Miuccia Prada, créatrice révolutionnaire
La légende veut que le Diable s’habille en Prada. Si le livre n’a pas eu les faveurs de la créatrice milanaise, le film a établi comment en 40 ans, Miuccia Prada a changé la vision de la mode et celle de la féminité.
Un talent qui a été récompensé le 10 décembre 2018 lors des British Fashion Awards.
De la maroquinerie à la Fashion Week
C’est en 1970 que Miuccia Prada rejoint le business familial établi par son grand-père Mario Prada et le frère de celui-ci Martino, en 1913. À l’époque, Prada est une marque de maroquinerie et bagagerie de luxe italienne connue sous le nom de Fratelli Prada.
Pour Mario Prada, les femmes n’avaient pas à s’occuper du business familial. Pourtant, c’est sa fille Luisa Prada qui reprend la direction, devant le manque d’intérêt de son frère pour les affaires, avant de laisser place à sa fille Miuccia, en 1978.
Des études en Sciences Politiques, une carte au Parti communiste, féministe convaincue : lorsque Miuccia Prada reprend les rênes de la Maison familiale, il est sûr que les choses s’apprêtent à changer.
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Elle se souvient, lors d’une interview, être allée en manifestations communistes en portant des vêtements Saint Laurent. Directement, une bataille entre ses idéaux politiques et la mode fait rage dans la tête de cette dernière. Désormais, la mode devient le médium par lequel elle fera passer ses idées.
Mais le boom Prada, ont le doit aussi Patrizio Bertelli, son compagnon et chef exécutif de la marque, qui l’aide à gérer la partie de business. C’est lui qui la pousse, en 1985, à dessiner des pièces des vêtements ainsi que des sacs pour Prada.
Réticente au début, lorsqu’il insinue engager quelqu’un d’autre pour le faire à sa place, elle finit par céder. Et bien lui en a pris lorsqu’on sait qu’aujourd’hui la marque pèse plusieurs milliards de dollars.
L’inventrice du it-bag
On est à la moitié des années 80 et Miuccia Prada regarde ce qui est considéré comme étant du luxe à cette époque ; des sacs qui correspondaient aux codes bourgeois de l’époque, du cuir, des coupes traditionnelles… Tout pour rebuter la punk qui sommeille en elle.
Naît alors l’iconique sac à dos en nylon. Un accessoire qui aujourd’hui peut sembler un rien, mais qui a fait l’effet d’une véritable lame de fond dans la mode à une époque dominée par le style rigide de Margaret Thatcher. Un sac conçu dans une usine spécialisée dans les parachutes militaires qui viendrait à redéfinir notre idée de ce qui fait le luxe.
Avec ce sac, la mode comprend que le luxe est une idée abstraite et surtout qu’il pouvait aussi refléter la vie quotidienne des femmes sans qu’elles perdent de leur féminité. Il faudra pourtant attendre le début des années 90 et le mouvement grunge pour que le sac Prada connaisse le succès.
Redéfinir la féminité
Elle déteste ces appellations et pourtant, depuis ses débuts, Miuccia Prada est appelée la « créatrice intellectuelle » ou conceptuelle ». Des mots dont elle n’aime pas les possibilités péjoratives, et foncièrement excluantes. Prada, c’est cette idée qu’une femme doit être vue pour être entendue. La mode, au lieu d’être la preuve de frivolité se voit ouvrir un autre champ, celui de plaire à une élite culturelle et intellectuelle qui prétendait auparavant se moquer de l’apparat.
En lançant la ligne de prêt-à-porter de la maison Italienne en 1989, Miuccia Prada a rempli un vide inconscient. Avec elle, le nylon devient une matière à travailler au même titre que la soie ou le cachemire. En 1993, elle lance d’ailleurs Miu Miu, d’après son surnom familial, une griffe plus accessible et plus pop.
Chez Prada, on comprend vite que la mode peut être une arme pour les femmes. Et c’est sans doute ainsi qu’on réalise que les années féministes de Miuccia Prada sont loin d’être terminées. En témoigne sa collection pour l’automne-hiver 2018 qui revisite son obsession pour le nylon et son attrait pour le vêtement utilitaire.
Ce n’est pas chez Prada qu’on verra voir apparaître des t-shirts à messages pas plus qu’on ne l’entendra jouer les designers engagés. Elle le pourrait pourtant, puisqu’elle a été, pendant longtemps, la seule femme à la tête d’une grande Maison de mode. « J’essaie d’être politique autant que possible à travers mon travail, mais pas de façon évidente, car je pense que l’utilisation de la mode pour la politique doit être subtile », glissait-elle en interview en mars dernier.
Une créatrice singulière
Ce qui étonne dans le succès Prada, c’est aussi l’apparente immobilité de la recette concoctée par sa directrice artistique. Avec elle, pas de « drop », pas non plus de collaborations intempestives avec d’autres marques ou même des artistes et surtout pas de défilés ou de communications créées spécifiquement pour les Millenials.
Dans une interview avec le designer belge Raf Simons – anciennement directeur artistique de la maison Dior – pour le magazine indépendant System, la créatrice italienne expliquait : « Prada est ma propre entreprise, je suis donc responsable de la taille qu’elle a prise. Mais je ne me soucie pas de savoir si je prends plus de part ou non sur le marché. Peu importe, on s’en fout ».
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Une attitude qui explique partiellement l’impact que la marque continue de laisser dans la pop culture. Pas besoin d’être Anna Wintour pour connaître le nom de la griffe de luxe. De 10 choses que j’aime chez toi au fabuleux Diable s’habille en Prada, sans compter les chansons de rappeurs, la marque renvoie au prestige.
Depuis le 2 avril 2020, elle est également la première créatrice à avoir choisi de prendre un acolyte à ses côtés, et ce ce même Raf Simon qui décroche cette opportunité uniqué d’ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de la maison Prada. Présentée à Milan lors du défilé pour le printemps-été 2021, c’est l’un des défilés qui a le plus fait parler malgré les chamboulements causés par la covid-19 notamment parce qu’il affinait tout en renouvelant l’esthétique Prada.
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La Fondazione Prada
Cette vision de Prada comme étant une marque plus intellectuelle, sortie de l’apparente futilité du vêtement, est sans doute dû la relation que la marque, au travers de sa directrice artistique, à nouer avec les Arts. C’est depuis 1993, que Miuccia Prada et son époux ont lancés la Fondazione Prada, qui avant d’être un espace défini, se composait d’expositions itinérantes dans des espaces temporaires.
Des artistes contemporains à l’instar d’Anish Kapoor (1995), Louise Bourgeois (1997), Carsten Höller (2000), Enrico Castellani (2001), Barry McGee (2002) ou encore Steve McQueen (2005) voient leurs travaux exposés.
En 2009, Miuccia Prada organise la première exposition de sa marque autour des jupes, une obsession pour elle. Ce sera la première occurrence où elle mêlera sciemment mode et art. En 2011, le couple acquiert un espace fixe à Venise et, quatre ans plus tard, la Fondazione Prada de Milan conçu par Rem Koolhaas.
Célébrer 40 ans de mode
C’est pour toutes ces raisons qu’il semble évident que les British Fashion Awards, la soirée évènement britannique qui récompense les acteurs de l’industrie ayant marqué l’année, aient remis le 10 décembre 2018 le Outstanding Achievement Award, ou prix pour une réussite exceptionnelle, à Miuccia Prada. Ce prix souligne la contribution créative inestimable qu’une personne a apporté à l’industrie tout au long de sa carrière, notamment par son sens de l’innovation et de la créativité. Le prix a déjà été remis à Donatella Versace, Anna Wintour ou encore Karl Lagerfeld.
“Nous sommes ravis de rendre hommage à Miuccia Prada avec le Outstanding Achievement Award pour son sens non-conformiste du design et pour le fer de lance qu’est le groupe Prada dans l’industrie, passé d’une entreprise familiale à une marque mondiale », a déclaré Caroline Rush, directrice du British Fashion Council – la chambre de la mode britannique.
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