On veut : une robe qui en jette !

Il y a des moments, dans la vie, où le désir de sublimation prend le dessus sur tout le reste. Des moments où une envie irrépressible de fantaisie et d’audace nous rattrape. Alors, le vêtement joue sa chance, déploie ses charmes.

Dans ces instants-là, une robe flamboyante peut s’imposer – à sa modeste échelle – comme un remède à la morosité.

Et si l’antidote à cette année 2020 déprimante, c’était (aussi) ça ? Quelques centimètres de tissu bien agencé, des imprimés plein de panache, des couleurs vives, des volants, des flonflons, des manches ballons, des cols démonstratifs…

« Un acte de résistance stylistique »

Les robes de la saison, en tout cas, postulent au titre convoité de vêtements « waouh », soient des pièces affirmatives d’une certaine joie de vivre. Sur les podiums de l’hiver, déjà, l’excentricité avait fait son retour.

Pas chez tous les créateurs, bien sûr, mais « depuis un moment, on voit effectivement des créations assez spectaculaires », dixit Jennifer Cuvillier, stylisme femme au Bon Marché. Les défilés printemps-été 2021 viennent de confirmer cette tendance : un désir de puissance, d’ornemental.

le stylisme un peu fou, le mélange des matières, le plein de couleurs, les maquillages audacieux, ça fait vraiment du bien.

« Le secteur de la mode a été très touché par la crise du Covid, souligne Feriel Karoui, du bureau de tendances Promostyl. En proposant des robes graphiques et remarquables, certains designers ont peut-être voulu se livrer à un genre de démonstration de force. Voilà ce qu’est aussi la mode, semblent-ils nous dire, un médium d’émerveillement. La création opère comme un acte de résistance stylistique. »

Car il est vrai que ce qui frappe, lorsqu’on regarde ces robes pas tout à fait adaptées au réel et à la dureté des temps, c’est leur grande fantaisie. « Une manière d’affirmer le « more is more », de donner de la joie et d’offrir une sorte de folie un peu cathartique », note-t-elle encore.

Porter une robe « à effet » pour (se) donner de l’allant ? L’option n’est pas si absurde.

Shootée pour la couverture du numéro daté décembre de Marie Claire, la mannequin Constance Jablonski nous confiait que « le stylisme un peu fou, le mélange des matières, le plein de couleurs, les maquillages audacieux, ça fait vraiment du bien. »

Comment ne pas la comprendre ? Il faut dire qu’on en a peut-être un peu soupé de ces longs mois en jogging – même si nous ne sommes pas près de les remiser. La domination du sportswear, aussi, pèse dans la balance.

Du côté des créateur·rices comme des consommateur·rices, le vêtement mou commencerait-il à lasser ? « Je ne veux pas me lever le matin pour dessiner des leggings », nous a d’ailleurs affirmé Guillaume Henry, le directeur artistique de Patou. Les hoodies et autres baskets normcore ne sauraient constituer notre seul horizon.

La mode comme une « exploration identitaire »

Assumons donc notre « syndrome de Cendrillon » ! « Nous avons peut-être besoin d’une théâtralisation du quotidien, d’un « empowerment féerique » « , reprend Feriel Karoui.

En portant des robes spectaculaires dans les moments, rares, où cela est possible, on se donnerait l’impression (même fugace) de reprendre un peu de pouvoir sur notre destinée. « Une sorte de « revenge dressing », confirme encore l’experte.

Un vêtement du monde d’avant, lorsqu’on était conviée à des fêtes, qu’on paradait en vernissage ou en apéro, bref qu’on avait une vie sociale. Toutes choses qu’on ne voudrait pas voir disparaître. Avec ces robes fortes, renaît l’une des fonctions premières de la mode : la construction identitaire.

Confirmation de Claire Savary, fondatrice du bureau de tendance Libertés : « Ces crises redessinent notre rapport au monde, et cela s’exprime dans le vêtement. On a plus envie de montrer sa singularité, ce qui fait sens pour chacun·e. La robe « à effet », c’est une expression de soi très personnelle. Un acte à la fois décomplexé et généreux. »

Ce désir s’inscrit aussi dans la tendance à consommer moins, mais mieux. « Désormais, je préfère acheter une robe forte que quatre sweat-shirts que j’ai déjà en quantité, confirme Marion, 35 ans et adepte du site Vinted. D’autant que si je m’en lasse, ce qui peut arriver avec ces pièces très marquées, je pourrais la revendre illico sur une plateforme de seconde main en ligne. »

Ces robes démonstratives seraient, en quelque sorte des valeurs refuges sur lesquelles capitaliser. Un bon investissement doublé d’un moyen de se faire plaisir. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, elles ne sont pas plébiscitées uniquement par les plus âgées des consommatrices.

Aujourd’hui, le classique/basique s’articule parfaitement avec l’excentrique

Au contraire, les millenials passent volontiers d’une mise relax à un registre plus sophistiqué. « Aujourd’hui, le classique/basique s’articule parfaitement avec l’excentrique », souligne Jennifer Cuvillier.

« Il s’agit vraiment d’envisager la mode comme une exploration identitaire, reprend Feriel Karoui. Chez les plus jeunes, souvent fluide au niveau du genre, le rapport au vêtement est plus ludique. Porter une robe très outrée, c’est comme un pied de nez, un jeu avec les codes traditionnels de la féminité, une manière de dire : “Je fais ce que je veux, quitte à être caricaturale.” « 

Voilà en tout cas comment la mode peut nous aider, peut-être, à attendre des jours meilleurs.

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