Delphine Arnault et Léa Seydoux : "Pour arriver à percer dans la mode, la création ne suffit pas"

Le prestigieux Prix LVMH, créé par Delphine Arnault, directrice générale adjointe de Louis Vuitton, récompense et encourage les jeunes créateurs. Membre du jury de cette huitième édition entièrement digitale, l’actrice Léa Seydoux apporte son enthousiasme et son amour de la mode. Dialogue de passionnées.

Elles ne se sont pas vues depuis un dîner chez Delphine Arnault, il y a… Elles ne s’en souviennent même plus tant le confinement brouille les repères. Les retrouvailles n’en sont que plus belles. Joyeuses même. Delphine Arnault rappelle à l’actrice que, ce soir-là, elle sortait d’un shooting pour Louis Vuitton, dont elle est l’une des égéries depuis six ans. Elles se remémorent ce moment d’amitié, et leurs rires éclatent dans la pièce. Toutes deux aiment la mode. Les créateurs. La création. C’est donc de façon naturelle que Delphine Arnault a invité Léa Seydoux à rejoindre le jury d’experts chargé de sélectionner neuf finalistes, qui présenteront ensuite leur travail à un jury composé de créateurs du groupe LVMH.

Un prix 100 % digital qui, pour la première fois, permet au public de voter et prend une signification particulière dans ce moment difficile. À la clé, la possibilité pour des créateurs entre 18 et 40 ans, ayant commercialisé au moins deux collections, de faire connaître leur travail et de remporter soit le Prix LVMH, sa dotation de 300.000 € et un mentorat LVMH, soit le Prix Karl Lagerfeld/Mention spéciale du jury, doté de 150.000 € et d’un mentorat identique. Un précieux sésame pour le fashion world.

En vidéo, l’hommage stylistique des influenceuses à Karl Lagerfeld

Madame Figaro. – Delphine Arnault, pourquoi avoir demandé à Léa Seydoux de rejoindre le Prix LVMH ?
Delphine Arnault. – En premier lieu, parce que j’aime beaucoup Léa. Elle est une immense actrice. Déjà, en 2014, elle avait été la marraine du Prix LVMH, et je m’en souviens très bien car nous étions toutes deux enceintes. Toi, Léa, c’était encore secret, moi, on le voyait déjà ! Et puis Léa a toujours beaucoup aimé les créateurs, la mode, je sais qu’elle porte beaucoup de vêtements de jeunes créateurs et qu’elle est très proche de Nicolas Ghesquière, directeur artistique des collections femme Louis Vuitton… C’était donc une évidence.

Et vous Léa, comment concevez-vous ce rôle et comment l’avez-vous accueilli ?
Léa Seydoux. – J’ai été ravie et flattée, car je ne viens pas du milieu de la mode, même si mode et cinéma sont intimement liés. Je suis toujours curieuse de découvrir un monde différent du mien et de soutenir la jeune création. Ce prix, créé à l’initiative de Delphine, et parrainé par un grand groupe comme LVMH, est quelque chose de formidable : il permet de mettre en lumière les talents de demain. J’ai découvert les créations des jeunes designers en compétition avec beaucoup d’émerveillement. De toute façon, dès qu’il y a de la création quelque part, ça m’intéresse ! Et puis, en tant qu’actrice, c’est quelque chose qui m’inspire.

Quelles sont les caractéristiques de cette édition ?
D. A.
– C’est une édition particulière, car uniquement digitale. Les différents créateurs ont fait un petit film pour présenter et parler de leur travail. Cette année, pour la première fois, nous avons également proposé au public de voter, et cela a rencontré un grand succès, ce qui montre l’intérêt de tous pour la jeune création. C’est aussi un prix international. Nous avons reçu 1900 dossiers venant de plus de 110 pays différents. Cela permet de recevoir les candidatures de jeunes qui ne sont pas forcément dans les radars. Le Prix Karl Lagerfeld, ainsi nommé en hommage au couturier disparu, récompense aussi un jeune créateur. Karl était dans le jury depuis le début et s’est toujours énormément impliqué dans ce prix. Je me souviens que, lors des présentations pour les demi-finales, et même si elles avaient lieu juste avant son défilé, il venait, il passait du temps, il disait bonjour à tout le monde, avait un petit mot pour chacun… Les jeunes créateurs pleuraient quand ils le voyaient. C’était incroyable.

Le digital a pris une importance capitale dans nos vies, mais un vêtement n’est-il pas avant tout une émotion, difficilement transposable à l’écran ?
D. A.
– Juste, mais on doit s’adapter aux contraintes !
L. S. -Je crois que le vêtement on se l’approprie. L’émotion vient de la façon dont on le met en scène soi-même. J’ai l’impression que le recours au digital démocratise beaucoup la mode, la rend accessible à tous. Elle vient aussi de la rue, c’est un moyen d’expression formidable… J’ai la sensation qu’on peut identifier une mode des années 1940, 1950, 1960 ou 1970. Mais y a-t-il une mode des années 2020 ?
D. A. – Je pense que quelque chose sortira de ces années 2020. Mais c’est difficile, quand on le vit, de savoir quel style imprègne l’époque et ce qu’on en retiendra… Pourtant des tendances se dégagent : le streetwear, le sustainable, le genderless… En ce sens, le Prix LVMH reflète bien ce qui se passe à un moment donné dans la création.
L. S. – Cela montre à quel point la mode s’adapte aux changements politiques et sociétaux. On tend vers l’égalité des sexes, là aussi. Quand on voit l’évolution de la mode féminine, c’est incroyable. Je pense toujours aux femmes qui portaient des corsets. Quel enfer !

Les lauréats du prix LVHM 2021.

Au-delà du talent, quels sont les dénominateurs communs à tous ces jeunes créateurs ?
D. A.
– Outre la volonté de «sustainabilité», fondamentale pour eux aujourd’hui, je dirais le courage. Il en faut, car créer une marque, spécialement de nos jours, est très difficile. Cela montre une grande détermination, une véritable envie d’affirmer son point de vue.
L. S. – Pour arriver à percer, la création ne suffit pas, il faut aussi savoir gérer les aspects non créatifs.
D. A. – Oui, toute la partie concernant l’image, la façon de communiquer. L’organisation est aussi très importante : livrer à temps, payer ses fournisseurs. Pour des jeunes entreprises qui comptent peu de personnes, cela nécessite d’être très polyvalent. Avec ce prix, le gagnant reçoit 300.000 € et une équipe dédiée de chez LVMH, qui l’aide sur tous ces sujets, justement, de propriété intellectuelle, de logistique, de choixde showrooms, de prix des produits…

Jacquemus, Marine Serre, Grace Wales Bonner… Certains lauréats sont devenus des acteurs majeurs de la scène mode internationale. D’autres non. Quelles qualités sont nécessaires pour faire carrière ?
D. A.
– J’ajoute que certains, comme Virgil Abloh, Demna Gvasalia, Simone Rocha, Ambush ou Matthew Williams, connaissent le succès alors qu’ils ont participé au Prix LVMH mais ne l’ont pas remporté ! Première chose primordiale : le produit. Pour arriver à émerger, il faut vraiment créer quelque chose d’unique et différenciant. Et aussi une bonne organisation, comme je le soulignais tout à l’heure. Et puis, il faut avoir le feu. Certains l’ont, d’autres non.

Quelle est la place des jeunes créateurs dans votre garde-robe ?
D. A.
– Léa adore Louis Vuitton ! (Rires.)
L. S. – Oui ! Et lors du Festival de Cannes, il m’est arrivé de porter des tenues de jeunes créateurs.
D. A. – Pour un designer inconnu, le fait que quelqu’un de mondialement célèbre porte ses vêtements est un vrai coup de pouce. On l’a vu avec Beyoncé, par exemple, arborant une tenue de Marine Serre. Pour ma part, je choisis surtout des vêtements signés de créateurs du groupe LVMH, il y a tant de fabuleuses possibilités ! Parfois des chaussures Louboutin, car j’adore Christian !
L. S. – J’aime aussi porter les créations de Nicolas Ghesquière car je me sens très bien dedans. Je l’admire énormément : il a réussi à inventer son propre style, identifiable et dans l’air du temps. Ses vêtements sont élégants et faciles à porter. Mélange de romantisme et de science-fiction. Pour une femme, s’habiller avec les vêtements de Nicolas donne beaucoup de force.

Léa Seydoux, comment vous êtes-vous rencontrés avec Nicolas Ghesquière ?
L. S.
– La première fois, c’était il y a très longtemps, à un défilé Balenciaga. J’ai appris à le connaître depuis que je suis égérie de la maison Vuitton, c’est-à-dire 2015. C’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’admiration, on s’entend très bien. Il est très curieux, cultivé, drôle, sensible, c’est quelqu’un avec qui il est très agréable de travailler.
D. A. – Nicolas est un génie, un couturier hypercréatif, en avance sur toutes les tendances. D’ailleurs, lui les crée, alors que d’autres créateurs les suivent ! En plus, il est français, ce qui n’est pas si courant dans le cercle des grands créateurs.
L. S. – Je suis sûre que le travail de Nicolas marquera son temps et l’histoire de la mode.

Vous avez toutes deux des fonctions de représentation sociale, quel rôle joue alors le vêtement à cette fin et comment le choisissez-vous ?
D. A.
– Pour ma part, j’opte pour des vêtements dans lesquels je me sens bien.
L. S. – Et tu es toujours en talons ! Tu te sens femme puissante en talons ?
D. A. – Je ne sais pas, je trouve cela plus joli, élégant. En journée, avec les enfants, c’est à plat. Mais pour une soirée, je trouve plus sympa d’avoir des talons. Et toi ?
L. S. – Lorsque je suis en représentation, j’aime beaucoup m’habiller, et j’ai un vrai plaisir à regarder des gens bien mis. Mais j’avoue, dans ma vie de tous les jours, il peut aussi m’arriver, surtout en vacances, d’être en tongs ! Tu sais, si je n’avais pas été actrice, j’aurais aimé travailler dans la mode. On ne sait jamais, peut-être qu’un jour, quand je serai un peu has been…
D. A. – Tu viendras faire un stage chez nous ! (Éclats de rire.)

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