"Je voulais une promenade dans le cinéma et dans la fantaisie de chacun" : le guitariste Thibault Cauvin sort son nouvel album "Films"
Avec son nouveau disque, Films (Sony Music), sorti le 30 avril, Thibault Cauvin poursuit son chemin entre guitare classique et musiques plus populaires. Il nous offre un voyage dans le cinéma à travers une interprétation très personnelle de 18 thèmes très connus de classiques du cinéma, récents et moins récents, d’Ascenseur pour l’échafaud à The Artist, de Délivrance à Kill Bill. Pour cet album à la tonalité mélancolique, réalisé pendant la période très spéciale de la crise sanitaire, il s’est immergé en studio où il a exploré de nouveaux sons plus électriques et expérimenté des superpositions de loops.
Il nous a raconté ce voyage entre musique et images, entre son classique et plus contemporain.
Franceinfo Culture : Comment vous est venue l’idée de cet album ?
Ça fait très longtemps que c’est dans ma tête. J’ai commencé la guitare quand j’étais tout petit avec mon père. Je jouais toute la journée, avec lui qui me guidait. Et le soir, ma mère, qui était professeure de lettres classiques, me racontait des contes du bout du monde, des légendes. Le lendemain matin, quand je reprenais ma guitare, je me faisais des films dans la tête avec les histoires que me racontait ma mère sur les morceaux que je jouais. Et ça m’est resté : maintenant encore, quand je joue, je vois des personnages, comme dans une pièce de théâtre ou un film, avec des décors, des ambiances. Il y a pour moi une intimité entre les images et le son depuis toujours.
Et puis récemment, à la fin d’un de mes concerts, un petit garçon est venu me voir et m’a dit : « ah, c’était génial, pendant tout le concert j’ai vu des personnages, des décors ! ». Le soir quand je suis rentré dans ma chambre d’hôtel j’ai pensé qu’il avait peut-être vu les mêmes images que moi. Je me suis dit qu’il fallait essayer de plonger à fond dans ce chemin en prenant des thèmes de films existants. Pour poursuivre le film ensemble après le mot « fin », grâce à mes arrangements et au son intime de la guitare. Pour qu’on ait l’impression que, après Kill Bill ou Ascenseur pour l’échafaud, le film continue dans la fantaisie de chacun. J’avais cette envie, pour retrouver ce que je vivais quand j’étais petit.
La tonalité générale du disque est assez mélancolique…
C’est vrai… Mon lien au cinéma est lié au voyage et à l’émotion forte. La plupart des films, je les ai vus dans l’avion, parce que j’ai beaucoup voyagé pour les concerts. Et je trouve que dans l’avion, on est en état d’hypersensibilité. Je voyage seul, souvent je suis au milieu de l’Atlantique la nuit avec mon casque et le film, et j’ai des émotions super fortes. J’essaie de regarder des films qui sont liés à la destination : quand je vais à Hong Kong je regarde un film hongkongais, en Amérique du Sud un film argentin. Arrivé dans la ville, où je ne reste souvent qu’un ou deux jours, je rencontre plein de gens, c’est coloré de la fantaisie du film. J’ai presque l’impression de vivre dans un film quand je suis en tournée. C’est vrai que j’ai des souvenirs assez mélancoliques et très émus.
Comment s’est fait le choix des thèmes ?
Ça a été délicat, parce que des films qui m’ont touché, il y en a plein. Je voulais que ce soient des films qui m’ont inspiré, qui ont marqué ma vie à différentes périodes. Il y a des films que je ne pouvais pas ne pas faire, qui m’ont tellement influencé, dont la musique m’a vraiment bouleversé. Il y en a d’autres aussi que je n’ai pas pu faire parce que ça ne marchait pas à la guitare. Je souhaitais apporter quelque chose et que ce soit naturel. Je ne voulais pas que ce soit une copie ou un exercice, de l’équilibrisme.
J’avais envie d’inviter les gens qui écoutent ce disque à voyager dans le cinéma et à rêver. On part de ces films, de ces mélodies que beaucoup de gens connaissent et puis ensemble on continue le film. J’ai volontairement choisi des films très connus, avec des thèmes très connus et transgénérationnels. J’ai eu envie de rassembler les publics, de rassembler les souvenirs. Que ça puisse être des films qui sont sortis il y a un an ou quarante ans, des films qui ont un parfum d’adolescence, des films qui font retomber en enfance, d’autres qui inspirent la réflexion, et bien sûr il y a le voyage, très fort. Je voulais une promenade dans le cinéma et dans la fantaisie de chacun.
Techniquement, comment avez-vous travaillé ?
J’ai travaillé avec trois arrangeurs, pour donner trois couleurs vraiment marquées. Je joue quasiment toujours seul, et j’adore ça, mais j’aime bien dans l’ombre travailler avec d’autres. Derrière ce disque, bien que je sois tout seul à tout jouer, il y a une équipe incroyable d’ingénieurs du son. Et puis les trois arrangeurs : il y a mon frère, Jordan Cauvin qui a une vraie poésie dans les mélodies qu’il écrit et qu’il remanie. On se connait par cœur et c’est très agréable de travailler avec lui. Il est guitariste, comme moi il a commencé tout petit. Il a étudié la composition et l’arrangement et il a un vrai talent. Et puis on a grandi ensemble. Je vais le voir avec des rêves, des images qui parfois peuvent sembler très décousues et un peu délirantes, et lui il capte tout direct. Il réalise les rêves que je lui transmets.
Le deuxième arrangeur, Kevin Seddiki, a un sens du voyage dans ses mélodies et une grande liberté. Il a une écriture très « musique de film du bout du monde ». Je suis allé le voir pour ces ambiances : dès qu’on joue un accord on voit un paysage, d’Amérique du Sud ou du Japon. Le troisième, Giani Caserotto, est spécialiste des pédales d’effets de guitare électrique mais aussi d’autres effets, de tout ce qui est ultra moderne, presque futuriste. J’avais envie depuis longtemps de connecter ma guitare classique à ces pédales qui transforment le son, d’empiler des parties grâce au looper. Si c’est fait de manière adroite avec une vraie réflexion, ça peut faire un orchestre de guitares un peu délirant.
C’était génial, je ne me suis jamais autant amusé pour faire un disque, je retombais en adolescence, j’avais l’impression qu’on me donnait une nouvelle console de jeux. Je trouvais de nouveaux sons sur ma guitare. On était là, en studio dans le 5e arrondissement avec toute l’équipe. On faisait des blagues, un truc de potes. Je crois que ça s’entend dans le disque, ce côté fun. Et le contexte a aidé. On avait tous beaucoup de temps, le temps était arrêté. Plus personne n’avait de concerts ou de projets. On a profité de ce malheur pour faire quelque chose de positif, y aller à fond comme si on n’avait rien à perdre. On n’aurait jamais fait ça en temps normal. Ça a été un peu une chasse au trésor du son parfait et puis après, tout a été sculpté. J’ai passé des heures et des heures dans ce studio, c’est un souvenir qui restera toute ma vie. Et outre le fait qu’ils sont associés à des films, certains thèmes ont une force incroyable, c’est de la grande musique.
Est-ce que les musiques de « Films » sont réalisables en concert ?
Oui, c’était ça la demande ultime. Et tout ce qui est dans le disque, même si ça peut paraître impossible, est faisable seul en scène avec la guitare et ce vaisseau spatial d’effets autour de moi que j’actionne en temps réel. Chacune des notes qui est dans le disque est vraiment jouée à la guitare même si on peut avoir l’impression que c’est des choses de DJ ou de guitare électrique. C’est moi qui actionne tout et pour le cerveau c’est un délire. C’est un délire, parce que tout est au pied.
Les parties restent très virtuoses, il n’y a pas du tout de concession. C’est vraiment l’addition d’un jeu de guitare classique à ce truc très avant-gardiste d’effets poussés à l’extrême. J’ai mis du temps, et je ne suis pas encore tout à fait à l’aise. En studio c’était plus facile parce que j’avais toute cette équipe qui m’entourait et on avait le temps de tout regarder à la loupe, mais j’ai envie qu’il y ait une très belle tournée. Elle devrait commencer à l’automne, avec un beau rendez-vous à Paris, le 17 mai 2022 à la Cigale.
Pensez-vous que cette musique peut amener un nouveau public à la guitare classique, qui reste assez confidentielle en France ?
Depuis tout petit j’ai cette envie de jouer pour tout le monde, pour tous les curieux. J’ai adoré être dans le côté élitiste du guitariste classique quand j’ai fait les concours internationaux. J’étais passionné et c’est en moi totalement. Mais depuis toujours j’ai envie de jouer pour les « vrais gens ». De plus en plus j’y arrive, je suis heureux d’avoir des scènes de plus en plus généralistes. Cette envie de rassembler les puristes mais aussi des amateurs de musique classique, des amateurs de rock et même des gens qui ne sont pas connaisseurs de musique mais qui veulent passer une belle soirée. Mon père était un rocker, et le principe du rock c’est de jouer pour tout le monde. Et moi, j’ai un côté rocker, dans l’énergie et dans l’envie d’être ancré dans mon temps.
Et puis je pense que la guitare c’est l’instrument idéal pour cette philosophie d’accueil. Je suis très fier d’être le petit cousin lointain de Jimi Hendrix, de Django Reinhardt, de Paco de Lucia, d’Andrès Segovia. Si on regarde tous les instruments qui existent, il n’y en a aucun qui est autant décliné, autant joué dans le monde.
Avec ce projet-là autour de thèmes de films connus, j’ai vraiment envie de continuer à élargir le cercle. Il y a un gros travail sur le son, avec toutes ces pédales d’effets. Mais il y a aussi beaucoup de morceaux qui sont en guitare seule, classique, mais avec la possibilité de jouer très fort, dans des salles très grandes, tout en gardant ce qu’on aime de la guitare, le côté soyeux, charnel, intime. Tout ça me passionne, je suis très heureux de ce disque qui s’envole, de la tournée qui va arriver et qui va être très intense. Et j’espère accueillir beaucoup de gens !
En attendant la tournée « Films », Thibault Cauvin sera en concert les 9 et 10 juin au théâtre Trianon de Bordeaux et les 15 (complet) et 16 juin à Paris à la galerie Eko Sato, où il racontera et jouera les 33 « Estudios sencillos » de Leo Brouwer. Un autre projet sur lequel on revient bientôt.
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