A la station de métro Pigalle, sur les quais de la ligne 2 Nation-Porte Dauphine, les voyageurs qui s’autorisaient à lever le nez de leurs smartphones se frottaient les yeux mercredi en découvrant, en lieu et place des réclames qui ornent les murs en temps normal, les pochettes au graphisme joyeux du label Ed Banger en quatre mètres par trois.
De quoi s’agit-il ? D’une opération célébrant les 20 ans du label parisien de Pedro Winter, maison mère notamment de Justice, Cassius, Breakbot, DJ Medhi, Mr Oizo et SebAstian. Cette affichage souterrain est une émanation de l’exposition proposée par Ed Banger à la Maison de la Radio et de la Musique pour l’Hyper weekend festival qui se déroule ce week-end, du 20 au 22 janvier.
La pochette de « I(LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE) Pigalle, épicentre de l’effervescent label et de ses artistes
La station Pigalle n’a pas été choisie au hasard. Le quartier est cher au cœur d’Ed Banger : non seulement les bureaux du label sont tout proches et nombre de ses artistes y vivent, mais le magnifique studio Motorbass de Philippe Zdar de Cassius, disparu en 2019, est situé à quelques mètres du métro. C’est aussi « un quartier qui a été important dans ma carrière musicale puisque j’ai commencé à faire mes premières soirées aux Folies Pigalle, en 1995, j’avais 20 ans « , souligne Pedro Winter alias Busy P, dans l’audioguide que tout un chacun peut écouter avec le QR code placé sur chacune des affiches.
Le directeur artistique Bertrand de Langeron alias So-Me, créateur de l’identité visuelle si caractéristique du label, s’amuse quant à lui de voir cette sélection de 13 pochettes réunies ensemble à cette échelle. « On va pouvoir difficilement faire mieux (à l’avenir) : il faudrait qu’on soit à Times Square (New York) la prochaine fois « , rigole-t-il dans l’audioguide. « Je considère le métro comme un emblème parisien et d’y inviter un label qui plus modestement est aussi emblématique de la ville de Paris à travers le monde, c’est une belle rencontre de deux entités « , estime celui qui a signé la plupart des visuels des disques sortis sur Ed Banger.
La pochette de « Baby I’m Yours » de Breakbot sur le quai de la ligne 2 du métro parisien, le 18 janvier 2023. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE) Les visuels du graphiste So-Me ont contribué au succès du label
Dans cet audioguide, les deux complices livrent des anecdotes sur chacune des 13 pochettes de disques exposées sur les quais. Des images conçues durant les deux dernières décennies dans un style volontairement artisanal, en réponse au graphisme de la musique électronique de l’époque qui privilégiait « des choses très lisses, très léchées. Nous on était plus Ugly Kid Joe, les doigts dans le nez « , se souvient So-Me.
On peut le vérifier avec la toute première pochette de Ed Banger, celle de F.I.ST. de A Bass Day alias Philippe Zdar, qui comportait en face A le titre Radar Ride r de Mr Flash. Le dessin, minimal et naïf, réalisé au trait, à la main, représente une MPC, outil de prédilection de Pedro et de toute la classe des bidouilleurs électro qui nous ont donné tant de tubes euphoriques et joueurs. Pour la petite histoire, Philippe Zdar avait offert ce morceau à Pedro Winter lorsqu’il avait appris qu’il comptait monter un label, en 2003. Un cadeau de « grand-frère » qui disait « lance toi, monte ton label « , raconte Pedro Winter.
(de gauche à droite) Le directeur artistique du label Ed Banger So-Me, le directeur musical des antennes de Radio France Didier Varrod et le patron du label Ed Banger Pedro Winter, le 18 janvier 2023 à la station de métro Pigalle. (PATRICE BARDOT) « Très attaché au côté amateur « , le graphiste maison So-Me se souvient aussi d’avoir fait le choix d’enfreindre délibérément une règle élémentaire du graphisme en plaçant en diagonale le personnage « cartoonesque » aux cheveux longs de Breakbot, en shorts, chaussettes blanches hautes et mocassins, sur la pochette du single Baby I’m Yours . Un graphisme insoumis qui est resté la marque de fabrique visuelle de Breakbot jusqu’à aujourd’hui.
On apprend, toujours via le QR Code, que la cover de Justice de Waters of Nazareth , pour laquelle avait été développée une esthétique inspirée du heavy metal et du hard rock, était inspirée de celle deElectric Warrior de T Rex.La croix, déjà utilisée en lieu et place du T central de Justice dans leur logo, avait été épurée au point de devenir l’emblème iconique du groupe. Sur cette pochette, So-Me donnait à cette croix » une inclinaison de l’ordre du vaisseau spatial projeté dans l’espace, qui collait bien au mélange électro et rock « , rembobine-t-il.
La pochette de « Lambs Anger » de Mr Oizo sur le quai de la ligne 2 à la station de métro Pigalle, à Paris, le 18 janvier 2023. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE) Des pochettes emblématiques et une que vous n’avez jamais vue
On remarque encore sur le quai de Pigalle la pochette de Lucky Boy de DJ Medhi, premier album à paraître sur le label (en 2006), pour lequel So-Me avait dessiné Mehdi en blouson teddy façon King de New York, une ville qu’il connaissait bien, avec en arrière-plan un décor de Big Apple fourmillant de détails. Pedro et So-Me s’avouent tous deux « émus de voir cette image en 4 par 3 » de leur ami disparu en 2011, et Pedro estime que cette pochette « méritait le mieux cet effet de loupe « .
Réjouissantes aussi les pochettes de I <3 U So de Cassius, avec son iPhone entouré de câbles colorés réalisée, fait rare, après le clip viral du morceau ; celle du single First Love d’Uffie pleine de clins d’œil aux mille facettes de cette « petite sœur » à la fois « vulnérable » et un peu « bad ass « . Ou encore Lambs Anger de Mr Oizo, alias le réalisateur Quentin Dupieux, et sa référence à Un chien andalou de Luis Buñuel et Genie de Busy P, où le chef de bande d’Ed Banger est dessiné jouant de dos sur un flipper, un support de graphisme mésestimé qu’apprécie particulièrement So-Me.
La pochette du label Ed Banger « que le public n’a jamais vue » : celle du disque promotionnel destiné aux professionnels, sur laquelle le graphiste maison So-Me s’était amusé à digresser avec humour., affichée à la station de métro Pigalle, le 18 janvier 2023. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE) Et puis, sur le quai en direction de Nation, on ne manquera pas d’admirer « une des pochettes les plus classiques du label » que le grand public n’a pourtant jamais vue : la pochette promo destinée aux DJ’s et aux professionnels. En principe, ces pochettes promo sont sobres, blanches, et découpées en leur centre de sorte de voir apparaître la rondelle du vinyle avec l’étiquette renseignant l’auteur et le titre du morceau. Mais le facétieux So-Me n’a pas résisté à en faire un outil promotionnel plein d’humour où il y a beaucoup à lire et à voir. Puisque cette pochette entre chez les DJ’s, les labels, les radios et les journalistes, « je me sers du support pour digresser (…). Je crée du discours avec l’image et souvent du discours absurde « , explique So-Me, qui reflète ce faisant tout l’esprit du label, cette pochette en devenant le meilleur ambassadeur. « Pour moi, c’est un de ses coups de maître » admire Pedro », les gens vont se marrer sur le quai en lisant le texte « .
Les 13 pochettes iconiques d’Ed Banger sont à voir à la station Pigalle sur les quais de la ligne 2, du 18 au 25 janvier 2023
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