénéfique : nous sommes deux à travailler dans la restauration, on a donc eu du temps pour se chercher, pour explorer et mûrir un nouveau projet musical [Fondations] dont la première partie devrait sortir fin avril, début mai au plus tard.«
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Malgré la frustration engendrée par l’éloignement avec le public, Nomadh tient le cap, galvanisé par une période finalement propice, pour lui, à la créativité. « On se dit qu’on profite de ces quelques mois loin de la scène pour se constituer un répertoire solide, comme une carte de visite, avant de reprendre les lives« , ajoute Vincent Déjardin.
« Les concerts, c’est juste une partie de notre art. »
à franceinfo Culture
Pour James Zoro, musicien et directeur de l’agence d’accompagnement d’artistes OdAce Music, pas question de se laisser ronger par le pessimisme. « On a choisi de ne pas se focaliser sur l’absence de concerts. Les répétitions, elles, ne s’arrêtent pas. On se prépare comme il faut pour revenir encore meilleurs quand les salles rouvriront. » Début 2021, « James Z » dévoile un nouvel EP réalisé entièrement pendant la crise sanitaire : Réunion, en référence à l’île qui l’a vu naître. « Ce serait dommage de totalement s’arrêter« , souligne-t-il. « Les concerts, c’est juste une partie de notre art. On peut continuer de partager sa musique autrement.«
Réinventer la scène ?
Alors que l’organisation de concerts-tests est toujours en cours de discussion en France et que des concerts masqués, assis et distanciés ont pu avoir lieu avant le second confinement, de nombreux artistes – émergents ou non – ont cédé aux sirènes des concerts en livestream : sur Youtube, Twitch ou même Instagram et Facebook.
Sur Twitch, La Bouclette TV propose ainsi de nouveaux formats qui facilitent l’échange avec les artistes. Le 12 mai, James Z sera de la partie. « C’est important de se donner à fond pendant trente minutes, une heure de concert« , justifie-t-il. Même si l’écran ne remplace pas la scène. « Les gens qui nous découvrent en live ont tendance à nous suivre sur du plus long terme, sur les réseaux sociaux par exemple.«
« Je me dis que c’est passager« , ajoute encore le musicien. « Il faut s’adapter pendant ce laps de temps. » Et pour aider les artistes à garder le moral, de nombreuses initiatives se sont mises en place : la chaîne Culturebox du groupe France Télévisions vient d’être prolongée jusqu’en août, et le « Netflix de la musique », Allive, lancée en février, pratique une rémunération des artistes plus équitable que celle des plateformes habituelles.
A quelques semaines de la sortie de son prochain titre, Roman Cacitti a lui réfléchi plus profondément à ce qu’il souhaitait faire passer à travers un éventuel concert. « Beaucoup de projets n’ont pas forcément d’intérêt à être joués sur scène« , avance-t-il. « J’aimerais que les concerts soient de véritables expériences pour les gens qui viennent. Que l’on s’en souvienne. Je ne cherche donc pas à les multiplier. » Arguant que la crise sanitaire a justement permis de tester de nouvelles méthodes de diffusion de la musique.
« Le live est toujours une expérience. »
à franceinfo Culture
Mais tous ne se laissent pas séduire par ces nouveaux formats de concerts. Pour le groupe Nomadh, qui surfe sur la vague du rock expérimental et du blues, chanté en français, « le live est toujours une expérience. » « On ne ressentira jamais la même chose en écoutant un groupe sur Spotify« , plaide ainsi Vincent Déjardin. « C’est intéressant, le boom de ces méthodes de diffusion. Cela donne de nouvelles perspectives de développement de la musique en ligne. Mais il n’y a rien qui vaille un bon vieux concert… Et je pense que tout le monde s’en apercevra quand ils reprendront.«
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