Orsola de Castro, pour une mode écoresponsable : "Le mentorat de la nouvelle génération est la seule solution efficace"

Elle voit le mentorat des jeunes créatifs comme une opportunité de bouleverser la mode. En près de vingt ans de carrière, Orsola de Castro s’est engagée sur de nombreux fronts.

C’est d’abord Fashion Revolution, le mouvement pour une mode durable et éthique, qu’elle a co-créé avec Carry Somers en 2013 des suites de l’effondrement du Rana Plaza, qui a fait d’elle une activiste au rayonnement international. Vient ensuite l’enseignement puisqu’elle intervient dans des écoles de mode comme la Central Saint Martins ou l’université Middlesex.

Créatrice de mode, Orsola de Castro a récemment relancé Esthetica, marque à travers laquelle elle collabore avec des designers engagés pour imaginer une mode éthique et durable. Une envie née de son départ de la direction de Fashion Revolution en 2022, pour reprendre une activité « moins hiérarchisée et plus connectée au terrain ».

Avec ces différents projets transparait une ambition : celle de partager ses connaissances pour encourager un changement collectif dans la mode, que ça soit à via l’accompagnement de designers sur plusieurs années, en « répondant avec plaisir à un appel pour un entretien de mémoire » ou, depuis quelques années, dans le cadre du prix Sustainability Mercedes-Benz du festival de Hyères, où elle oriente les finalistes vers des pratiques durables. En revenant sur ces années de mentorat, celle qui se définit plus volontiers comme une apprenante que comme une enseignante fait le point.

Marie Claire : En 2021, vous nous disiez que l’industrie avait peu évolué en termes d’impact social et écologique. Pour vous, accompagner les jeunes créatifs est-il la meilleure façon de faire évoluer ce système ?

Orsola de Castro : En ce qui me concerne, le mentorat et la promotion de la nouvelle génération est la seule solution efficace. Je ne parle pas seulement des designers, mais aussi de ceux qui vont travailler dans des marques de mode.

J’espère qu’ils questionneront la machine de l’intérieur. Vous savez, de nombreux jeunes créateurs aspirent à une mode très différente, beaucoup plus proche des pratiques artisanales que de la massification que nous connaissons aujourd’hui.

En réalité, cette industrie est réticente au changement. Mon énergie est donc dirigée vers ceux qui veulent, et qui apprennent, à améliorer réellement les choses.

Fashion Our Future 2023 à New York : Table ronde « Le mentoring pour un meilleur avenir de la mode et du climat ».

On sent que votre vision de l’accompagnement dépasse l’aspect « business » de la mode…

Mon approche du mentorat est humaine, maternelle. J’ai souvent vu des programmes qui donnaient des ingrédients : « Voici votre solution en coton biologique, en matériaux recyclés, via la technologie… » Mais la majorité de ces jeunes ne sont pas assez informés pour savoir quelle alternative ils veulent. Et ils pourraient inventer la leur.

Mon travail consiste d’abord à définir les valeurs de leur projet. Ça peut être minuscule, mais vous voyez, j’accorde plus d’importance à ce qui est petit, si c’est sincère, qu’à ce qui est grand, si c’est du greenwashing ou si c’est inaccessible.

En les accompagnant, je mets en lien ces valeurs et leur propre créativité, et la machine démarre. Ça peut leur prendre deux minutes ou dix ans, et ça m’est complètement égal. Une fois sur ce chemin, chaque pas est instructif.

De nombreux jeunes créateurs aspirent à une mode très différente, beaucoup plus proche des pratiques artisanales que de la massification que nous connaissons

Comment aidez-vous les jeunes à s’implanter dans l’industrie sans trop jouer selon les règles d’un système que vous contestez ?

C’est un équilibre à trouver. Il y a quelques années, je recevais des messages du type « Je travaille avec telle entreprise et je veux la quitter parce qu’elle ne correspond pas à mes principes. »

La plupart du temps, je leur proposais d’y rester tout en conseillant : créez un groupe de personnes qui partagent vos valeurs.

J’ai travaillé pour des grandes marques, donc je sais à quel point les départements peuvent être déconnectés les uns des autres. Vous pouvez vous rencontrer, discuter, partager des lectures, mais pour cela, restez. Parce que dans cinq ans, vous pourrez embaucher des gens qui partagent vos engagements.

Certaines personnes m’en remercient car elles y sont arrivées.

Qu’avez-vous appris durant toutes ces années à orienter ces créatifs ?

Je travaille comme une éponge avec les personnes que j’encadre, j’absorbe leur façon de parler et ce qui est important pour eux.

J’ai aussi appris l’importance de créer des espaces safe où les erreurs, qui sont tellement importantes, sont possibles. Les gens doivent accepter et tirer des leçons de leurs échecs, faire preuve d’humilité et de créativité, afin de trouver de meilleures solutions.

Ça fait partie de la durabilité : c’est une nouvelle science, une science inexacte.

Au sein des entreprises, créez un groupe de personnes qui partagent vos valeurs.

Vous travaillez avec le festival de Hyères depuis quatre éditions, en proposant deux sessions de mentoring aux finalistes, avant et après la production de leurs collections. Comment vivez-vous cette collaboration ?

C’est l’une des expériences les plus inspirantes de ma carrière.

Vous êtes face à des talents extraordinaires et vous les orientez vers la durabilité. Ils sont de plus en plus nombreux à travailler sur des collections responsables dès le départ.

Mais ce qui m’intéresse le plus, ce sont les personnes qui ne sont pas axées sur la durabilité et leur évolution entre les deux sessions. Ils peuvent commencer sur la défensive, mais à la deuxième séance, ils ont déjà assimilé des choses.

Parce que nous ne disons pas « Faites différemment », mais « Essayez un peu de ceci, accordez une pensée à cela ». Ce n’est pas prescriptif. Cela leur permet de comprendre l’importance de défier leur propre créativité, pour obtenir quelque chose de mieux.

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