Live streaming payant, TikTok, jeux vidéo, #MusicToo : les évolutions musicales de 2021 en sept questions
Avec la pandémie de Covid-19 et l’arrêt des concerts, l’année 2020 a été marquée par le développement de nouvelles manières de communiquer, créer, jouer pour les artistes privés de scène. Concerts dans les jeux vidéo, défis de danse sur TikTok, live streaming payant… Ces tendandes auxquelles la crise saintaire a servi d’accélérateur l’an passé pourraient révolutionner l’industrie musicale en 2021. Quoi qu’il en soit (nous ne lisons pas dans une boule de cristal), il faudra se montrer cette année plus solidaires que jamais avec les artistes émergents, les petits labels, les petites salles et les festivals associatifs, terreaux indispensables des promesses musicales futures.
1Le live streaming payant n’était-il qu’une parenthèse ?
Les concerts en live streaming ne viennent pas de naître mais la crise sanitaire a accéléré leur monétisation. Avec succès. Les concerts de charité « all stars » ont amorcé la pompe début 2020 puis une floppée d’artistes, privés de tournée et de revenus par la pandémie, s’y sont mis en nombre. La diva soul Erykah Badu a lancé le bal en avril, avec une série de concerts sur sa propre plateforme de livestreaming (moyennant 1 dollar), puis le phénomène s’est amplifié : si Nick Cave et Liam Gallagher offraient des shows à peu près classiques (bien que Liam fut filmé sur un bateau voguant sur la Tamise), d’autres, comme les rois de la K-Pop BTS ou la jeune chanteuse Billie Eilish, tiraient parti de ce que la technologie avait de mieux à offrir pour proposer une expérience unique, immersive et en réalité augmentée.
En France, le toujours avant-gardiste Jean-Michel Jarre a fait des étincelles pour le passage à la nouvelle année avec Welcome to the Other side, un spectacle immersif en réalité virtuelle qui le montrait à la fois en direct sur ses claviers depuis le studio Gabriel mais aussi sous la forme de son avatar propulsé à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Un show futuriste qui a mobilisé 150 techniciens pendant plusieurs semaines et a été suivi selon les organisateurs par 75 millions de spectateurs dans le monde.
Bien sûr, le live streaming ne remplacera jamais l’expérience du concert véritable et les artistes qui ont dû se produire l’an passé dans des lieux vides ont été nombreux à souligner combien l’énergie du public, primordiale, leur manquait. Cependant, le live streaming payant comporte des avantages. On peut le voir installé confortablement dans son canapé, depuis des lieux reculés et souvent à l’heure de son choix grâce aux « replay » et sans craindre d’attrapper le virus ni de se voir barrer la vue par de grands gars chevelus ou une forêt de smartphones.
Quant aux artistes, surtout vieillissants, ils ont découvert qu’ils pouvaient se passer de tournées harassantes tout en proposant des shows spectaculaires créés tout spécialement. Une façon de maintenir le contact avec le public tout en garantissant leur subsistance et celui de quelques techniciens. Tout porte donc à croire que le live streaming payant n’était pas qu’une parenthèse et perdurera, même lorsque les concerts en chair et en os auront repris.
2#MusicToo va-t-il continuer de faire bouger les lignes sur la question des violences sexistes et sexuelles ?
En juillet 2020 le collectif MusicToo lançait un appel à témoignages sur les violences sexistes et sexuelles dans l’industrie musicale. Trois mois plus tard, il fermait cette campagne et annonçait avoir reçu près de 300 témoignages. Une collecte qui a mené à des enquêtes journalistiques, et aux départs précipités de quelques barons de l’industrie.
Les salariés d’un label, Because Music, ont pris la parole début janvier 2021 « à la suite de plusieurs témoignages d’agressions et de harcèlements » au sein de l’entreprise. Un artiste de leur catalogue, Retro X, avait également été accusé de viols et d’agressions sexuelles dans une enquête de StreetPress, qui soulignait que le label en avait été prévenu. Le dialogue entre les salariés et la direction de Because Music s’est conclu par un licenciement, et une clause contre les violences sexistes et sexuelles a été ajoutée dans « les nouveaux contrats d’artistes et/ou des producteurs« .
Le Centre national de la musique (CNM) s’est aussi mobilisé sur la question : l’institution a décidé d’adopter un « protocole de prévention des violences sexuelles et sexistes » à destination des entreprises statuant qu’il « conditionnera ses aides financières au respect de ce protocole ». Sa mise en place est attendue pour 2021. De nombreuses associations ont également été créées pour mettre en lumière ces problèmes, accompagner les victimes ou aider les entreprises à faire de la prévention.
Si le chemin est encore long pour faire changer les mentalités, ces progrès pourraient en amener d’autres alors que l’industrie était qualifiée par MusicToo dans son manifeste de juillet 2020 de « parfois dangereuse, souvent toxique pour les femmes, pour la communauté LGBTQIA+ et les personnes racisées sous représentées« .
3Rémunération du streaming : du ras-le-bol à la révolution ?
C’est un sujet vieux comme le baladeur MP3… ou presque. Déjà en 2014, Taylor Swift retirait son catalogue des plateformes de streaming musical pour protester contre la faible rémunération, avant de faire marche arrière. Mais en 2020, les artistes ont commencé à ruer dans les brancards, l’arrêt des concerts les ayant privés de leur principale source de revenus tandis que le streaming musical atteignait de nouveaux records, devenant une part majeure des gains de l’industrie du disque (85% des ventes de musique provenaient du streaming au premier semestre 2020 aux Etats-Unis).
Les artistes ne reçoivent que des miettes du streaming musical, qui fait l’objet d’un accord entre plateformes et maisons de disque. Une étude, citée par Le Monde, estime que 90 % des artistes reçoivent moins de 1 000 euros par an du streaming, même si leurs titres sont streamés jusqu’à 100 000 fois et que seuls 1 % des artistes perçoivent l’équivalent d’un smic grâce aux streams.
Certains, comme Nile Rodgers, ont élevé la voix pour dénoncer l’opacité du système : « Nous ne savons même pas ce que vaut un stream … et il n’y a aucun moyen de le trouver ! », accusait le guitariste du groupe Chic. D’autres ont commencé à se tourner vers des plateformes modestes plus équitables, comme l’Européenne Resonate, et à revenir vers Bandcamp, bien plus rémunérateur pour les artistes (80 à 85% des revenus leur reviennent). En Grande-Bretagne, les artistes se sont rassemblés sous le slogan #BrokenRecord entraînant une enquête du Parlement britannique à l’encontre des grosses plateformes. « Les jeunes musiciens qui dépendent des revenus des concerts vont avoir du mal« , témoignait à la BBC le guitariste de Radiohead Ed O’Brien. Avec une crise sanitaire qui s’éternise, la grogne pourrait prendre de l’ampleur en 2021.
4Pascal Obispo innove en lançant sa propre appli, pourquoi pas les autres ?
Puisque le streaming musical (Spotify, Apple, Deezer etc) ne rapporte que des miettes à la majorité des artistes, et que les maisons de disque ajoutent une couche de contraintes tout en divisant les parts du gâteau (il faut bien rémunérer les actionnaires et les salariés), les stars rêvent de plus en plus de s’en affranchir et de retrouver leur totale indépendance. L’idée ultime a germé dans la tête de Pascal Obispo : créer sa propre appli. Il l’a lancée le 8 janvier, le jour de ses 56 ans, et il s’agit, selon lui, d’une première mondiale. « C’est un manifeste pour la liberté. J’ai fabriqué ma maison de musique. Une machine à plaisir« , se réjouit-il sur franceinfo.
Concrètement, Pascal Obispo a commencé par retirer sa musique des plateformes de streaming (seul un album dont il récupèrera les droits ultérieurement et ses chansons pour d’autres restent disponibles). Puis, avec l’argent de sa précédente tournée achevée en février 2020, il a lancé Obispo All Access, une appli payante (5,99 € par mois sans engagement ou 59,99 € par an) disponible sur Apple Store et Google Play. Sur cette appli, il partage toute sa musique mais aussi des clips, des live inédits, des documentaires, des interviews (d’autres que lui) et même des cours. Ses anciens morceaux restent gratuits, seuls les nouveaux titres et albums nécessitent d’être abonné.
« L’idée, c’est de pouvoir faire de la musique quand on veut, avec qui on veut, et de pouvoir sortir les titres sans être esclave d’un système qui ne nous permet pas d’être à son tempo », explique-t-il. On peut imaginer que si ce concept porte ses fruits, son geste sera suivi par d’autres artistes dès cette année. Une question se pose cependant : les amateurs de musique auront-ils les moyens de s’abonner à la fois aux plateformes de streaming musical et à plusieurs applis de leurs artistes préférés ? La note risque d’être un peu salée.
5Les jeux vidéo, nouvelle scène pour les artistes ?
Faute de pouvoir offrir à ses fans un concert en chair et en os, c’est dans un monde virtuel que la star du rap américain Travis Scott a donné un concert le 23 avril dernier : celui du jeu en ligne Fortnite. Une version virtuelle du rappeur de Houston a débarqué sur une île du jeu de combat pour présenter un medley de 10 minutes de ses tubes, avant de dévoiler le titre The Scotts en collaboration avec Kid Cudi. Cet événement, rediffusé plusieurs fois par la suite sur le jeu, a battu des records d’audience avec 12,3 millions de joueurs présents.
Ce n’est pas la première fois que les artistes s’invitent dans les arènes de Fortnite : Marshmello y avait déjà fait un concert en 2019. Mais alors que le DJ (en réalité son avatar) était resté derrière ses platines, le rappeur Travis Scott a frappé beaucoup plus fort. Avatar géant dansant dans l’arène, décor se modifiant en fonction des titres, et final dans l’espace : le rappeur a exploité toutes les possibilités que lui offrait cette scène virtuelle pour son show. De quoi inspirer d’autres artistes pour 2021 ? Preuve que l’idée fait son chemin, Variety a indiqué début janvier que Warner Music venait d’investir massivement dans la plateforme de jeu multijoueurs Roblox, qui a déjà accueilli des concerts d’Ava Max et Lil Nas X.
6TikTok fera-t-il toujours danser (et scroller) le monde en 2021 ?
« Day to night to morning, keep with me in the moment /I’d let you had I known it, why don’t you say so ? » Ce petit air, les jeunes utilisateurs de la plateforme Tiktok le connaissent bien. Il s’agit de Say So, de l’américaine Doja Cat, dont la carrière s’est envolée grâce à cette chanson devenue virale sur TikTok. En 2020, l’application chinoise de partage de vidéos est devenue un puissant outil de promotion pour les artistes. Pourtant, il n’est pas nouveau : l’application Musical.ly apparaît en France dès 2014 avant de devenir TikTok en 2017. Déjà, elle permet à ses utilisateurs (surtout des enfants et adolescents) de lancer des challenges de danse sur des musiques en vogue (ou pas), dont certains sont repris dans le monde entier.
Mais en 2020, avec les confinements, TikTok explose et gagne 300 millions d’utilisateurs, dont 65 millions en mars 2020, en s’étendant notamment au monde des adultes. Reniflant la tendance, les artistes ont investi la plateforme en nombre et adopté ses pratiques, accompagnant souvent les sorties de leurs titres d’un challenge TikTok que leurs fans peuvent reproduire. Le but ? Rendre le son viral.
Une méthode qui, en France, a participé à l’émergence du phénomène Wejdene, une artiste qui a sorti les premiers extraits de son tube Anissa sur TikTok avant de signer chez Universal. Le rappeur Drake a même composé en avril 2020 Toosie Slide, un titre sur mesure pour TikTok avec des paroles expliquant des pas de danse. Une vraie révolution dans le monde de la musique, qui risque encore de bouleverser l’industrie en 2021…. si les jeunes ne s’en détournent pas pour de nouvelles plateformes qui n’existent pas encore, face à l’arrivée d’un public plus mûr et d’une industrie aux dents longues.
A votre tour TOP ##1 merci mes Loulou ❤️❤️❤️ ##wejdene ##anissachallenge
7Dans quelles conditions les concerts de musiques actuelles redémarreront-ils ?
A l’heure actuelle, bien malins ceux qui peuvent prédire quand reprendront les festivals et les concerts de musiques actuelles (en 2022, pronostiquent les plus prudents) et à quoi ils ressembleront. On ne parle pas ici des concerts ultra distancés, si tristes, expérimentés ici et là. Ni des concerts en drive-in où les applaudissements ont cédé la place aux klaxons. On parle des concerts debout, avec des jauges normales (à moins de 90% de remplissage, les concerts ne sont pas rentables pour de nombreuses salles), des shows où l’on peut communier, chanter, se déhancher, et dont on sort en nage.
Des producteurs de concerts français réunis au sein du Prodiss (producteurs de spectacles musicaux) et du SMA (syndicat de musiques actuelles) ont indiqué début janvier qu’ils allaient réaliser dans les prochaines semaines des « concerts-tests » sur le modèle de ceux expérimentés en décembre à Barcelone. Il s’agit d’organiser des spectacles avec un public de volontaires testés avant et après, notamment à Paris et Marseille, afin d’analyser scientifiquement le risque de contamination durant un concert. En avril prochain, en comparant avec les résultats de tests similaires menés ailleurs en Europe (Allemagne, Danemark, Espagne…) des conclusions seront tirées sur les mesures à prendre. D’ores et déjà, des tests rapides, antigéniques et salivaires, sont envisagés pour les spectateurs à l’entrée. Un laisser-passer vaccinal pour assister aux concerts est aussi à l’étude, bien que rien ne prouve à ce jour que le vaccin bloque la transmission du virus.
Dans ces conditions, ne restent que les options radicales. Le concert où musiciens et spectateurs évoluent chacun dans une bulle personnelle, comme les Flaming Lips l’ont expérimenté en juin (vidéo ci-dessus), ne manque pas d’air, mais d’oxygène sûrement… Autre solution extrême : proposer à chaque spectateur d’enfiler une combinaison Micrashell imaginée par une entreprise californienne. Encore à l’état de prototype, cette tenue futuriste comprend un casque, un système de filtration d’air, et on peut lui ajouter des cartouches pour boire et vapoter. Elle permet, assurent ses créateurs, « de réunir les gens en toute sécurité« . Mais visiblement pas en toute liberté…
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