Gabrielle Chanel, "couturière hors normes", à l'honneur d'une rétrospective unique à Galliera
Le Palais Galliera consacre la première grande rétrospective jamais consacrée à la plus iconique des créatrices, « Gabrielle Chanel, manifeste de mode ». Miren Arzalluz, la directrice du musée, évoque cet événement majeur, actuellement suspendue en raison de la crise sanitaire, et le style unique de cette légende.
C’est l’un des grands événements culturels : attendu, espéré même, en cette période troublée par la crise du coronavirus. Une exposition d’envergure, ambitieuse, qui devrait séduire un large public tant son sujet fascine. « Gabrielle Chanel, manifeste de mode» (1) consacre, sur 1500 m 2, la réouverture du musée Galliera, après des travaux d’extension. C’est surtout la première grande rétrospective dédiée à celle qui affirmait : «J’ai rendu au corps des femmes sa liberté ; ce corps suait dans des habits de parade, sous les dentelles, les corsets, les dessous, le rembourrage» (Paul Morand, l’Allure de Chanel). Dans ce parcours défini en 10 chapitres, et ne comptant pas moins de 350 pièces issues des collections du Palais Galliera, du Patrimoine de Chanel – partenaire de l’exposition et mécène de Galliera –, et de nombreux musées internationaux, le style de la créatrice iconique se révèle en majesté, éclairé de notes inédites, ces rouges, ces verts, ces bleus flamboyants et insoupçonnés.
Dans le silence des lignes, de cette marinière en jersey de 1916, de la veste de tailleur en tweed gansée au tombé parfait et souple, ou encore des robes sophistiquées des années 1930 qui n’entravent jamais la démarche, se dessine le talent visionnaire d’une femme qui a révolutionné la mode dès ses débuts en 1912 et jusqu’à sa mort en 1971. La sobriété et l’audace se retrouvent à fleur d’étoffe. Entre abstraction et fluidité, rien ne vient rompre le mouvement inspiré par le geste. Souvent invisibles, les incrustations structurent le vêtement sans l’alourdir. Capes de plumes, tulle brodé au point lancé, la technique triomphe, soutenue par un projet curatorial d’envergure. Miren Arzalluz, la directrice du Palais Galliera et commissaire de l’exposition – dont la direction artistique a été confiée à son prédécesseur, Olivier Saillard –, nous raconte les dessous de cette exposition majeure et évoque Gabrielle Chanel, cette «couturière hors normes».
Gabrielle Chanel dans les années 1930, photographiée par André Kertész.
Quel a été le parti pris initial de cette exposition ?
Nous avons décidé de nous concentrer sur le travail de Coco Chanel, sur les caractéristiques de son œuvre, et le public va découvrir des inédits. Gabrielle Chanel a incarné son style, elle a toujours donné la priorité au confort, en interprétant la fonctionnalité de la garde-robe masculine, dans le respect absolu de l’anatomie de la femme. Elle s’est rebellée dès le début de sa carrière, dans les premières années du XXe siècle, pour s’opposer à la mode de son temps, si corsetée… Elle a consacré sa vie à créer, perfectionner, promouvoir une nouvelle forme d’élégance fondée sur la liberté de mouvement, un chic subtil, un style propre, reconnaissable et intemporel.
En vidéo, le dernier défilé Chanel haute couture
En quoi cette rétrospective est-elle unique ?
Elle est unique par le nombre de pièces exposées, mais aussi par tout ce qu’elle met en scène, de manière presque obsessionnelle : le sens du métier, comme une plongée dans l’œuvre de Gabrielle Chanel, pour que le public découvre tout ce qu’elle pu faire, inventer, proposer, des mousselines et des organzas imprimés aux ensembles de lamé argent. Bien sûr que la robe noire est importante, bien sûr que le tailleur est un manifeste qui synthétise son propos initié dans les années 1920. Mais quelque chose est là, plus important encore. Chanel est devenue une légende de son vivant. Elle a été son meilleur mannequin, et la parfaite représentante des valeurs intangibles dans lesquelles les femmes veulent se voir reflétées : l’indépendance, la jeunesse, la liberté ou l’ambition.
Le parcours est chronologique. Quel est le fil rouge entre les différentes parties ?
Nous avons cherché à montrer que le style est cohérent du début à la fin. Ce point de vue intimiste permet de comprendre l’intangible : comment l’indépendance, la liberté, relèvent d’une conjugaison d’éléments techniques. Qu’il s’agisse de la maille si fluide, ou des robes des années 1930 entièrement brodées de paillettes, mais d’une simplicité étonnante, Gabrielle Chanel est la seule à pouvoir faire vivre en harmonie des éléments totalement opposés. On parle souvent de l’allure de Chanel, mais jamais on n’avait exploré à ce point le savoir-faire, et la combinaison si maîtrisée de ces extrêmes.
Toujours à la pointe de la technologie, Karl Lagerfeld met souvent cette dernière en scène comme ici pour le défilé prêt-à-porter printemps-été 2006. (Grand Palais, Paris, le 7 octobre 2005.)
Pour présenter sa collection Croisière 2007-2008, Karl Lagerfeld a choisi le tarmac de l’aéroport de Santa Monica. (États-Unis, 18 mai 2007.)
Pour présenter la collection haute couture printemps-été 2008, Karl Lagerfeld rend hommage à l’iconique veste en tweed de la maison. (Grand Palais, Paris, le 22 janvier 2008.)
C’est un manège enchanté et perlé qui sert de décor au défilé prêt-à-porter automne-hiver 2008-2009. (Grand Palais, Paris, le 29 février 2008.)
Qu’en est-il de la scénographie ?
Là encore, le point de vue est très lié à Chanel, la présentation, très stricte, s’inspire de son univers, avec la volonté d’aller à l’essence de la création, sans effet, sans fioritures. La mode a souvent eu besoin de se justifier par rapport à l’art. Là, nous parlons de technique, de mode, sans complexe.
En quoi Gabrielle Chanel est-elle contemporaine selon vous ?
Elle a su épouser son époque, mais aussi aller contre, au début des années 1950. Les grands sont ceux qui s’opposent à ce qui est imposé par le goût courant.
Qu’est-ce que le style de Chanel à vos yeux ?
C’est un chic désinvolte qui peut sembler «normal» aujourd’hui. Mais à cette liberté de mouvement, Gabrielle Chanel a su ajouter une audace, une force particulière. Unique, car elle révèle ce que nous sommes. «C’est la matière qui fait la robe et non les ornements que l’on peut y ajouter», assurait-elle.
(1) «Gabrielle Chanel, manifeste de mode», du 1er octobre au 14 mars 2021. Catalogue Paris Musées, palaisgalliera.paris.fr
Cet article, initialement publié le 25 septembre 2020, a fait l’objet d’une mise à jour.
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