Vaccin anti-Covid : « Avoir des doses, c'est le nerf de la guerre »

Biomathématicienne et épidémiologiste, récompensée pour l’ensemble de sa carrière par le Grand Prix de l’Inserm, Dominique Costagliola, dont la parole tranche, fait le point sur la situation sanitaire.

ELLE. Avoir repoussé le confinement, c’est du temps gagné ou du temps perdu ?                

DOMINIQUE COSTAGLIOLA. Par rapport à la circulation du virus, je ne vois pas comment ça pourrait être du temps gagné. Quand j’entends qu’il faut aller vers plus de télétravail… C’est le même gouvernement qui nous disait l’inverse début janvier ! Difficile de suivre. Mais il y a des points positifs. Par exemple, on ne dit plus qu’il ne se passe rien à l’école mais qu’on va y faire des tests. Je comprends qu’on veuille laisser les établissements scolaires ouverts, en revanche je n’ai jamais compris qu’on dise qu’il ne s’y passait rien, alors que les données montrent le contraire. Il ne faut pas nier le problème mais voir comment minimiser le risque : équiper les écoles avec des détecteurs, avoir des extracteurs si on ne peut pas ouvrir les fenêtres, imaginer des choses autour de la cantine. Idem pour les universités. Ce serait bien de garder ces mesures, que l’on aurait pu prendre il y a longtemps et qui auraient en partie évité la situation actuelle.                

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ELLE. Y a-t-il des raisons d’espérer, sachant que le virus mute et qu’il faudrait une politique mondiale de vaccination ?                

D.C. Le nerf de la guerre, c’est d’avoir des doses ! Et je ne me lancerai pas dans les prévisions. Mais comment interpréter, par exemple, le fait qu’au Royaume-Uni des patients aient été infectés par un variant britannique ayant acquis une mutation présente sur les variants d’Afrique du Sud et du Brésil ? Je m’explique : le virus ne peut pas effectuer n’importe quelles mutations, certaines sont délétères pour lui, il faut qu’elles lui permettent de continuer à se répliquer, à se transmettre. Le fait qu’il acquière cette mutation repérée ailleurs de manière différente pourrait signifier qu’il n’a pas tant de chemins que ça… Et puis, il y a des vaccins qui ne ciblent pas forcément la protéine Spike [la clé qui permet au Covid de pénétrer dans nos cellules, ndlr] et qui pourraient être contributifs si les premiers marchent moins bien. Il ne faut pas croire que seules les premières générations de vaccins peuvent être utiles.                

ELLE. Nous ne sommes donc pas tous appelés à vivre avec un masque jusqu’à la fin des temps ?                

D.C. Non, car malgré tout, et même si on en parle moins après le tourbillon créé par la « crise » de l’hydroxychloroquine, il y a beaucoup d’études en cours sur les traitements. Avec des choses potentiellement intéressantes, certaines vont être testées en phase 3. Il ne faut abandonner aucun des angles si on veut avoir une chance de sortir de cette crise. Je vous rassure : ça paraît très long, y compris aux chercheurs.                                                                              

ELLE. Justement, l’Organisation mondiale de la santé parle de « fatigue pandémique », comment lutter contre ?                

D.C. Je trouve difficile de donner des conseils à des gens dont la situation économique est bouleversée. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il faut tenir, ça ne va pas durer éternellement, et essayer de trouver dans le présent des occasions de se réjouir, de se détendre, des moments où l’on peut quand même profiter de la vie.                

ELLE. À titre personnel, qu’est-ce qui aura été le plus difficile au cours de votre carrière : être une femme ou obtenir des crédits pour vos recherches ?                

D.C. Aujourd’hui, je ne pourrais plus faire les recherches que j’ai menées sur le VIH et la transmission mère-enfant. À l’époque, les crédits des labos étaient suffisants pour qu’on ne demande rien à personne. Maintenant, l’argent récurrent suffit seulement à payer le téléphone, l’informatique, l’infrastructure, bref la base. Mais sans crédits supplémentaires, on ne fait rien. C’est presque paradoxal : vous êtes recruté, vous êtes fonctionnaire et vous passez une partie de votre temps à écrire afin d’avoir de l’argent pour travailler ! Être une femme, en revanche, n’a jamais été un problème dans mon paysage mental, grâce à ma mère notamment. Et je n’ai pas eu le sentiment qu’il était plus difficile d’être recrutée ou promue. Mon conseil aux jeunes filles qui voudraient étudier les sciences : ne pas se donner de limites.

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