Covid-19 : les étudiants en Mode dans la tourmente face à la pandémie

La pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet de nombreux secteurs économiques. Parmi eux, l’industrie de la mode et ses aspirants. Pour cause : depuis le premier confinement total instauré en mars 2020, le quotidien des étudiants en filières modélisme et stylisme a été chamboulé. Ces jeunes qui se destinent à un métier créatif sont désormais confrontés à un grand nombre de difficultés techniques et matérielles.

Comment apprendre à coudre via un écran Zoom ? Quid des compétences à acquérir en fin d’année scolaire ? Les diplômes des promos de 2020 et 2021 auront t-il autant de valeur que les précédents sur le marché ? Les étudiants s’interrogent.

Etudes de mode : une filière qui repose sur la pratique

Précautions sanitaires oblige, difficile de suivre une formation créative en cette période. En effet, le Coronavirus a déclenché un nouveau règlement intérieur dans les écoles  pour de nombreux étudiants, y compris ceux dans les écoles de mode. Au printemps dernier, le confinement total a été rythmée par l’apprentissage en distanciel, un moment difficile à vivre pour les élèves de cette filière qui repose essentiellement sur la pratique.

C’est le cas pour Kessy*, étudiante en 2ème année à l’école MJM Graphic Design, à Paris. Pour elle, les premiers cours retransmis sur la plateforme Zoom l’année passée ont été contre-productifs : « Les professeurs étaient à distance et ils devaient nous expliquer comment faire une patte de boutonnage. Comment tu veux réaliser une patte de boutonnage si tu n’as pas les bases ? Tu ne sais pas de quoi on parle, et forcément avec la caméra ce n’est pas pareil ». Les examens de fin d’année se sont eux aussi déroulés en virtuel.

Étudier la mode à distance c’est trop compliqué parce qu’on est beaucoup dans la pratique : on touche les vêtements, leurs matières, et il faut que quelqu’un soit à côté de toi pour te montrer les bons gestes.

Faute d’accompagnement personnel, l’étudiante en Modélisme de 21 ans avoue s’être réfugiée sur YouTube pour visionner des vidéos de couture plus pédagogiques. Des heures de travail en plus qui provoquent une fatigue extrême. L’un de ses camarades de classe, Guillaume, regrette l’annulation des projets scolaires annuels : le défilé de fin d’année, les collections à présenter lors des portes ouvertes prévue à l’été 2020, et les workshops.

Guillaume souligne que les enseignants ont été indulgents sur le système de notation en cette période. Néanmoins il soulève un problème nouveau, d’ordre financer : « presque toutes les semaines on a quelque chose à acheter : souvent des tissus, de la ouate pour faire des rembourrages, acheter des fils, des perles, des sequins, du cuir. Tous les élèves ne peuvent pas acheter alors les professeurs nous disent « faites de la récup' », d’accord, sauf que pour acheter quelque chose en friperie il faut quand même de l’argent ». L’étudiant qui vit seul en région parisienne n’a « plus aucune rentrée d’argent depuis 1 an et demi ».

Des reports de cursus autorisés par certaines écoles

Depuis l’automne 2020, les écoles privées sont autorisées par le gouvernement à reprendre l’ensemble des cours pratiques en présentiel. Ce retour à la normale arrive presque trop tard pour certains, à l’instar d’Arianna, 29 ans, qui a préféré mettre entre parenthèses sa formation de créatrice de lingerie à Formamod. La jeune femme originaire de Milan comptait sur cette formation de 1 an pour se reconvertir professionnellement dans les métiers de mode. Mais sans expérience au préalable, les cours à distance n’auraient pas suffit pour aider l’ex-commerciale à décrocher son année.

Ce choix à contre-coeur l’a profondément déprimée : « Je pense que mes amis ne s’en rendent pas compte parce que je suis une personne très souriante et si tu ne montre pas que tu es déprimé, les gens pensent que tout va bien. Déjà ce n’est pas évident d’avoir le courage de quitter un travail « safe » pour lequel tu as fait des études et repartir à zéro à l’âge de 27 ans, alors aujourd’hui avec le contexte actuel c’est déstabilisant. » 

Malgré tout, Arianna reste optimiste et envisage déjà de reprendre le chemin de l’école. À Formamod les élèves ont la possibilité de reporter leur cursus à plus tard pour le ré-intégrer lors d’une rentrée décalée.

Dans d’autres cas, la gestion de la pandémie a été plus ou moins maitrisée. Le corps enseignant de l’ESMOD Paris en est un exemple : « On était aguerri puisque nos deux écoles en Chine sont confinées depuis novembre 2019″, nous informe Véronique Beaumont, la directrice générale de ESMOD International.

L’enseignement virtuel via la plateforme Teams n’a pas été déboussolant pour les étudiants de la formation Fashion Design qui suivaient déjà des cours en ligne via des e-books. Pour la rentrée de septembre 2020, l’école s’est même équipée de caméras dans ses salles de modélisme pour faire ce qu’on appelle des « enseignements synchrone », à la fois suivi par les étudiants qui sont en présentiel et ceux qui sont en distanciel. Une aubaine pour les 45% d’étudiants étrangers qui n’ont pas pu se déplacer.

Sans stages ni pratique, quels débouchés ?

Les stages aussi ont été pris dans le tourbillon du Covid. À MJM Graphic Design les stages annuels sont désormais « conseillés » tandis qu’ils restent obligatoires à ESMOD Paris. Les entreprises faisant elles aussi face à des difficultés, peu d’offres de stages sont à pourvoir pour les étudiants en mode cette année. Avant de quitter Formamod, Arianna a été contrainte de renoncer à un stage qu’elle avait trouvé chez une marque située à Sao Paulo, au Brésil des suites de l’évolution de l’épidémie.

Ce ne sont pas mes études qui me pèsent sur le moral, c’est surtout que je me demande « on avance mais pour aller où ? »

Comment acquérir alors de l’expérience sans stage ni alternance ? Kessy s’inquiète déjà pour son avenir, elle qui rêve d’une longue carrière et de décrocher un poste de styliste au sein de la maison Schiaparelli : « À cause du Coronavirus, je pense que mon diplôme aura moins de valeur parce que je vais arriver sur le marché avec un niveau de 1ère année alors que j’ai une formation de 3 ans » déplore l’étudiante.

La directrice générale d’ESMOD préfère relativiser : « Je pense que les étudiants se polluent d’idées négatives. Ils sont énormément perméables aux ouï-dires. Il faut qu’ils se fassent confiance, et qu’ils nous fassent confiance. » Dans son établissement, la promo fraichement diplômée n’a pas encore fait ses premiers pas sur le marché du travail car les dates de stages à réaliser en 2020 ont, elle aussi, comme beaucoup de choses, été décalées.

*Le prénom a été modifié

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