"Ça nous fait battre le cœur de retrouver le public dans la salle" : dans l'effervescence de la réouverture du Théâtre des Champs-Elysées
Ce mercredi soir, 19 mai, le Théâtre des Champs-Elysées à Paris est au rendez-vous de la réouverture, avec une affiche de choix : un récital réunissant le ténor Benjamin Bernheim et Pretty Yende, la soprano sud-africaine qui a fait l’événement en 2019 dans la Traviata à l’Opéra Garnier. La chanteuse elle-même a du mal à réaliser. « Je me suis posé plein de questions au cours de l’année : pourrais-je chanter à nouveau ? », nous a-t-elle raconté. « Mais cette fois-ci, on nous annonce que nous pouvons vraiment sortir et célébrer la musique avec le public parisien ! ».
Informer, annuler, rembourser, distancer
C’est parti, donc. Epilogue d’une longue période d’attente. Nous nous sommes rendus mardi 18 mai, dans le majestueux théâtre de l’avenue Montaigne, dont la façade est recouverte ces jours-ci par un imposant échafaudage qui laisse à peine apparaître les célèbres lettres dorées, pour un dernier tour avant la reprise. Histoire de saisir la fièvre.
Ici et là, dans les couloirs que l’on traverse dotés du masque FFP2 obligatoire – hors de question de prendre le moindre risque en ces lieux fréquentés par les artistes –, ou sur le plateau où machinos, électros et autres techniciens s’affairent encore, on perçoit le bouillonnement. Mais l’orage semble passé. En attendant la prochaine et dernière étape, le lever de rideau. Valérie Turban, la responsable de la billetterie et de la gestion des salles peut souffler. Depuis l’annonce du président Macron d’une réouverture le 19 mai, son service n’a pas eu de répit. Les mots clé se sont imposés à l’envi comme une litanie : informer, annuler, rembourser, distancer.
Tétris géant
Le point d’orgue a eu lieu juste après le week-end du 8 mai : « en 48 heures, on a eu trois spectacles annulés, un spectacle doublé avec distanciation et changement d’horaire, et deux autres spectacles impactés », raconte Valérie qui ne cache pas sa satisfaction du travail accompli. Un savant jeu de chaises musicales, orchestré avec créativité par la direction en fonction des contraintes, et traduit par l’équipe de Valérie. « Pour la reprise du 19, imposant une jauge à 35%, la capacité des places a été réduite de 1985 à 700 places », nous explique la responsable, plan de salle à l’appui, affiché en permanence sur son ordinateur.
« Ce qui nous fait frémir »
Après une si longue interruption, est-ce facile de rallumer la machine ? Pour le directeur du théâtre, Michel Franck, la machine ne s’est jamais éteinte. « Pendant ces six mois, on a travaillé, on a monté pour les filmer des spectacles, dont L’élixir d’amour pour le jeune public (on en a fait un DVD), et la création de Thierry Escaich, Point d’orgue, en miroir avec La Voix Humaine de Poulenc ».
Certes, mais là, ce 19 mai est vraiment une journée spéciale. Le visage de Michel Franck s’illumine. « Ce qui nous fait frémir et battre le cœur c’est de se dire qu’il va y avoir du public dans la salle et que les artistes ne sont pas devant des fauteuils vides. Quand on travaille dans ce métier, il y a un qualificatif important, c’est « vivant » accolé au mot spectacle ». Le numérique, poursuit-il, c’est très bien. « Mais au niveau des émotions, c’est quand-même mieux de les partager avec d’autres personnes dans une salle. Et les artistes y sont très sensibles. On le voit par exemple aux répétitions générales, par rapport aux pré-générales, ce n’est absolument pas le même spectacle en termes de qualité. Non pas parce qu’il y a une répétition de plus, c’est juste qu’il y a du public ! Quand il y a du public les artistes sont complètement différents. Et donc ça a été très dur pour les artistes ».
Le public au cœur du dispositif
En voilà un parmi ces artistes qui vont faire la reprise : le chef d’orchestre Riccardo Frizza qui dirigera La Somnambule, l’opéra de Bellini programmé à partir du 15 juin, autre moment fort de la réouverture. « Cette reprise, il faut la voir des deux points de vue, celui des artistes et celui du public », dit-il. « Or pour nous les artistes, en ce moment c’est le public qui a le rôle principal. Les rôles se sont inversés en quelque sorte. Avant c’était nous. Les gens venaient pour les artistes, pour la musique évidemment, pour l’opéra, pour le spectacle ou pour toute autre activité culturelle. Mais en ce moment, je peux dire vraiment que pour nous l’acteur principal c’est le public. Parce qu’on s’est habitués dans ces six derniers mois à faire nos activités en streaming, grâce au web, à la télévision, mais le spectacle en live c’est autre chose ! ».
Rolando Villazon à la mise en scène
Frizza nous avoue avoir déjà pu diriger devant un public, c’était le mois dernier en Espagne, où les théâtres sont restés ouverts. « Ca a été une émotion incontrôlable. C’était avec la soprano Ermonela Jaho, une artiste albanaise très célèbre également en France, on s’est retrouvés après la générale des Contes d’Hoffmann à pleurer comme des enfants pour l’émotion que nous a offert la réaction du public ». Une émotion qui a une signification particulière pour le musicien italien installé à Bergame, dans le nord de l’Italie, qui a dirigé en juin 2020 le requiem donné en hommage aux disparus de cette ville, l’une des plus touchées au monde par le Covid.
En attendant les répétitions avec l’Orchestre de chambre de Paris, le chef travaille pour l’heure avec les principaux chanteurs de La Somnambule, et en premier chef Pretty Yende. La Sud-Africaine marquera décidément la réouverture du Théâtre des Champs Elysées, ayant pu remplacer la soprano américaine Nadine Sierra – qui a eu le Covid – initialement prévue pour le rôle. Frizza répète aussi avec l’ancien ténor star Rolando Villazon que l’on découvre avec sa nouvelle casquette de metteur en scène. « Rolando a décidé de travailler sur l’idée d’une communauté fermée régie par ses règles internes, ses us et coutumes, qui renforce l’idée originelle de Bellini », explique le chef d’orchestre, enthousiasmé par le projet. Une atmosphère de fermeture qui pourrait rappeler le confinement. « Ce n’est sûrement pas voulu, mais le public peut, évidemment, y voir un lien », conclut-il.
Comme un moteur de Formule 1
Direction le plateau du Théâtre des Champs-Elysées, où aucune trace du décor de La Somnambule n’est encore visible. L’heure est au récital de réouverture qui ne nécessite aucun décor, juste ce qu’on appelle la « conque d’orchestre », nous dit la patronne des lieux, la directrice technique Lucia Goj. Explication : « la conque, c’est ce qui permet de se produire à l’intérieur du plateau avec une acoustique soignée pour le public, car autrement ça sonnerait comme dans un plateau vide. Pour la remettre en place, il faut nettoyer, encore et encore ». C’est une partie essentielle du travail. Qui concerne aussi les fauteuils, qui sont nettoyés et réparés si besoin avant d’être réinstallés.
« Pour le reste la machine technique n’a pas à être remise en service car elle ne cesse jamais de fonctionner », dit Lucia Goj, entourée de quelques techniciens à l’œuvre. « C’est comme le moteur d’une belle voiture de Formule 1 », précise-t-elle. « Les cintres – le système de pilotage (hydraulique) qui permet d’accrocher tous les décors – sont allumés en permanence. Il y a donc de la maintenance, même si le l’activité artistique est en pause. De plus, nous avons profité justement de cette pause pour anticiper des travaux qu’on devait faire cet été pour changer de système de pilotage », ajoute Lucia. Pour la réouverture, une équipe est sur le pont pour démonter le chantier des travaux et mettre en place tout ce qu’il faut pour l’activité artistique. Du non-stop.
« De toute manière, rien ne se passe d’un coup », explique, sourire en coin, la directrice technique à la tête d’une équipe de 25 personnes (qui deviennent 50 à 60 lors d’une production d’opéra). « Le plus dur a été l’attente. Depuis un an, le temps des pauses artistiques a servi à imaginer des scénarios techniques de réouverture. Ils permettent d’être réactifs aujourd’hui ». Pour enfin revoir le public dans la salle ce soir.
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