"J’étais partie intégrante de Téléphone" : François Ravard, le manager de Téléphone et des Insus, publie ses savoureuses mémoires
Durant toute la génèse de Téléphone, il était là. A partir de 1976 et pendant dix ans, il a ensuite été aux premières loges de l’ascension, du succès et des dissensions de la formation la plus adulée du rock français, jusqu’à sa rupture en 1986. C’est aussi pour lui, après qu’il eut surmonté un gros pépin de santé, qu’une partie du groupe, sans la bassiste Corine, s’est reformé sous le nom des Insus en 2015, avant d’embarquer pour une tournée triomphale.
François Ravard est un cas. Un manager hors norme, considéré comme un membre de Téléphone à part entière, aux côtés de Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac, Corine Marienneau et Richard Kolinka. Il a appris le métier très jeune, sur le tas, dans une industrie franchouillarde verrouillée par de vieux briscards, où le rock n’avait pas encore droit de cité. Ce disciple de Kerouac, qui rêvait à l’adolescence de faire la route en « clochard céleste« , a quasiment inventé une nouvelle façon de manager, en rupture avec l’establishment et ses méthodes. « Ma philosophie, c’est que je suis avec le groupe, et le reste, tous les autres, ce sont des ennemis« , écrit-il. « Je protège Téléphone. Nous sommes un microcosme, en lutte contre le macrocosme. »
Dans ses mémoires fourmillantes d’anecdotes, Rappels, publiées fin janvier, il revient aussi sur ses années à manager et aimer l’électron libre Marianne Faithfull, ainsi que sur son autre métier, celui de producteur de cinéma, qui l’a conduit à travailler avec Jean-Pierre Mocky et Serge Gainsbourg. On croise pléthore de personnages flamboyants, parfois voyous ou mesquins, dans son livre savoureux qui se dévore d’une traite. Et notamment un prophétique Keith Richards, qui lâcha un jour en sa présence : « Quoi ? Il y a une fille dans votre groupe ? En couple avec le guitariste ?! Préparez-vous, ça va être dur, les mecs.«
Vous faites un portrait impayable du producteur star de l’époque Bob Ezrin, qui a travaillé sur le quatrième album de Téléphone, « Dure Limite », paru en 1982. Vous écrivez « Ça coûte une blinde rien que pour lui serrer la main ». En plus il n’était même pas là pour l’enregistrement de l’album. Ce type est une caricature.
Bob Ezrin, que j’aime beaucoup et que j’ai revu, était à l’époque un réalisateur artistique légendaire. Lors de notre rencontre, même s’il n’était pas âgé, il avait déjà une carrière exceptionnelle derrière lui. Il avait réalisé des albums mythiques comme le Berlin de Lou Reed, et il venait de terminer The Wall de Pink Floyd, colossal succès commercial. Donc naturellement il avait la folie des grandeurs. Il était capricieux, il se prenait pour Dieu. Dure Limite est un album que j’aime beaucoup, et il a un super son. Bob a définitivement ajouté sa patte, certains fans ont trouvé ça trop produit, surchargé, mais moi je trouve qu’il a fait un travail très intéressant.
Si Téléphone n’avait pas remplacé au pied levé Blondie en première partie du groupe new yorkais Television à l’Olympia en 1977, la trajectoire du groupe aurait-elle été différente ?
Ça a été un événement déterminant dans la carrière de Téléphone puisqu’on a joué pour la première fois devant un public composé du tout Paris rock. C’était risqué, on n’était pas sûrs de conquérir le public venu voir Television. Ce nouveau groupe underground emmené par Tom Verlaine inaugurait un son à la pointe de l’avant-garde new-yorkaise de l’époque, alors que la musique de Téléphone était basée sur un rock binaire plus classique. Mais le groupe avait une telle énergie qu’il arrivait à conquérir tous les publics, même à l’étranger. Ce soir-là, le fait d’avoir des paroles en français, une des grandes forces de Téléphone, a pas mal joué je pense. Les semaines suivantes, la presse et les fanzines de rock en ont tous parlé dans leurs revues respectives. Mais s’il n’y avait pas eu ce concert, le groupe se serait fait connaître autrement.
Après Téléphone vous avez été pendant un temps producteur de cinéma. Sous votre plume, Jean-Pierre Mocky apparaît comme un personnage assez détestable. A l’inverse, Serge Gainsbourg est décrit comme un compagnon de biture avec qui c’était visiblement un bonheur de travailler.
J’ai toujours eu une passion pour les livres et le cinéma. J’adore les films de Jean-Pierre Mocky, comme L’Albatros ou Solo, découverts quand j’étais môme. J’étais donc ravi de pouvoir travailler avec lui. Mais il était épuisant. C’était un personnage hors normes très dur à suivre, et puis son avarice, à mon avis, nuisait beaucoup à son talent. Serge Gainsbourg était très ami avec Jacques Wolfsohn, dont je parle beaucoup dans le livre, qui me l’avait présenté. Je savais que Gainsbourg rêvait de faire un autre film après Lemon Incest mais personne ne voulait le financer et je voulais tenter ça avec lui. Stan the Flasher a été une aventure formidable même si le film n’a pas autant fonctionné que Serge et moi l’aurions voulu. Serge Gainsbourg était un grand professionnel dans le meilleur sens du terme. C’était un artisan, un amoureux de son travail, et il était vraiment très très très gentil.
On découvre grâce à vous une Marianne Faithfull intime, une artiste complète, anti-conformiste, avec qui vous avez fréquenté tout le gratin artistique mondial. Aux dernières nouvelles, elle disait être passée tout près de la mort avec le Covid, avoir perdu la mémoire immédiate et même sa voix. Avez-vous des nouvelles ?
J’ai des nouvelles : je lui parle trois ou quatre fois par jour au téléphone ! Marianne a frôlé la mort, elle a été hospitalisée trois semaines et elle va mieux. Mais elle a beaucoup de séquelles, dont une fatigue intense, et elle craint de ne jamais s’en remettre tout à fait. On vient de finir son album, qui sortira en avril. Sur cet album, elle lit des poètes romantiques du XIXe siècle comme Lord Byron, mis en musique par Warren Ellis des Bad Seeds. Nick Cave joue du piano et Brian Eno est venu faire un tour.
Pourquoi avoir fait ce livre ?
Je lis beaucoup de mémoires et j’avais très envie de raconter mes souvenirs. La naissance de mon fils, il y a deux ans, a été un déclencheur. Je me suis dit que ce serait bien de lui laisser quelque chose, comme l’avait fait mon père en me laissant une trentaine de pages sur sa vie avant nous. Mais Philippe Manœuvre a été déterminant pour ce travail qui nous a pris plus de deux ans. Il m’a longuement interviewé mais il m’a surtout beaucoup encouragé.
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