Comment va-t-on s'habiller dans le monde d’après ?
Quel effet rebond après la crise ? Comment aura-t-on envie de s’habiller ? En réaction aux événements, la mode s’annonce joyeuse, facile à porter, féminine… Les atours d’un lendemain qui chante ?
Selon la Banque de France, en raison de la crise sanitaire, une partie des Français a accumulé 130 milliards d’euros d’épargne en 2020, et ils devraient disposer de 70 milliards supplémentaires cette année. Une réserve de croissance significative qui semble déjà profiter à la fashion sphère, chiffres à l’appui : une augmentation de 14 % du chiffre d’affaires du textile-habillement français est attendue pour 2021, d’après une étude d’Euler Hermes. La mode serait-elle une source d’optimisme et de bonheur face à une crise ?
Le rapport 2020 Year in Review, de VSCO – l’application qui permet d’éditer et de partager ses photos en ligne -, qui s’est intéressé à la génération Z (les jeunes nés après 1995, et qui représentent 30 % de la population mondiale), le confirme : 59 % des répondants déclarent avoir dépensé une partie de leur argent pour acheter des vêtements afin de «se sentir plus heureux et positifs» tout au long de cette année particulière. «Et ce n’est que le début, assure Frédéric Godart, chercheur et sociologue de la mode. Quand les masques tomberont, doucement mais sûrement, le besoin de rattraper le temps perdu se traduira par une folle envie de liberté et d’évasion, de jolis effets de mode et d’apparat.»
« Le bonheur de se rhabiller »
Après le choc, le fashion rebond ? C’est aussi ce que semble penser Florence Müller, historienne de la mode et directrice du département textile et mode du Denver Art Museum : «Ici, aux États-Unis, la vie culturelle commence à reprendre avec la réouverture des musées et le retour des vernissages dans les galeries. Et, à chaque événement, toutes les discussions tournent autour du même sujet : le bonheur de se rhabiller, d’enfiler un blazer chic et épaulé, une petite robe festive ou une paire de sandales à talons. Ce n’est pas encore le come-back très apprêté des soirées de gala, mais les prémices d’une mode enfin retrouvée.»
Effets de manches
Gonflées à l’épaule ou tout le long du bras, les manches bouffantes aux volumes exagérés, celles que l’on a adoré porter dès les premières conférences Zoom, n’en finissent plus de prendre le large sur le haut des corps. Avec leurs faux airs de petite fille sage, ballon ou gigot, elles insufflent une aura romantique et inattendue à notre garde-robe estivale, en mal d’originalité face aux intemporels saisonniers.
Le défilé Isabel Marant collection printemps-été 2021.
«Il y a toujours une période de défoulement après une période de crise, confirme Jean-Jacques Picart, ex-conseil auprès de marques de mode et de luxe. En toute logique, dès que l’on va retrouver un semblant de vie normale, c’est-à-dire aller dîner au restaurant ou boire un verre chez des amis, il va y avoir une explosion de mode, une consommation grisante et joyeuse. Je pense à la folie des cabarets et des spectacles dans les années 1920, et à l’essor des bals dans les années 1950, aux plaisirs retrouvés des femmes de se remaquiller, de se recoiffer et de montrer leurs silhouettes glissées dans de jolies tenues fraîchement achetées. C’est en fait toute l’idée de reprendre du plaisir à s’occuper de soi après une longue période de lâcher-prise.» Pour ne pas dire laisser-aller…
L’effet cocon
Car le grand gagnant des confinements à répétition, c’est bel et bien le jogging, et son armée de pyjamas et autres pièces molles et comfy qui ont (dés)habillé les silhouettes du monde entier. Une mode homewear, affichée et assumée dans la rue, dans laquelle on a adoré se lover pendant des semaines.
«La mode réagit toujours de façon pragmatique face à des temps troublés, explique Florence Müller. Pendant la Première Guerre mondiale, pour faciliter le nouveau quotidien des femmes participant à l’effort de guerre – en conduisant par exemple des ambulances ou en partant travailler à l’usine -, les robes ont été raccourcies, les tuniques, élargies et les tailles, libérées des corsets sous les ciseaux de Coco Chanel. C’est aussi à la même époque que la couturière découvre le jersey, un tissu au caractère pratique utilisé pour les tricots de corps des soldats, et dont elle va se servir pour confectionner des vêtements confortables et faciles à vivre. Si l’on devait faire un parallèle avec aujourd’hui, je dirais que le jersey des années folles est un peu le molleton de nos sweat-shirts et de nos pantalons d’intérieur, que beaucoup d’entre nous ont adopté (parfois pour la première fois) dès le premier confinement.» Des pièces souples et amples taillées dans des matières douces qui s’éloignent des corps, comme pour les laisser souffler en attendant la fin de la tempête.
À fleur de peau
Un body échancré sur les hanches, une robe décolletée sur le haut du dos, une brassière au jeu de rubans ouverte sur le ventre : la tendance cut out – cet art de découper un bout d’étoffe çà et là pour dévoiler la peau – est la nouvelle soustraction mode à sensations qui (re)dessine les lignes des corps. Un joli courant d’air à géométrie variable, sexy sans trop en faire, à l’évidence la bonne équation de la saison.
Défilé Dries Van Noten collection printemps-été 2021
Au-delà du futile
L’imprimé fort
Des rayures aux nuances d’agrumes, des motifs tropicaux aux tonalités néons, des bouquets de fleurs aux couleurs vives… Les imprimés des beaux jours célèbrent une féminité enjouée et tonique, avec pour effet un plaisir communicatif. Robe courte ou longue, blouse vaporeuse, blazer épaulé et pantalon taille haute, aucune pièce n’échappe à ce twist vitaminé et vibrant de beauté.
Défilé Valentino collection prêt-à-porter printemps-été 2021.
Plonger dans les archives de la mode serait-il une façon de prendre le pouls du monde ? Une chose est sûre, la crise mondiale que nous traversons n’a fait qu’amplifier le rôle du vêtement dans nos vies. «Nous sommes des êtres sociaux par excellence, analyse Florence Müller. L’humanité s’est construite autour de groupes d’humains qui ont voulu améliorer leur sort ensemble. Et le costume est un outil ultime de sociabilité, qui véhicule un message à notre entourage. Au sortir de la crise, le fait de recintrer sa taille, d’afficher un joli décolleté un brin plus profond que d’habitude, de choisir un tailleur-pantalon à l’imprimé hyperflamboyant ou de dévoiler un peu plus de peau que les saisons passées est une manière pour les femmes de dire : “Regardez-moi, je suis en pleine santé, en pleine forme. Même si j’ai été déprimée, comme tout le monde, je m’en suis sortie et je suis prête à me relancer dans de nouveaux projets.” Au-delà du futile, c’est un formidable message de vie et d’espoir.»
Mais attention… s’il y a bien une chose que nous a apprise notre société confinée, contrainte au télétravail et aux rapports humains digitalisés, c’est l’importance du «être à l’aise» dans ses vêtements. Les tissus trop lourds qui cassent le mouvement naturel des corps, les formes trop corsetées qui empêchent de respirer : l’esthétique comprimée aura très clairement du mal à revenir.
La silhouette affûtée
La sensualité retrouvée d’une taille cintrée… C’est certainement le détail mode qui nous a le plus manqué pendant ces mois de confinement. Le come-back de la ceinture sonne également celui de la working girl et de son allure précise : une épaule structurée sous un blazer aux lignes nettes, des jambes parfaitement galbées dans un pantalon ou un bermuda pincé et des chaussures fines et élégantes. Dans un élan irrépressible de liberté, le tailleur du printemps-été 2021 s’habille de matières souples, stretch ou fluides, qui n’entravent pas le mouvement.
Saint Laurent collection printemps-été 2021 par Anthony Vaccarello.
« Power dressing et confort »
Une pensée partagée par Jean-Jacques Picart : «Le retour annoncé d’un power dressing, avec ses silhouettes plus précises et structurées, est loin d’être incompatible avec la notion de confort. Bien au contraire. Il suffit d’ailleurs de regarder les podiums des créateurs et leurs collections étoffées saison après saison de matières toujours plus techniques, élastiques et agréables à porter.»
Toutefois, il est un problème de taille que même les designers à l’œil aiguisé n’avaient pas vu venir. Après des semaines à faire les cent pas à la maison, le plus souvent pieds nus, en chaussons ou en sandales fourrées signées UGG ou Birkenstock, nos pieds ont pris leurs aises. Comprendre : débarrassés des escarpins ou autres bottines hautement perchées, nos petons se sont tranquillement élargis et ont désormais du mal à entrer dans nos souliers stylés. Selon les podologues, il va falloir y aller en douceur. Dans un premier temps, il est donc conseillé de rester en dessous des quatre centimètres de talon avant de pouvoir enfin lever le pied cet été !
La petite robe festive
Satin doré, sequins argentés, jersey pailleté… La petite robe brillante est sans conteste la déclaration d’optimisme de la saison. Plus clinquante que courte, elle est celle que l’on enfile pour fêter sa première soirée habillée une fois le couvre-feu levé ou, à la manière de Paco Rabanne, celle que l’on adopte joyeusement le jour avec un tee-shirt glissé en dessous et une paire de sneakers aux pieds.
Défilé Paco Rabanne collection printemps-été 2021.
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