Témoignages : la mode les a aidées à se reconstruire

Nous avons toutes dans notre armoire un habit qui nous fait du bien. Un tailleur qui nous donne de la force ou une robe dans laquelle nous nous sentons jolies. Pour certaines, à un moment, l’habillement a représenté plus que cela. Il ne les a peut-être pas sauvées, mais il les a aidées à surmonter des difficultés existentielles.

Hélène a vu la lumière au bout de sa dépression grâce à une robe rose. Gordana, Bosnienne, a retrouvé sa joie de vivre dans une école de mode après avoir fui la guerre à Sarajevo, en 1995. Cattleya, trans, est devenue pleinement femme le jour où elle a laissé ses vêtements de garçon derrière elle. Marion, après deux mélanomes, a créé la marque de lingerie qui lui garantirait un respect total de sa peau.

Je m’étais perdue et les vêtements m’ont aidée à me retrouver.

La place que tient l’habillement dans leurs récits n’étonne guère Isabelle Thomas, styliste personnelle et thérapeute. « Le vêtement qu’on se choisit raconte notre construction psychique », décrypte-t-elle. L’apparence accompagne les transformations internes. On arrête d’être quelqu’un d’autre, des pans de soi que l’on avait étouffés demandent à s’exprimer.

« Avant, j’étais Miss Parfaite, gentille et discrète, se remémore Hélène. Je m’étais oubliée. » Durant sa dépression, elle donne l’intégralité de son dressing. « J’avais besoin de laisser celle que j’avais été derrière moi. » La mue vestimentaire se transforme alors en reboot de soi.

 Se réconcilier avec son corps

Le vêtement nous aide à réinvestir notre corps grâce à une image restaurée de nous-même. « Il a le pouvoir de redessiner nos formes en les mettant en valeur, que ce soit par sa coupe, sa couleur ou sa texture », rappelle Katia Kermoal, psychologue et thérapeute EMDR. Isabelle Thomas abonde : « Il permet de se réconcilier avec des parties du corps que l’on n’aime pas forcément. On s’arrange avec les vêtements, même si l’on sait qu’il s’agit d’un artifice. On joue avec les matières, un tombé. »

Cela donne confiance en soi et aide à se réconcilier avec sa féminité. Un travail de reconstruction aux racines profondes. « Quand on a du mal à dire “j’existe », il y a souvent un problème d’estime de soi, analyse Katia Kermoal. On ne se nourrit pas assez de l’amour que l’on pourrait avoir pour soi. Ce manque remonte aux premières années. À un moment, l’enfant a eu le sentiment de ne pas compter assez pour ses parents et de ne pas mériter leur amour.

se vêtir est une manière de marquer sa présence

Prendre soin de soi, notamment à travers l’habillement, est une manière de colmater cette blessure narcissique. »Une robe imprimée peut alors devenir le moyen d’oser prendre sa place en se sentant aussi protégée que derrière un bouclier. « Quand on n’arrive pas à s’affirmer par soi-même, se vêtir est une manière de marquer sa présence, poursuit Katia Kermoal.

Le vêtement nous valorise et nous idéalisons cette enveloppe : « Je ne serai pas une femme lambda, je serai une femme qui attire les regards. » Catherine Bronnimann, psychologue, y voit « une forme de séduction. Pas dans le sens sexuel, mais dans celui d’amener à soi, de devenir ou redevenir sensible à son propre regard ». Un processus qui passe aussi par l’identification et l’imitation. Ce que l’on n’a pas en soi, on va le chercher ailleurs, chez une amie, une collègue ou une actrice.

Faire changer le regard des autres

Que dit la science de ce pouvoir du vêtement ? Sous le concept d' »enclothed cognition« , des chercheurs américains se sont intéressés aux effets de l’habillement sur le processus cognitif. Une étude, en particulier, a marqué les esprits : les psychologues Hajo Adam et Adam Daniel Galinsky ont démontré que si un sujet revêt une blouse blanche de médecin, ses facultés de concentration augmentent car il s’identifie à cette profession.

De là à penser que les vêtements affectent nos ressentis émotionnels et physiques, il n’y a qu’un pas, qu’Isabelle Thomas franchit avec conviction : « Nos sensations varient avec ce que l’on porte. On ne s’investira pas de la même façon dans sa journée selon que l’on porte des talons ou des baskets. »

le vêtement n’est pas un pansement

D’où l’importance, aussi, des couleurs que l’on choisit. S’enfermer dans des teintes sombres, c’est courir le risque de broyer du noir, alors que des nuances vives doperont le moral. Attention toutefois, « le vêtement n’est pas un pansement », avertit Isabelle Thomas. Le travail de réparation est lent et passe par plusieurs chemins.

Mais quand le déclic survient, l’effet est immédiat. « Lorsque vous vous sentez bien dans une robe et que vous vous regardez à nouveau, le regard des autres change à son tour », observe Catherine Bronnimann. Une nouvelle robe pour une nouvelle vie.

Marion Rocher, 44 ans : "Ce style sobre et joyeux me fait me sentir puissante"

En quoi la mode a-t-elle été une thérapie ?

En 2013, j’ai eu un mélanome sur la poitrine, puis, fin 2017, un second, cette fois au pied. J’ai pris cette maladie comme le signe que je n’étais pas sur le bon chemin. Peu après, une révélation m’est apparue en rêve : dans un salon de créateurs, plusieurs femmes âgées étaient assises à un stand de lingerie.

L’une d’elles m’a mis un soutien-gorge dans les mains et m’a dit : « Vas-y, c’est à toi. » Au réveil, j’ai eu l’intuition qu’il fallait que je me lance. Ma peau fragilisée m’avait rendue obsédée par les matières naturelles. J’éprouvais le besoin de concevoir une seconde peau qui respecterait à la fois le corps et l’environnement. Ma marque, Simplement, est née de cette exigence.

La maladie a-t-elle également changé votre style vestimentaire ?

Avant, j’avais tendance à me fondre dans la masse, je portais beaucoup de noir. La découverte du yoga kundalini m’a fait aller vers le blanc et le beige. Je me suis aussi ouverte aux nuances vives. La couleur me rend visible.

Longtemps, je n’ai pas voulu prendre ma place dans le monde. Je me cachais. Aujourd’hui, je m’ouvre et le vêtement accompagne ma transformation. J’ai un style épuré mais d’une sobriété joyeuse.

Ce nouveau style change-t-il votre rapport à la féminité ? 

Oui, il me fait me sentir puissante. J’ose enfin être la femme que j’ai envie d’être. 

Gordana Dimitrijevic, 50 ans : "Les chaussures me donnent des ailes"

En quoi la mode a-t-elle été une thérapie ?

En 1995, à 24 ans, j’ai quitté ma ville, Sarajevo, alors en pleine guerre. Je suis arrivée à Paris. Je ne connaissais personne, ne savais rien faire d’autre que coudre. Avant de partir, j’étudiais l’économie mais ça ne m’intéressait pas.

Je rêvais de faire une école de mode. Soutenue par la famille chez qui j’étais devenue fille au pair, j’ai fait le Studio Berçot. Au contact des brocarts et des paillettes, j’ai ressenti une immense bouffée d’air. C’était comme si je traversais le miroir et laissais ma solitude derrière moi. Tout devenait beau et féerique.

En 2012, vous avez créé votre marque éponyme. Pourquoi les chaussures ?

Elles représentent un défi technique, mais ont aussi une forte charge symbolique : elles nous portent. Elles me donnent même des ailes !

Un vêtement ou un accessoire qui représente votre évolution ?

Des escarpins noirs que j’ai emportés avec moi quand j’ai quitté Sarajevo. Je ne les ai jamais portés en France mais je les garderai toute ma vie. Ils me relient à ma vie d’avant.

Oseriez-vous dire que la guerre fut une chance pour vous ? 

Je sais à quel point la guerre, c’est moche, mais oui, elle fut mon « merveilleux malheur », selon l’expression de Boris Cyrulnik. Sans elle, jamais, je ne serais devenue styliste.

Elle m’a aidée à voir que la vie est belle et qu’il faut lui mettre des paillettes pour qu’elle le soit encore plus.

Cattleya Blancas, 22 ans : "Habillée en garçon, j’avais l’impression d’être déguisée"

En quoi la mode a-t-elle été une thérapie ?

Je suis née garçon, mais à 6 ans, ma féminité a surgi. À 10, j’enfilais les robes d’une amie de ma mère. Je disais que c’était pour rire, mais je me sentais mieux en fille. Habillée en garçon, j’avais l’impression d’être déguisée. L’adolescence fut très dure.

Je ne connaissais rien à la transidentité, me pensais gay mais cela ne me correspondait pas. Je suis atteinte de gynécomastie – j’ai de la poitrine – ce qui me plaît mais m’a valu plusieurs agressions sexuelles.

À 17 ans, j’ai décidé de m’acheter mes premiers vêtements au rayon femme. J’ai commencé par des jeans et des pulls androgynes. Je me suis trouvée jolie. On m’a tout de suite appelée Madame. Ma personnalité a changé : j’ai pris confiance en moi, suis devenue joyeuse, me suis ouverte aux autres. Les vêtements m’ont aidée à sortir de chez moi.

Où en êtes vous aujourd’hui ?

Je suis trans. J’ai changé de prénom. Je suis un traitement hormonal. J’ai toujours mon sexe masculin, il ne me dérange pas. Je me sens en accord avec moi-même et essaie d’aider la communauté transgenre via mon compte Instagram @itsjennyfrcy___.

Quel rôle les vêtements ont pour vous aujourd’hui ?

Ils me donnent confiance en moi et m’aident à avoir « un bon passing« , c’est-à-dire à être vue comme une femme biologique. Je m’habille simplement, sans extravagance. Mais j’adore les talons !

Hélène Hoareau, 39 ans : "Je me suis rendu compte que je pouvais être audacieuse"

En quoi la mode a-t-elle été une thérapie ?

En 2017, j’ai fait un burn-out. Il ne s’agissait que du premier symptôme d’une dépression sévère. Au printemps l’année suivante, mon mari m’a invitée un week-end à Paris. Dans une vitrine, j’ai vu une robe rose, sublime. Je ne portais plus que des jeans informes. Il m’a convaincue de l’essayer.

Cette robe a marqué le début de ma renaissance. J’ai attendu avant de m’autoriser à la porter, puis, un jour où il faisait beau, j’ai proposé à mon fils de l’emmener manger une glace. J’ai mis ma robe, j’avais besoin de cette armure pour affronter l’extérieur.

Dans la rue, une dame m’a complimentée sur ma tenue, la vendeuse m’a demandé si j’étais danseuse. Le regard des autres avait changé. Pour moi, c’était grâce à cette robe.

Comment votre style a-t-il évolué après cet achat ?

Cette robe venait de chez Heimstone. J’ai eu un coup de foudre pour l’originalité et la beauté des créations d’Alix Petit, la fondatrice. Elles correspondent aussi à ma morphologie.

Grâce à elle, j’ai appris à choisir des vêtements qui me mettent en valeur. D’habitude si discrète, je me suis rendu compte que je pouvais être audacieuse.

Les vêtements vous ont-ils sauvée ?

Ce sont d’abord les gens qui m’aiment qui m’ont sauvée. Mais je m’étais perdue et les vêtements m’ont aidée à me retrouver.

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