Entre tradition et libération sexuelle, la petite histoire de la lingerie rouge
- Le rouge, une couleur longtemps considérée comme indécente
- La lingerie rouge, une histoire entre libération et soumission
- L’heure de la normalisation de la lingerie rouge ?
À l’heure où la Saint Valentin pointe le bout de son nez, nombre de nos voisins européens -notamment en Espagne ou en Italie – offriront à leurs moitiés des dessous rouges.
Un gage de bonheur et d’amour qui n’a pourtant pas toujours fait des émules.
Le rouge, une couleur longtemps considérée comme indécente
« Une dame se doit toujours de porter un corset blanc !” Tiré d’un numéro du Vanity Fair britannique de 1875, ce conseil mode d’un autre temps a le mérite de donner le ton.
Signe de richesse et de bon goût dans le vestiaire des Européennes et des Américaines, le rouge n’en reste pas moins réservé aux couches supérieures de leurs accoutrements, celles étant au plus près de la peau arborant généralement une teinte immaculée.
Outre des teintures qui n’auraient – à l’époque – pas résister aux multiples lavages des dessous, cette règle renvoie également à l’impopularité du rouge en termes de sous-vêtements.
Le choix des femmes en matière de couleurs sous-vestimentaires témoigne de l’impératif d’invisibilité auquel ces vêtements intimes sont soumis. – Aurélie Mardon
« Tout au long du XIXe siècle, les corsets de couleurs vives étaient considérés comme indécents », souligne Summer Lee, historienne de la mode basée à Brooklyn et curatrice d’une exposition digitale dédiée à la lingerie rouge, publiée sur The Underpinning Museum.
Une stigmatisation qui se relâcherait au début des années 1900 avant de se démocratiser dans les années 50, « considérés comme étant indispensables sous une petite robe noire ou rouge », notamment dans les magazines féminins de l’époque.
Mais du côté du commun des mortels, l’usage reste le même : les dessous se doivent d’être blancs ou du moins de couleurs clairs et/ou pastel.
« Le choix des femmes en matière de couleurs sous-vestimentaires témoigne de l’impératif d’invisibilité auquel ces vêtements intimes sont soumis », commente Aurélia Mardon, sociologue et maître de conférence à l’université Lille I, dans son article Les femmes et la lingerie : Intimité corporelle et morale sexuelle.
Vives et intenses, des couleurs comme le rouge sont alors susceptible d’attirer l’attention sur une intimité corporelle qu’il est alors de bon ton de préserver.
À l’inverse le blanc, reste synonyme de pudeur et pureté.
La lingerie rouge, une histoire entre libération et soumission
Il faudra atteindre la libération sexuelle de la fin des années 60 et des années 70 pour que les femmes s’emparent de la lingerie comme un outil de revendication émancipateur.
Exit les dessous sculptants et oppressants, les sous-vêtements se doivent de célébrer la force et l’autonomie du corps féminin qui revendique de pouvoir disposer de lui-même, selon son bon plaisir.
Rien de tel donc qu’une couleur incandescente pour venir sublimer une telle révolution ! C’était sans compter la dialectique patriarcale de l’éternel féminin qui une fois de plus fait de la lingerie rouge un vecteur de soumission au regard masculin.
« Durant toute la fin du XXe siècle, il persiste cette idée que les femmes portent des sous-vêtements rouges pour faire plaisir aux hommes », souligne Summer Lee, décrivant les injonctions des magazines féminins des années 80-90 à porter de telles sous-vêtements pour faire « monter la température » ou « réconforter » son homme après une longue journée au bureau, avec pour point culminant la nuit de la Saint-Valentin.
« En 1992, un article de Cosmopolitan sur les préparatifs de la Saint-Valentin suggérait de porter de la lingerie en dentelle « osée de couleur rouge ou rose » pour mettre tout le monde dans le bon mood » poursuit l’historienne.
La décennie qui suit est d’ailleurs ponctuée par la création de marques comme Agent Provocateur qui font de la lingerie rouge la figure de proue de leur identité stylistique.
« Certaines clientes se sentaient plus fortes grâce à cette lingerie, d’autres trouvaient que ces allusions sexuelles explicites étaient dégradantes pour les femmes », commente l’experte.
L’heure de la normalisation de la lingerie rouge ?
Symbole d’un amour romantique ou d’une relation charnelle passionnée la lingerie rouge peine, plus d’un siècle après ses premières apparitions, à s’émanciper de son sulfureux carcan.
À l’aune de la révolution pop-feministe des années 2010, elle semble passer outre les questionnements qui entourent les dessous féminins, que l’on tente de muer alors en outil d’expression et de confiance en soi. « La lingerie est une question d’identité, d’art et de joie », abonde Cora Harrington, autrice du livre In Intimate Detail, citée par Summer Lee.
Le rouge vif et le vermillon sont associés à une séduction excessive qui évoque l’image repoussoir de la prostituée.
Un paradigme progressiste qui, encore aujourd’hui, infuse difficilement le sens commun, tant la palette chromatique de nos dessous restent intimement associée à une morale sexuelle toute-puissante.
Dans son étude, Aurélia Mardon cite des adolescentes et des jeunes femmes qui – en dépit d’une lingerie érotique devenue tendance et socialement valorisée, et d’une société qui a dissocié le plaisir charnel de la conjugalité – affirment sans détour leur refus de porter de la lingerie rouge, pointant une connotation vulgaire ou évoquant le stéréotype d’une femme facile.
« Le rouge vif et le vermillon sont associés à une séduction excessive qui évoque l’image repoussoir de la prostituée, maquillée avec excès et habillée avec voyance. (…) Associées à l’érotisme, elles peuvent aussi être décriées parce qu’elles évoquent l’image dégradante de la « femme-objet » décrit-elle, expliquant que ce rejet se fait le témoin d’un certain contrôle social de la séduction et de la sexualité féminines.
Ce qui n’empêche pas chaque année de voir les recherches en ligne de lingerie rouge bondir à quelques semaines de la Saint Valentin et les marques dédiées d’enjoindre leur fidèle cliente à revêtir des parures flamboyantes le jour-J.
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