Le look rock, une histoire de styles à contre-courant

« Une mode pertinente, c’est un peu comme le rock’n’roll selon moi : elle se doit toujours d’être un peu rebelle. » Prononcés par Ann Demeulemeester, créatrice belge connue pour ses collections minimalistes aux accents gothiques, ces mots ne pouvaient pas mieux résumer les liaisons intimes qui unissent rock’n’roll et prêt-à-porter.

Et pour cause, binôme culturel d’une société de consommation naissante, l’un n’a eu de cesse de se démocratiser, de se nourrir, de se façonner au rythme de l’autre, avec l’insubordination comme dénominateur commun.

Le parti-pris rock’n’roll, c’est affirmer son style tout en s’affranchissant des codes

Plus de 70 après qu’Alan Freed ait baptisé le rock’n’roll de son nom sur les ondes américaines, difficile en effet de concevoir l’existence même de ce mouvement musical frondeur sans la mise en scène vestimentaire qui l’a accompagné à travers son évolutions

« Être rock, c’est marquer une différence, une intensité, un caractère. » rappelle Célina Bailly, directrice artistique au sein du cabinet de tendances Promostyl. Moins qu’un vestiaire donné, le style rock serait avant tout une dégaine, une attitude qui se définit par une singularité protestataire, une volonté de différenciation insoumise.

Une attitude qui explique qu’il n’y ait pas eu un seul et unique look rock, mais bien une multitude de courants stylistiques qui se sont succédés, influencés, superposés, évoluant au rythme des gens musicaux, mais surtout, de la société.

Cinquante nuances de rock

« Le parti-pris rock’n’roll, c’est affirmer son style tout en s’affranchissant des codes. » confirme Sophie Rosemont, journaliste indépendante. Autrice de l’ouvrage Girls Rock (Nil, 2019) elle nous explique comment le style rock a pris naissance dans une société d’après-guerre bouleversée, en proie à l’émergence d’une culture contestataire et populaire.

« Bien qu’il y ait eu des prémisses du look rock avec le blues, le look rock est né dans l’après-guerre avec des personnalités comme Hank Williams et Fats Domino. » rappelle la journaliste. Nous sommes alors dans l’Amérique ségrégationniste des années 50 et les rythmes libertaires du rock’n’roll, hérités de ce qui est alors désignée comme étant de la race musi, n’ont pas bonne presse dans une société conservatrice qui ne cesse de vendre un American Dream ethnocentré.

« À l’époque, c’était impensable de faire autre chose que du classique. » souligne Sophie Rosemont qui rappelle l’aspect révolutionnaire de l’émergence de ce courant musical… et stylistique. Teddy sportswear, polo à col relevé, pantalon ajusté, avant de glisser vers les chemises hawaïennes, les santiags et les total-looks cuir : le look « Elvis » fait d’emblée des émules, rejetant l’ordre vestimentaire établi pour mieux imposer son identité.

Un état d’esprit qui séduit les adolescents, groupe social émergent de l’époque qui, en quête d’identité, va se réapproprier immédiatement le vestiaire rockabilly de ces nouvelles idoles. « À l’époque, c’est quelque chose de très nouveau d’être fan d’un chanteur, d’aduler quelqu’un. » commente Céline Bailly.

Un phénomène inédit auquel participent les étoiles montantes du cinéma hollywoodien comme James Dean et Marlon Brando dont les looks faits de t-shirts moulants immaculés, de blousons biker et de denims parfaitement coupés ont contribué à façonner cette esthétique libertaire et anticonformiste.

À l’inverse, de l’autre côté de l’Atlantique, en Angleterre, c’est le costume trois pièces et sa fine cravate qui s’impose encore dans les années 60 comme le vestiaire privilégié des amateurs de lifestyle rock. Reprenant les codes vestimentaires des artistes noir-américains des années 40 et 50, des groupes emblématiques comme les Beatles et les Rolling Stones apparaissent à leur début dans des costumes 3 pièces, sages et assortis, à l’image en France, d’un Johnny Hallyday qui fait ses premières scènes à l’Olympia dans un costume-cravate relativement courtois.

« C’est encore un « rock gentil » à cette époque, avec le Swinging London en Angleterre et les Yéyés en France, portées par des femmes comme Twiggy, Edie Sedgwick, Marianne Faithfull à Londres ou Françoise Hardy à Paris » décrit l’experte en tendances, mini-jupe, robe trapèze et l’allure rétro-futuriste secouant alors le traditionnel vestiaire des jeunes vingtenaires.

Le look rock, l’avènement d’un vestiaire gender-fluid

Ce seront finalement les années 70 et leurs bouleversements sociaux-culturels qui viendront libérer le vestiaire rock’n’roll, faisant de l’exagération et de l’excentricité le nouveau mot d’ordre des musiciens en quête de notoriété.

Pattes d’eph, chemises à jabots ou à larges imprimés psyché, apparats de fourrure et de plumes, bijoux et foulards portés par dizaine, paillettes décomplexées, jeans abîmés, boots en daim patiné ou encore pantalon de cuir coloré : la dégaine rock se teinte alors d’une aura à la fois mystique et glamour, s’appliquant à flouter les frontières entre Orient et Occident, masculin et féminin.

Le rock’n’roll a permis au vestiaire de devenir mixte

« Le rock’n’roll a permis au vestiaire de devenir mixte : les femmes pouvaient porter des chemises d’homme, comme Patti Smith, et les hommes des pantalons très moulants, comme Jim Morrison ou Mick Jagger. » commente Sophie Rosemont qui rappelle que Lou Reed et David Bowie ont également joué sur cette androgynie en portant maquillage et attributs stylistiques alors réputés féminins.

Portés par toute une série d’artistes restés mythiques, de Janis Joplin à Jimi Hendrix, en passant par Freddy Mercury ou encore Debbie Harry, cette vague glam-rock, fantasque et délirante, sera pourtant confrontée la décennie suivante à une sévère gueule du bois : celle du punk.

Exit le peace & love biberonné au LSD, le mood des années 80 se révèle un brin plus guerrier. Plus politique, plus marginal, plus contestataire : en pleine crise économique, le rock renoue outre-Manche avec ses origines sociales populaires, valorisant un vestiaire utilitaire fait de recup’, de DIY et de customisation. Les matières comme le cuir, le jean ou la toile militaire sont brutes, les imprimés nationalistes – avec le tartan ou l’Union Jack en guest stars – et les accessoires (rangers, clous, épingles à nourrice, piercings) sont directement hérités de l’univers industriel et militaire.

on peut plus parler de matières rock que de pièces rock

Dans l’Angleterre rigoriste de Thatcher, des designers iconoclastes comme Vivienne Westwood s’emparent de cet accoutrement anti-establishment tandis que des groupes comme les Sex Pistols, The Stooges ou encore The Runaways contribuent à diffuser ce look ostentatoire auprès des masses, homme comme femmes.

Un style sex, drogue et rock’n’roll ultra-vindicatif, dont s’inspireront sur leurs podiums des couturiers francophones comme Jean Paul Gaultier et Martin Margiela façonnant les silhouettes des cools kids européens.

Dans les années 90, l’esthétique controversée s’offre une légère mue avec le grunge et le post-punk, mêlant mailles trouées, jeans déchirés, chemises de bûcherons laminés ou encore Converses usées. Coté scène, c’est l’heure de gloire de Nirvana, Pearl Jam ou encore de Sonic Youth, tandis que côté catwalk, c’est un jeune Marc Jacobs qui, au détour d’une collection Perry Ellis devenue anthologique, propulsera le look miteux vers les hautes-sphères du luxe.

En parallèle de ces évolutions, on ne manquera pas de noter les incursions métal et gothique du look rock, à grands renforts de signes religieux et d’inspirations vestimentaires médiévales, ou encore, de l’autre côté de l’échiquier stylistique, le rock normcore façon Oasis, The Verve ou Blur qui, dans la seconde partie des années 90, réduit le sulfureux vestiaire à une dégaine pseudo hipster de Monsieur et Madame Tout Le Monde.

Mais alors, à quoi résumer, en quelques pièces, le look rock qui a fait tant couler d’encre ? « Pour moi, on peut plus parler de matières rock que de pièces rock. Que ce soit sur les blousons, le perfecto, les boots, les colliers, les pantalons : le cuir est une matière rock’n’roll, tout comme le jean, qu’il soit très bleu, très serré ou large et déchiré à la grunge. Le reste suit l’évolution de la société. » commente Sophie Rosemont.

Le rock est mort, vive le rock !

Dédiabolisé, normalisé, le rock finit ainsi à l’aune du nouveau millénaire par s’embourgeoiser et à devenir l’antichambre des gosses désabusés de l’upper class. « Fils de » bien nés, The Strokes, Franz Ferdinand, Kings of Leon ou encore The Libertines insufflent un rock poli aux riffs entêtants, à l’image de leur dégaine citadines jouxtant perfecto patiné, t-shirt vintage, jean slim ou encore Converses All Star montantes.

Un look cool et consensuel qui, hasard ou coïncidence, sera propulsé au sommet des tendances sous l’impulsion inégalée du designer et photographe français Hedi Slimane, chantre d’une esthétique rock dépolitisée, socialement acceptée et un brin idéalisée.

Et pour cause, en officiant successivement chez Dior Hommes, Saint Laurent et Celine, cet amateur de rock indépendant et de mode androgyne fera du vestiaire contestataire le look signature d’une jeunesse blanche, filiforme et (très) privilégiée, déclinant des influences grunge, glam rock et même punk sur un mode ultra-luxe complètement assumé.

Une ironie obscène pour certains, un hommage nostalgique pour d’autres, le rock dans tous ces états devenant alors l’une des principales sources d’inspirations des créateurs de luxe. On se souvient du foulard tête de mort d’Alexander McQueen, des duffle bags cloutés du jeune Alexander Wang, des combats boots réinventés de Riccardo Tisci chez Givenchy ou encore des escarpins « rockstud » inlassablement copiés de la très chic Maison Valentino.

On a souvent reproché au rock des années 2000 d’être issu de classes privilégiées. De fait, il a perdu son aura contestataire

Autant de best-sellers qu’ affichent fièrement des it-girls tout aussi bien nées comme Cara Delevingne, Erin Wasson et Alexa Chung. Menées de front par une inimitable Kate Moss, muse incontestable de ce mouvement stylistique effronté, ces dernières se font alors les ambassadrices de ce look faussement rebelle que les jeunes femmes du monde entier s’empressent de copier.

Une démocratisation qui se traduit par la naissance de marques de prêt-à-porter haut de gamme qui font de l’essence rock un argument marketing prolifique, de Zadig & Voltaire à All Saints, en passant par The Kooples qui se paiera d’ailleurs une collab’ avec l’ex Monsieur Kate Moss, Pete Doherty. La boucle était bouclée.

Cette gentrification vestimentaire, le rock s’en serait bien passé, ce dernier perdant en deux décennies son statut de voix du peuple qu’il s’était si durement forgé. Et pour cause, difficile de passer pour le rebelle de service quand on porte un perfecto griffé, payé 3 fois le smic dans une boutique de la Rue Saint Honoré.

« On a souvent reproché au rock des années 2000 d’être issu de classes privilégiées. De fait, il a perdu son aura contestataire, l’approbation de la jeunesse et s’est fait devancé par le streetwear qui est lui-même aujourd’hui démocratisé. » analyse Sophie Rosemont.

Pourtant, pour notre journaliste, comme pour notre experte en tendances, la dégaine rock n’est pas morte, bien au contraire. « Aujourd’hui, on assiste à une sorte de fusion avec une silhouette faite de jogging noir, de grosse boots, de longues doudounes, les codes militaires s’incorporant à ceux du sportswear, du vestiaire technique. Disons que c’est une sorte de sportswear dark ! » explique Celina Bailly.

Un simple scroll sur Instagram suffit à confirmer ces prophéties modeuses, les Kendall Jenner, Hailey Baldwin et autre Emily Ratajkowski n’hésitant pas à dégainer perfecto et combat boots par dessus leur survet’ monochrome et autres pièces d’atleisure flatteuse. « Le look rock finira par revenir : les jeunes vont vouloir de nouveau se démarquer des adultes, qui portent aujourd’hui eux aussi du streetwear. » conclut Sophie Rosemont. « Enfin, j’espère ! »

L’histoire du style rock

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