Quand les musées collaborent avec des marques de mode

C’est un évènement qui a aimanté les aficionados du style outdoor.

Lors de la dernière Fashion Week parisienne, le 4 octobre 2022, la marque Aigle défilait pour la première fois au cinquième étage du Centre Pompidou, devant l’une des plus belles vues de Paris.

Parmi les silhouettes, un total look dont l’imprimé graphique n’aura pas échappé aux habitué·es du musée tout en séduisant les autres avec son jeu de couleurs primaires.

Les marques s’emparent de ces œuvres avec un regard neuf et une liberté créative que l’on ne s’autorise pas – Élise Albenque

Imaginées par le collectif Études, qui dirige la création d’Aigle, la parka, la jupe plissée ou encore les incontournables bottes inspirées de New York City, peint en 1942 par Piet Mondrian, signent le premier partenariat de la marque avec le Centre Pompidou. Aurélien Arbet, Jérémie Egry et José Lamali ont ainsi repris les rayures bleues, rouges et jaunes du Néerlandais sur quelques pièces commercialisées en avril prochain.

« À travers cette collection, nous cherchons à faire découvrir le travail de Mondrian mais aussi le Centre Pompidou afin de rendre l’art accessible au plus grand nombre », explique Aurélien Arbet. 

L’institution culturelle s’est également associée avec une marque grand public : Swatch, dont les six montres en silicone reprenant l’iconographie d’une œuvre de Frida Kahlo, de Robert Delaunay ou encore d’Amedeo Modigliani ont rencontré un franc succès.

« Il y a une dizaine d’années, une directive du ministère de la Culture invitait les institutions culturelles à développer leurs ressources : travailler leur potentiel commercial, toucher de nouveaux publics mais aussi penser le musée comme une marque, ce qui a longtemps été tabou en France », retrace Élise Albenque, cheffe du service marketing et commercial au Centre Pompidou, qui n’est pas le seul à se lancer dans ce type de partenariats.

Mode et art, un nouveau chapitre

Si les maisons de luxe fraient depuis longtemps avec les institutions culturelles en y organisant leurs défilés ou en parrainant des expositions et des rénovations, les liens entre musées et marques de mode accessibles se développent ces dernières années.

En collaboration avec le Met à New York et la National Gallery à Londres, les boots Dr Martens aux célèbres coutures ont ainsi été déclinées aux couleurs de La Grande Vague de Kanagawa de Katsushika Hokusai (18301832) et Le Bassin aux nymphéas de Claude Monet (1899).

Il s’agit de dynamiser les institutions culturelles dans leur stratégie de marque avec l’idée de diversifier les ressources mais également les canaux de communication – Emmanuel Delbouis

On a aussi aperçu les iris et les tournesols de Vincent Van Gogh sur des tapis de yoga Manduka et des skateboards The Skateroom, sous l’impulsion du musée qui porte le nom du peintre à Amsterdam.

Quant au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, il a fait décliner les meilleures casquettes de baseball de New Era avec son logo sur le côté.

Les collaborations entre mode et musées, plus que des produits dérivés

« Les marques s’emparent de ces œuvres avec un regard neuf et une liberté créative que l’on ne s’autorise pas, et puis cela permet d’élargir le réseau de distribution, au niveau national comme international », poursuit Élise Albenque.

Si les musées s’associent depuis des années avec le luxe, pour des raisons financières mais aussi de valeurs communes autour de la création et de l’artisanat, ils s’ouvrent à des marques plus grand public, aux produits moins élitistes, afin d’utiliser aussi les produits comme vecteur de désirabilité pour relancer leur audience – qui a atteint un nombre record en 2022 avec 4,54 millions de visiteur·ses dans les musées de la Ville de Paris.

Quelle meilleure publicité que les écussons en forme de pipe et de pomme masquée imaginée par Macon & Lesquoy pour la boutique du musée Magritte à Bruxelles ?

« Il s’agit de dynamiser les institutions culturelles dans leur stratégie de marque avec l’idée de diversifier les ressources mais également les canaux de communication. Ce type de partenariat permet de sortir la marque muséale de ses murs et de rajeunir l’image auprès de publics qui ne fréquentent pas habituellement les musées. Cela devient un canal pour démocratiser la culture », estime Emmanuel Delbouis, consultant en stratégie de marques pour le ministère de la Culture.

Pour toucher de nouveaux·lles visiteur·ses, plus jeunes notamment, le Louvre a noué un partenariat avec le géant japonais Uniqlo.

Après une collection confiée au directeur artistique Peter Saville puis à l’illustrateur nippon Yu Nagaba, c’est à Mathias Augustyniak et Michaël Amzalag du studio M/M (Paris) d’imaginer la collection de mai prochain.

Sur les étiquettes, un QR code renverra vers des notices d’histoire de l’art. Uniqlo travaille aussi avec le MoMa de New York, le Museum of Fine Arts (MFA) de Boston et le Musée d’Art Contemporain de Barcelone (MACBA) depuis plusieurs années pour « rendre accessible l’art et y sensibiliser le plus grand nombre ».

Il ne faut pas galvauder l’image du musée – Emmanuel Delbouis

Certaines institutions n’hésitent pas à sortir des sentiers battus, comme le Rijksmuseum d’Amsterdam, qui a recréé avec Lego ses tableaux emblématiques et des produits inspirés des vases en porcelaine de Delft par la marque de cosmétiques néerlandaise Rituals.

Plus niche, la marque de lunettes Ahlem a imaginé une paire de solaires inspirée par l’architecture du Palais Galliera.

Les limites de l’exercice ? « De vraies questions éthiques se posent car il ne faut pas galvauder l’image du musée. La vérification des conditions de production semble par exemple indispensable », ajoute Emmanuel Delbouis.

À la clé pour les marques ? Une aura arty et un positionnement culturel qui relève de ce qu’on appelle l’arketing, ce nouveau mot du jargon marketing scellant les noces de la mode et de l’art.

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