"Il y a aujourd’hui une génération de jeunes musiciens français remarquables, je ne suis pas sûr que nos élites en aient conscience" : René Martin ouvre la Folle journée de Nantes
Une Folle journée qui, cette année, se déroulera en même temps dans toute la région des Pays de la Loire. Ce sera ensuite La Grange de Meslay (près de Tours) du 8 au 18 juin et puis La Roque-d’Anthéron, le prestigieux festival de piano, du 23 juillet au 18 août. Dans les trois cas, un René Martin aux commandes, comme directeur artistique et technique », voire un peu plus : l’âme de ces manifestations !
Ces trois festivals ont eu lieu l’an dernier, ils auront lieu cette année. La passe de trois. Cela rend fier ?
Oui mais au prix de déprogrammations, de changements constants de dates, de réaménagement des possibilités. L’an dernier Meslay avait été déplacé en juillet, La Roque en août, en jauge réduite à 1/3… La Folle journée, prévue pour février, est passé à mars puis à avril, et elle aura lieu enfin… en mai.
Sous quelle forme ?
De concerts ! Dans le grand Auditorium (2000 places habituellement) et dans une autre salle, bien plus petite (300 places en temps normal), à quelques pas. Les nécessités sanitaires font que les gens ne peuvent pas se croiser en lieu clos. Donc ils entreront, assisteront au concert, ressortiront. De 150.000 spectateurs on passe à 9.000, de 300 concerts à 24. Plus, simultanément, 35 concerts en région. Mais la qualité artistique reste évidemment la même (Anne Queffelec, Renaud Capuçon, Bertrand Chamayou, Adam Laloum, Claire Gibault, Claire-Marie Le Guay, on ne peut les citer tous)
Et Meslay ? La Roque ?
Dans notre magnifique grange de Meslay on pourra accueillir 300 personnes. La Roque, ce sera mieux que l’an dernier, on espère aussi que les conditions sanitaires auront encore évolué dans le bon sens. On devrait mettre la jauge à 60%, en particulier en réunissant les familles (ce qui n’était pas le cas l’an dernier) Peut-être même pourra-t-on proposer une petite buvette…
Vous avez insisté sur le fait que vous avez croisé beaucoup d’artistes en détresse. Malgré les aides ?
Oui car, quand vous êtes soliste, souvent vous n’êtes pas intermittent du spectacle. Vous avez franchi une sorte d’étape, c’est un autre statut. Et, après le premier mois, il leur a fallu tenir. Imaginez que vous êtes un jeune pianiste prometteur, que vous avez acheté un Steinway, fait donc un emprunt, comme pour un appartement, comment faîtes-vous pour rembourser vos traites si vous n’avez plus de concert ? Certains ont dû postuler pour faire de l’enseignement. Avant de se fédérer pour demander de l’aide. C’est bien pour cela aussi qu’il y a eu toutes ces initiatives pour exister, souvent suscitées par les artistes eux-mêmes. Un moyen pour eux de gagner des cachets.
René Martin évoque alors les supports de ces chaînes qui ont permis une visibilité des artistes et des spectacles, mais plutôt lors du second confinement. Et particulièrement Culturebox : « ça, c’est inespéré. Une vraie chaîne multiculturelle, avec des soirées thématique, théâtre, musique classique, etc. Je la regarde très souvent, j’y ai vu des merveilles dont je n’avais pas connaissance ».
Ce vrai souci que vous avez de nos artistes, il est aussi lié au fait que vous ne tarissez pas d’éloges sur eux… je veux parler plus particulièrement des musiciens français ?
Oui. On dit toujours que les Français ne sont pas musiciens, plus tournés vers la littérature. Mais, ne serait-ce qu’au vu de la jeune génération, ce n’est pas vrai du tout. L’école des vents est formidable, elle s’impose dans les orchestres étrangers, la flûte solo du Philharmonique de Rotterdam est une Française. Notre école de violoncelle est toujours la meilleure du monde et elle se renouvelle constamment, l’école de piano, n’en parlons pas, brillante, nos chanteurs… Même chez les violonistes qui étaient peut-être moins « au premier plan », cela commence à bouger, il y a une belle génération des 20-25 ans qui arrive. Et dans le domaine du quatuor à cordes, depuis le Quatuor Via Nova qui fut pionnier dans les années 80, s’est développé un vivier remarquable.
Cela fait combien de temps ?
Depuis une quinzaine d’années on observe cela.
Cela tient à quoi à votre avis ? A la qualité et à l’organisation de l’enseignement, il me semble. Les deux conservatoires nationaux (Paris et Lyon) sont de très beaux établissements. Les conservatoires de région sont excellents aussi. Mais il y a plus : une sorte de pyramide qui fait que dans de plus petites villes il y a aussi des écoles de musique remarquables, et qui répondent à la demande. 1400 élèves à La Roche-sur-Yon, 1600 à Cholet par exemple (deux villes de 50.000 à 60.000 habitants), avec, dans ces écoles, une qualité des enseignants et surtout une capacité à détecter les meilleurs éléments pour les faire progresser à un niveau plus élevé, et ainsi de suite. Il y a par exemple ce qu’on appelle le « pont supérieur », c’est comme une classe préparatoire aux grandes écoles (ici le Conservatoire national!), dans notre région elle est commune à Nantes et à Rennes, donc transrégionale. On a resserre ainsi les mailles du filet.
Les élus, et même les élites intellectuelles, en sont-ils vraiment conscients ? Combien de ministres de la Culture sont passés par La folle journée ?
Frédéric Mitterrand, Renaud Donnedieu de Vabres… Très peu, et c’est ahurissant, alors que c’est justement l’occasion de mettre à mal ces clichés qui m’exaspèrent : « Le classique est mort. C’est pour les plus de 70 ans ». On donne constamment, et pas seulement à Nantes, la preuve inverse. Ah ! si… Jack Lang mais il n’était plus ministre (Lang avait quitté le ministère de la Culture quand La Folle journée a été créée en 1995).
Pourtant les artistes classiques sont souvent très ouverts à toutes les formes de musique, ce qui n’était pas forcément le cas il y a 50 ans. En sens inverse les autres musiciens n’ont peut-être pas cette ouverture…
Je ne pense pas. J’ai souvenir que pour La Folle journée, avec Jean-Frédéric Neuburger, ce garçon qui a pris la classe d’accompagnement à 22 ans au Conservatoire national et qui est passionné par toutes les musiques, on avait contacté des groupes de rock pour qu’ils fassent des transcriptions du Voyage d’hiver et plus généralement des lieder de Schubert. J’avais sélectionné une centaine de pièces que j’imaginais adaptables. Tous ces groupes, qui n’avaient pas vraiment Schubert dans leur pratique, ont écouté ces lieder avec acharnement, 30, 50 fois, ils se sont pris au jeu, pour eux c’était de la musique, point. D’ailleurs beaucoup de chanteurs, de musiciens de tous les horizons, disent écouter des compositeurs classiques, parfois s’en inspirer, c’est tout à fait normal pour eux. En sens inverse, pour les musiciens dits « classiques », d’un Frank Braley (52 ans) à un Daniil Trifonov (30 ans), c’est aussi une évidence de se confronter aux musiques dites « actuelles ». Il y a d’ailleurs au Conservatoire des classes de jazz, de musique électronique. Il y a 50 ans il y avait des chapelles (à l’époque de Boulez par exemple) mais aujourd’hui, même s’il y en a encore, on peut écrire comme l’on veut, dans le style qu’on veut. A La Roque d’Anthéron, cette année, nous ferons entendre beaucoup de musique du XXe siècle, depuis la richesse rythmique d’un Bartok ou d’un Prokofiev à… des compositeurs qui seront là, bien présents.
La Folle journée de Nantes, du 28 au 30 mai. Grand Auditorium et salle du CIC à partir de 10 heures 30. Derniers concerts, ce 28 mai à 16 heures 30, les 29 et 30 mais aux alentours de 19 heures. 3 concerts-surprise également « au gré des Vents » samedi 16 heures, dimanche 11 et 16 heures au square du Lait-de-Mai
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