Topshop, l'impensable naufrage du paquebot de la mode britannique
Ébranlée par la crise du Covid, la marque britannique est en plein dévissage : rachat par le géant de la vente en ligne Asos, casse sociale, patron très controversé… Retour sur la chute de la Mecque du style.
Parmi les images qui restent, celle-ci : le magasin Topshop pris d’assaut par les rédactrices de mode de passage à la Fashion Week de Londres. À l’atmosphère froide et pincée des boutiques de luxe de Bond Street, elles préfèrent un son pop bien anglais lancé pleine balle dans les allées interminables de l’empire du vêtement britannique. A l’époque, Topshop règne en maître de la fast fashion branchée avec son vaisseau amiral planté sur Oxford Street. On vient ici en pèlerinage, respirer le cool londonien, acheter un jean slim, une culotte aux couleurs vitaminées (l’enseigne en a vendu jusqu’à 30 par minute au meilleur de sa forme) ou une minirobe imprimée signée Kate Moss, icône de mode des années 2000.
Mais voilà, l’engouement s’est fané. « Vasouillarde » depuis plusieurs années pour avoir en partie raté le coche de la stratégie digitale face à des concurrents voraces comme Boohoo ou PrettyLittleThing, la marque de vêtements a vu sa chute précipitée par la crise du Covid. Le groupe auquel elle appartient (Arcadia) au bord de la faillite, se dépêche d’ouvrir les pourparlers pour être cédé à Asos, nouvel empire du prêt-à-porter – en ligne, également britannique.
Si ce rachat annoncé début février 2021 vient sauver le nom de l’enseigne et les stocks restants, l’issue reste moins chanceuse pour les 70 boutiques de ce mastodonte du vêtement en lycra, appelées à fermer, ainsi que les 2500 emplois qui en dépendent, tous menacés.
Du roi de la mode au « visage inacceptable du capitalisme »
Dans ce contexte morose, les regards sont braqués vers Philip Green, le patron de Topshop. Car si l’Angleterre pointe une casse sociale colossale et prédit avec ce rachat – par la voix du Guardian – la fin des virées shopping dans les boutiques en «dur», dans le même temps, le pays se fascine pour la chute du controversé milliardaire, magnat de la fast fashion en Grande-Bretagne. La BBC rappelle que l’homme d’affaires de 68 ans est passé du «roi de la mode à petit prix» au «visage inacceptable du capitalisme » dénoncé par un groupe de parlementaires en 2016.
Le milliardaire Philip Green à l’ouverture de la boutique Topshop à Las Vegas, le 7 mars 2012.
L’histoire de Philip Green a de quoi nourrir les colonnes. Elle commence dans les années 1970, période où ce self-made-man se lance dans les affaires. Il a 23 ans quand il se met à importer des jeans du Moyen-Orient. Pendant plusieurs décennies, il peaufine les ficelles du business. En 1999, il voit sa carrière décoller en rachetant la chaîne de magasins British Home Stores (BHS), puis deux ans plus tard, le groupe Arcadia.
A 50 ans, il devient le puissant patron des enseignes emblématiques de la fast fashion britannique, et transforme bientôt Topshop en Mecque du style avec l’aide de la styliste Jane Shepherdson. L’entrepreneure est désignée comme celle qui «a démocratisé le style» et «changé la façon dont on achète et porte la mode», selon le Telegraph. La recette Green : proposer une mode peu chère adaptée aux goûts du moment, renouvelée à toute vitesse avec de modèles inspirés des podiums. De l’adolescente à la quadragénaire, les clientes en redemandent. Les célébrités ne sont pas en reste. Parmi elles, on retrouve Alexa Chung, Laura Carmichael (la Lady Edith de la série Downton Abbey) ou encore les sœurs Delevingne.
Kate Moss, le bon deal
En 2005, le virage est pris quand Philip Green réussit à engager Kate Moss après l’avoir croisée à un gala de charité. Il obtient du mannequin alors intouchable qu’elle dessine une collection exclusive pour Topshop. Le premier lancement, en mai 2007, déclenche des scènes d’hystérie collective sur Oxford Street où le top fait une micro-apparition de vingt secondes. Le deal est gagnant et va se répéter plusieurs fois jusqu’en 2014. Il s’essaye aussi avec Beyoncé, autre icône inaccessible. Tandis que la gloire est à son apogée, l’image dorée du milliardaire s’obscurcit, notamment avec le départ fracassant de Jane Shepherdson – après l’arrivée de Kate Moss. Plus tard, avec l’avènement de la vague Me Too, la styliste affirmera avoir été harcelée par son patron.
Philip Green et Kate Moss inaugurent le magasin Topshop à New York, le 2 avril 2009.
Philip Green traîne une réputation d’homme impulsif et colérique, mais qui ne freine pas son ascension vertigineuse. En 2006, l’homme d’affaires est anobli par la reine. Le premier ministre travailliste Tony Blair prend sa carrière pour exemple, évoquant «un rêve devenu réalité». Le défilé Topshop est l’un des plus attendus de la Fashion Week londonienne. On y croise l’intelligentsia de la mode, dont Anna Wintour, patronne redoutée du Vogue américain et Nathalie Massenet, présidente du British Fashion Council. On lui prête aussi des soirées mémorables sur son yacht à Monaco ou dans les Maldives, en présence, entre autres, de George Michael et de Jennifer Lopez.
Accusations de racisme et de harcèlement sexuel
Le déclin commence en 2016. Kate Moss n’est plus la garantie d’écouler les stocks, Beyoncé est partie voir ailleurs avec sa collection Ivy Park, et en face, la concurrence prend de plus en plus de place. Celle-ci a su trouver son public auprès de la génération Z, une jeune clientèle digitale native, ultraconnectée, nourrie par la culture des influenceuses, et tiraillée entre ses idéaux écologiques et sa dépendance à la mode rapide qu’elle achète depuis son smartphone. Des attentes mal cernées par le magnat qui a refusé d’investir en ligne pour riposter.
Dans le même temps, il revend ses magasins BHS au bord du dépôt de bilan, pour 1 livre sterling symbolique, en 2015. L’année suivante, le groupe fait faillite, provoquant la suppression de 11.000 emplois. La grogne monte du côté des parlementaires, il est question que la reine lui retire son titre (une première), mais le milliardaire le sauve moyennant le versement de 363 millions de livres dans le fonds de pension de retraites de BHS. Il est aussi accusé d’avoir effectué un montage financier lui permettant d’échapper au fisc anglais en faisant toucher à sa femme, Tina, résidente monégasque, l’intégralité des dividendes.
En 2018, Philip Green fait face à des accusations de racisme et de harcèlement sexuel de la part de plusieurs employés ainsi que d’une professeure de pilate aux États-Unis, accusations qu’il dément. La chute se poursuit en 2019 avec les dettes du groupe Arcadia qui s’accumulent. Si Asos a confirmé son rachat des marques Topshop, Topman, Miss Selfridge et HIIT, la plateforme e-commerce n’a toutefois pas l’intention de reprendre les magasins, mettant ainsi en danger la majorité des 13.000 employés d’Arcadia. Et leur fonds de pension. Le personnel demande à Green de combler le trou estimé à 350 millions de livres sterling. Mais pour l’heure, la demande est restée lettre morte, comme si le patron du navire tout puissant s’était volatilisé, laissant les naufragés livrés à eux-mêmes.
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