Alber Elbaz, l’homme qui aimait les femmes
Facétieux, passionné, généreux, le créateur surdoué s’est éteint le 24 avril 2021, à l’âge de 59 ans. De lui reste ce regard unique sur la mode, d’une joyeuse et profonde sensibilité.
Après cinq ans d’absence, il était revenu dans l’œil de la mode avec sa griffe AZ Factory, lancée en janvier en partenariat avec le groupe Richemont. Les femmes (si nombreuses) amoureuses de son travail chez Lanvin, orphelines depuis son départ de la maison en 2015, rêvaient de retrouver son visage espiègle, son légendaire nœud papillon et surtout ses créations exubérantes et joyeuses qui s’adressaient à toutes : Alber, magicien des corps et des esprits, les comprenait mieux que personne.
Fauché par le Covid, il n’a eu le temps de présenter qu’une seule collection : une ligne à son image, innovante, fun, inclusive, totalement ancrée dans l’époque, aussi applaudie que toutes celles qu’il aura imaginées dans les précédentes maisons où il a officié : Guy Laroche, Saint Laurent Rive Gauche et, bien sûr, Lanvin, qu’il réveillera dès son arrivée en 2001. D’Alber Elbaz nous restent plein d’images de mode inoubliables, de l’élégance et de la fantaisie, mais aussi le souvenir d’un généreux génie qui aimait autant les femmes que la vie.
En vidéo, décès du légendaire créateur de mode Alber Elbaz
A comme Alber
Alber (né Albert) Elbaz a vu le jour sous le soleil de Casablanca, au Maroc, en 1961. Son prénom sans «t» était devenu aussi reconnaissable que son visage, ses lunettes carrées et son fameux nœud pap. Ralph Toledano, aujourd’hui président de la Fédération française de la haute couture, se souvient bien de ce prénom pas comme les autres. Alors qu’il était directeur de Guy Laroche, il raconte avoir reçu le CV du jeune créateur et avoir été d’emblée frappé par son papier à en-tête où le «t» d’Albert avait disparu. «Ça faisait cinq lettres en haut et cinq en bas, c’était parfaitement graphique. Je me suis dit : non seulement il sait qu’il faut être différent, mais en plus, il réfléchit à tout», nous confiait, en 2014, celui qui fut le premier à avoir décelé l’immense talent du couturier en l’engageant chez Guy Laroche.
C comme Chic
Il avait un sens mesuré du luxe et du bon goût classique à la française associé à une certaine élégance feel good à l’américaine (fruit de ses années passées à New York, auprès du couturier Geoffrey Beene, dont il était devenu l’assistant après ses études de mode à Tel-Aviv). Il avait surtout le sens de l’allure et de la féminité, maîtrisant parfaitement le «bien-aller» d’une robe ou d’un manteau. Il disait que ce qu’il préférait le plus dans son métier, c’était la naissance du vêtement, ce moment où le rêve devient réalité. «Quand ça marche, c’est sublime», soulignait cet amoureux des femmes, qui habillait aussi les stars, de Catherine Deneuve à Nicole Kidman, en passant par Meryl Streep, Natalie Portman, Cate Blanchett et Gwyneth Paltrow.
Après la présentation du défilé s’ouvre une période difficile : je ressens un vide énorme et le doute ressurgit.
La mode, c’est ça, c’est l’humanité. C’est une paire de ciseaux et des mains qui font des prouesses.
J’aimerais ne présenter que des défilés de femmes, pas des défilés d’habits.
Croquis autoportrait d’Alber Elbaz.
L comme Lanvin
Alber Elbaz, dès son arrivée en 2001, ranime la maison Lanvin. Après Guy Laroche (1996-1998) et Saint Laurent Rive Gauche (1998-2000), il est recruté par la femme d’affaires taïwanaise Shaw-Lan Wang, devenue propriétaire de l’emblématique maison fondée par Jeanne Lanvin, en 1889. Il y restera quatorze ans, et marquera durablement la griffe de son empreinte. Ses petites robes cocktail, ses choix de tissus d’une grande subtilité, sa maîtrise de la coupe, du noir et des couleurs vibrantes, ses nœuds délicats, ses silhouettes rehaussées de bijoux, ses légendaires drapés, ses ourlets inachevés…, autant de signes particuliers du grand couturier qui marqueront le cœur et les esprits, et qui laisseront inconsolables les fans de ce style ultraféminin quand Elbaz est brutalement évincé de la maison, en 2015. Un choc.
H comme Humour
Dans le minifilm mettant en scène son nouveau label AZ Factory, on retrouvait l’humour charmeur du créateur. Celui qui a rhabillé Minnie Mouse pour Disneyland Paris, en 2013, a toujours apprécié la pop culture, injectant dans ses créations la juste dose d’irrévérence et d’exubérance, de celle qui n’enlève rien à l’élégance. On garde en mémoire cette collection Lanvin automne-hiver 2013-2014, où il avait saupoudré ses robes de maxicolliers hip-hop à messages «Happy», «Help», «Love» ou «Cool». On se souvient aussi de cette campagne publicitaire de l’automne-hiver 2011-2012, où il se déhanchait sur le tube I Know You Want Me, du rappeur américain Pitbull. Autant de déclarations ‘’humour et d’amour à la mode.
T comme Technologie
Avec son label AZ Factory, nommé d’après la première lettre de son prénom et la dernière de son nom, il élabore une collection qui fait la part belle à l’innovation. Ses nouvelles petites robes noires «anatomiques», ses tops et ses leggings sont fabriqués à partir d’une technologie inédite de tricot, qui donne une allure athlétique et glamour. Il propose aussi des jupes en satin ou des costumes à enfiler rapidement sur des pièces plus loungewear, permettant ainsi de passer du casual au fabuleux en un tour de main. Avec ce label, cet alchimiste de l’allure avait surtout à cœur d’offrir à ses clientes des tailles XXL et des prix accessibles, deux propositions révélatrices de l’ouverture d’esprit de ce bon génie.
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