Voyages et ateliers manuels : “L’activité artisanale vide la tête, un peu comme une thérapie”
Réaliser sa planche de surf, ses assiettes en céramique ou son potager bio en écoutant les vagues ou le chant des cigales… De plus en plus, pour les vacances, on a envie d’accorder évasion et création. Analyse du phénomène avec Cécile Poignant, spécialiste de nos modes de vie.
Broderie, poterie, vannerie… Les activités manuelles chères à nos grands-parents, autrefois préemptées par les babas puis par les néoruraux, sont une nouvelle passion française. La nation apprenante se pique de DIY (Do It Yourself ). Selon l’étude récente «Tendances des réseaux sociaux & d’Internet en 2021», 30 % des Français ont consacré plus de temps à la création d’objets pendant le confinement. Et ils y ont pris goût. L’émouvante beauté de l’humble objet artisanal séduit davantage que l’arrogante perfection d’une pièce industrielle. En témoigne le succès de l’offre Expériences en immersion d’Airbnb et des plateformes spécialisées Wecandoo et VAWAA (Vacation With an Artist) proposant des stages d’initiation à un savoir-faire chez des artisans partout en France et dans le monde.
Le tourisme créatif n’est toutefois pas nouveau. Le concept a été théorisé par deux professeurs, Greg Richards et Crispin Raymond, au début des années 2000. Mais, dans un monde «disrupté», avec une planète à protéger et des modèles à réinventer, les désirs d’authenticité, de proximité, de nature, de simplicité, de lenteur et de transmission trouvent une résonance particulière dans nos vies et notre manière de voyager. Laëtitia, indigotière à Aix-en-Provence, aime ainsi «montrer aux stagiaires qu’il faut prendre le temps, que cette démarche est à l’opposé de nos rythmes effrénés imposés». Pour Sandra, propriétaire d’une exquise maison d’hôtes à Cabris, dans les Alpes-Maritimes et créatrice d’objets en laine feutrée, l’activité artisanale «vide la tête. Je vis le feutre comme une thérapie, dit-elle, quand on a envie de se défouler, on foule la laine». Pas de doute, le bonheur est dans l’atelier, comme l’analyse Cécile Poignant, spécialiste des modes de vie contemporains et de l’évolution des tendances socioculturelles.
Pourquoi les stages artisanaux connaissent-ils un tel regain d’intérêt aujourd’hui ?
Le Covid a changé, entre autres, deux choses. D’une part, notre rapport au temps. On a été forcé de ralentir. Certains ont apprécié, d’autres pas, mais, depuis un an, nous nous inscrivons dans un temps long. Finis l’agitation permanente, les sauts de puces, l’avion pour passer deux jours à Londres ou quatre à Marrakech. Ce type de voyage n’existe plus dans le contexte actuel. L’autre changement majeur est notre rapport au toucher. On ne peut plus toucher, ni embrasser, ni tenir par la main, ni serrer dans ses bras les personnes que l’on aime, exceptées celles avec lesquelles on vit. Aujourd’hui, lorsque nous faisons le marché, nous montrons les fruits et les légumes du doigt, nous ne les tâtons ou ne les soupesons plus comme nous avions l’habitude de faire. Le virus nous impose une distance. Nous recherchons donc des sensations tactiles. Et on renoue, pour cette raison, avec le plaisir de cuisiner, de bricoler. Regardez aussi le succès incroyable de la broderie !
Cette tendance pour les activités manuelles est-elle née pendant le confinement avec la déferlante des vidéos de DIY ?
Certes, ce temps passé à la maison a contribué à relancer beaucoup d’activités manuelles simples. Mais ce besoin de faire des choses avec nos mains était déjà présent depuis un moment, bien avant la pandémie. Il n’a été que renforcé. Nous passons tellement de temps devant les écrans, à scroller les surfaces plates de nos smartphones, à faire glisser le fil immatériel d’Instagram, à survoler des matières complètement lisses et froides ! Le retour en grâce du tricot ,de la pâtisserie… chez les jeunes ne date pas de cette année, mais, avec le confinement, les cours, les workshops et autres expériences en ligne se sont considérablement développés.
Avec l’arrivée des beaux jours, n’y a-t-il pas une nouvelle envie d’évasion ? Comment se caractérise-t-elle ?
Les Français veulent sortir de chez eux, être à l’extérieur, en plein air, car ils savent que la contamination y est plus faible. Ils souhaitent aussi redonner du sens au voyage et se réancrer. L’envie d’évasion se relocalise. Ceux qui pouvaient s’envoler vers des destinations lointaines vont, cet été encore, se recentrer. Ces nouvelles attitudes vont de pair avec l’intérêt croissant pour les activités manuelles qui, en cette période compliquée, donnent l’impression qu’on maîtrise un peu et qu’on peut faire quelque chose. Le travail manuel apaise. Chez les jeunes, on voit ainsi un regain d’intérêt pour l’analogique, l’appareil photo argentique et ses pellicules. L’agritourisme et les vacances participatives intéressent davantage. Quant à hôtellerie, elle propose plus que jamais des expériences autour du bien-être, soit mental, soit physique.
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