Le pouvoir des couleurs

« Quand je porte des couleurs claires, on me dit que je fais dix ans de moins », constate Natacha, fringante consultante de 56 ans. On a tou·tes remarqué que certaines teintes nous allaient mieux que d’autres.

Pourquoi ? Comment trouver les siennes ? Le premier réflexe est de choisir ses vêtements en fonction de sa carnation, de la couleur de ses yeux et de celle de ses cheveux, mais cela n’empêche pas d’être parfois perdue face à une offre textile pléthorique.

Les saisons nous influencent. 

Dans ces moments-là, le risque est de se réfugier dans les coloris neutres. Les couleurs ont pourtant beaucoup à nous apporter. Quelques principes simples peuvent suffire à nous y ouvrir.

Une recherche d’harmonie

« Au lycée, j’ai eu une révélation face au cercle chromatique, se remémore Charlotte Moreau, journaliste et blogueuse, auteure de Le dressing code, un manuel pour tirer le meilleur parti de sa garde-robe. On nous a expliqué que si l’on rapprochait deux couleurs complémentaires (opposées dans le cercle chromatique, comme le rouge et le vert, le jaune et le violet), elles s’harmonisaient. Ce que je ressentais intuitivement avait été théorisé par la science. »

Depuis, cette clé d’entrée la guide dans ses choix d’associations de nuances. Et cette recherche d’harmonie est innée. « L’œil exige ou produit la couleur complémentaire, énonce le peintre suisse Johannes Itten dans Art de la couleur. Il essaie de lui-même de rétablir l’équilibre. »

Les saisons nous influencent

Fixez une surface verte quelques instants, fermez les yeux, vous verrez du rouge. Notre œil sait quelle couleur lui convient. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’on ne s’habille pas de la même manière en été et en hiver.

On pourrait croire que l’on suit les tendances dictées par les marques, mais pour Lyly Lemêtre, coloriste et fondatrice de l’école Jaëlys, nos motivations sont plus profondes.

« Les saisons nous influencent. Si nous avons envie de pastel au printemps, c’est parce que nous les voyons sur les bourgeons, les fleurs de cerisiers, les couchers de soleil. Plus nous avançons dans l’année, plus les couleurs des fleurs et des fruits se saturent. Le plein été calme le jeu : sous le soleil, le bleu et le beige dominent. »

Des vêtements couleur du temps

Dans les années 40, la Californienne Suzanne Caygill, costumière, professeure et chercheuse, se passionna pour ce rapport aux saisons.

À force de peindre la nature et ses étudiants, elle remarqua des correspondances : certaines personnes présentaient les mêmes couleurs que des paysages d’hiver ou d’automne. Elle formalisa soixante-quatre typologies reliées aux saisons.

Affinée depuis par des générations de coloristes, sa méthode permet de rechercher les couleurs qui correspondent le mieux à un individu, tant physiquement qu’en termes de personnalité. Car pour elle, tout est lié : une femme automne, charismatique et généreuse s’épanouira avec des couleurs chaudes. Quarante ans plus tard, Carole Jackson vulgarisa ses théories avec le « draping »

Cette femme d’affaires créa des coffrets de morceaux de tissus à placer près du visage pour sélectionner les couleurs les plus flatteuses. Ils eurent un tel succès auprès des spécialistes du relooking qu’encore aujourd’hui, quand on parle de colorimétrie, le grand public ne pense qu’à ces carrés de tissu.

Une démarche marketing simpliste qui ne doit pas faire oublier d’autres méthodes plus rigoureuses.

Des symboliques fortes

Si l’on n’a pas envie de faire appel à un professionnel, on peut commencer par regarder son corps.

« Répertoriez toutes les couleurs que vous voyez, conseille Lyly Lemêtre. Étudiez l’intérieur de vos iris – ils ne sont jamais uniquement bleus ou marron –, votre peau plus ou moins exposée – rougeurs comprises –, la teinte naturelle de vos cheveux. »

La démarche est subtile. Elle donne l’exemple de la robe de mariée : « Beaucoup de femmes souhaitent un blanc pur. Mieux vaut partir du blanc de ses yeux et de celui de ses dents. Une teinte ivoire sera souvent plus en harmonie avec la personne. »

Il n’y a pas de lecture universelle de la couleur

Nos couleurs nous définissent. Elles n’appartiennent qu’à nous et racontent qui nous sommes. « Il n’y a pas de lecture universelle de la couleur », estime d’ailleurs Ludivine Beil-lard-Robert, psychanalyste. Certaines ont une symbolique forte – le noir est par exemple souvent associé à la rébellion de la jeunesse – mais leur détermination est aussi subjective.

Alors que le rouge peut être perçu comme excitant, elle se remémore une analysante que cette couleur sécurisait : « Sa voiture était rouge, son mobilier était rouge, elle ne portait que du rouge. Cette uniformisation la rassurait. »

Pour identifier les couleurs qui nous font du bien, on peut se fier à son expérience et, face à sa penderie, repérer les nuances récurrentes. Charlotte Moreau va jusqu’à se constituer sa palette sur PowerPoint. Elle s’aide du modèle de la blogueuse et auteure berlinoise Anuschka Rees, qui distingue couleurs principales, neutres et accents. Ensuite, tout est une question d’associations. Pour cela, les sources d’inspiration ne manquent pas.

La nature, bien sûr, dont les combinaisons sont par essence équilibrées, mais aussi l’art ou les défilés. On cherche, sans rien s’interdire. Si une couleur qu’on aime ne nous va pas au teint, on la porte loin du visage, en bas ou en accessoire.

L’important est l’énergie qu’elle nous apporte. Chaque couleur a une longueur d’ondes, qui entre en vibration avec notre propre vibration. Même un aveugle perçoit la froideur du bleu et la chaleur du rouge. « Un manteau vermillon, ça fait du bien à la rame de métro », résume Isabelle Thomas, styliste personnelle et blogueuse.

L’attrait du côté obscur

A contrario, les spécialistes s’accordent à dire que le noir est à manier avec précaution. Isabelle Thomas le trouve terne : « Les gens pensent que c’est chic et que ça les amincit, mais c’est faux. Tout dépend de la qualité de la matière et de la coupe. »

Charlotte Moreau a mis du temps à se défaire de ce faux ami tant il est enfermant : « C’est une couleur difficile à associer. Le noir appelle le noir », remarque-t-elle. Il lui a fallu des années pour passer au bleu marine, plus doux.

L’omniprésence du noir est récente, rappelle pourtant Lyly Lemêtre. Il ne fait son apparition dans la mode féminine qu’au xxe siècle et son usage ne devient massif qu’avec le courant minimaliste des années 90. Aujourd’hui, on n’en sort plus. « La petite robe noire de Coco Chanel date de 1926, tempête-t-elle. Il est temps de se rendre compte qu’elle ne va pas à tout le monde. » Élise n’en a pas une seule dans sa garde-robe.

La couleur permet d’exprimer sa personnalité. C’est une forme de liberté. Tout le monde en a besoin

Cette directrice de création dans la décoration d’intérieur n’envisage pas la vie sans couleurs. Son approche est si instinctive qu’elle rejette l’idée de palette, mais reconnaît aller spontanément vers les teintes éclatantes.

« Beaucoup de personnes ont peur des couleurs, regrette-t-elle. Elles ne se font pas confiance. C’est dommage. La couleur permet d’exprimer sa personnalité. C’est une forme de liberté. Tout le monde en a besoin. »

Difficile, toutefois, de s’affranchir des identifications. Une autre patiente de Ludivine Beillard-Robert ne pouvait pas s’habiller en rouge – encore lui ! – car c’était la couleur que portait sa mère, dont elle cherchait à se détacher.

« Chaque sujet répond différemment à la culture qui lui a été transmise », souligne la psychanalyste. Nos couleurs racontent ce brassage de références. Pensez-y la prochaine fois que vous hésiterez entre le noir et le framboise.

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