Un jeune, un an de perdu : l’impasse des nouveaux diplômés face à la crise de la Covid-19
Cécile avait tout prévu. L’embauche en CDI, après son stage de fin d’études au printemps 2020 ; l’achat d’un petit scooter pour se déplacer jusqu’au bureau ; enfin, l’entrée dans la vie active après ses cinq années d’études dans une école de commerce réputée. Sauf que la Covid-19 est passée par là et que ses plans se sont fracassés sur la pandémie. « Avec mes copines, on galère toutes », résume la jeune femme.
« Tout est gelé »
Lors de la première vague, elle est donc en stage dans une grande marque de cosmétiques. Malgré le confinement, la direction lui fait miroiter un possible contrat et la future diplômée enchaîne les entretiens. « Ils m’ont fait allée très loin dans le processus, j’y ai vraiment cru. Et tout à la fin du stage, je reçois un mail où on me dit que ‘tout est gelé’ et qu’il n’y a ‘aucune visibilité’ sur la suite. J’en ai pleuré. » Seuls 6 % des stagiaires obtiendront un poste, contre les 50 % d’embauches habituels.
Au-delà des pertes financières de la société, ce que constate Cécile c’est que « ces groupes-là regardent aussi ta capacité à réseauter. Or là, en travaillant à distance, je n’étais pas dans les locaux, donc je n’avais aucune relation avec les managers. »
Qu’à cela ne tienne, fin août, une autre entreprise où elle a réalisé plusieurs stages la contacte : une salariée part en congé maternité, il faut la remplacer. « J’étais très confiante, la manager me connaissait bien, mon stage s’était super bien passé. »
Mais voilà, l’entreprise décide d’en embaucher une autre, sortie de HEC. « Il y a un effet domino, analyse Cécile. Ils m’ont expliqué qu’ils avaient reçu des candidatures de profils sortant d’écoles encore plus prestigieuses, qui ne postulaient pas chez eux auparavant. »
La jeune femme ne se laisse pas démonter, répond à toutes les offres qu’elle voit passer, mais déchante quand elle réalise que parfois une ou deux heures après la publication des annonces sur Linkedin, plus de 1500 candidatures ont été déposées.
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Un marché de l’emploi saturé
« C’est horrible. J’ai l’impression d’avoir perdu un an, je ne pensais pas galérer autant. Et encore, je suis privilégiée, mes parents peuvent m’aider, alors que j’ai certaines amies qui ont des prêts étudiants à rembourser. » Elle tente de s’inscrire au Pôle emploi où on lui répond qu’elle est trop diplômée. Cécile se lance aussi dans l’aide aux devoirs, mais avec le deuxième confinement, le service est arrêté.
Elle tente de reprendre son job étudiant d’hôtesse d’accueil dans les magasins de luxe, mais ceux-ci ferment également lors du deuxième confinement et accueillent de toute façon tellement peu de touristes qu’ils n’ont pas besoin de ses services. « Pour ma santé mentale, j’ai besoin de rester active, de faire quelque chose pendant ma journée », souffle la jeune femme.
Les diplômés de HEC prennent les offres que j’aurais dû avoir et moi je prends le travail des stagiaires.
En désespoir de cause, elle rappelle son ancienne école, pour négocier une convention de stage. Impossible, puisqu’elle est déjà diplômée, lui répond la secrétaire au bord des larmes. « Elle m’a dit que tous les jours, deux à trois personnes de ma promo l’appelaient pour lui demander la même chose. Elle en pleurait presque. »
Cécile décide alors d’acheter une convention de stage à 500 euros sur Internet et dégote un stage dans un autre groupe de cosmétique de luxe. Là encore, elle y voit un effet domino : « Les diplômés de HEC prennent les offres que j’aurais dû avoir et moi je prends le travail des stagiaires. Les personnes en étude, qui ont besoin d’apprendre et de se faire leur expérience ne trouvent rien », regrette-t-elle.
Désormais, elle se « met une pression de dingue » pour transformer ce stage en embauche. « J’ai six mois de rab’ », résume celle qui avait jusque là « l’impression de faire du sur place ».
Des jeunes sans solution
Cécile n’est pas la seule. D’après Gilles Gateau, le directeur général de l’Apec, l’association pour l’emploi des cadres, cité sur France Culture : « Les offres d’emploi pour les jeunes diplômés, accessibles donc aux débutants, qui n’ont pas d’expérience, ont baissé de 39% sur la période de janvier à novembre cette année par rapport à la même période de l’année dernière. »
Les Échos dressent le même constat : « Un quart des entreprises aurait totalement annulé les recrutements prévus avant la crise. En ce qui concerne les stages et les alternances, une entreprise sur deux a décidé de décaler les recherches de profils à plus tard. »
La présidente de l’Unef, Mélanie Luce, résume : « Les difficultés sont aujourd’hui d’autant plus grandes à trouver un emploi. Certains jeunes se sont réinscrits à l’université pour continuer à bénéficier du statut d’étudiant. D’autres se retrouvent tout simplement sans rien : ils n’ont pas assez travaillé pour avoir droit au chômage et ont moins de 25 ans, donc ils ne peuvent pas toucher le RSA. » Ce d’autant plus que, comme le rappelle l’économiste Vanessa Di Paola, spécialiste des questions d’insertion des jeunes sur le marché du travail, « les petits boulots n’ont plus cours, il n’y a pas d’alternative. »
Les petits boulots n’ont plus cours, il n’y a pas d’alternative.
Face à la crise, le gouvernement a mis en place le plan « 1 jeune 1 solution ». « Pour aider les 750.000 jeunes arrivés sur le marché du travail en septembre 2020 mais aussi ceux qui sont aujourd’hui sans activité ou formation, le Gouvernement mobilise un budget de 6,7 milliards d’euros, soit un triplement des moyens consacrés aux jeunes », peut-on lire sur le site dédié.
Le plan, lancé en juillet dernier, « mobilise un ensemble de leviers : aides à l’embauche, formations, accompagnements, aides financières aux jeunes en difficulté, etc ».
L’ouverture du RSA aux moins de 25 ans à nouveau sur la table
Un plan « dérisoire, même scandaleux », selon David Cayla, maître de conférences à l’université d’Angers et membre des Économistes atterrés. « Il y a deux stratégies : soit prolonger les études, mais ça ne résout rien, il n’y a pas d’ouverture de poste, ni de revenu pour les jeunes. Soit, allouer des primes à l’apprentissage ou à l’embauche, mais le problème c’est que les carnets de commande sont vides, on ne va pas obliger les entreprises à embaucher. »
Une analyse partagée par Vanessa Di Paola, la maîtresse de conférences de l’université d’Aix-Marseille. « Il n’y a pas de création d’emploi, donc ils peuvent stimuler autant qu’ils veulent, les commerces et les entreprises restent fermées… Ce plan manque cruellement de revenus pour les jeunes. »
Ce plan manque cruellement de revenus pour les jeunes.
L’économiste plaide notamment pour l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans. Ce que réclame également l’Unef. Sa présidente appelle aussi au retour de l’aide à la recherche du premier emploi (ARPE), qui permettait aux étudiants boursiers de voir leur bourse prolongée pendant quatre mois après la fin de leurs études. La mesure a été supprimée en 2019 sous la présidence d’Emmanuel Macron.
De son côté, David Cayla demande des embauches de la part de l’État. « Les jeunes veulent du travail. Le seul organisme qui a des besoins, dans le soin ou l’éducation par exemple, c’est l’État. Que l’État refuse d’embaucher, ça me révolte. »
Ouvrir des postes permettrait également, selon Mélanie Luce, de créer des emplois à différents niveaux de qualification. « C’est irresponsable aujourd’hui de ne pas investir sur la jeunesse », assène la syndicaliste étudiante.
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