Un an plus tard, l’errance et l’angoisse des patients "Covid long"
- Des séquelles handicapantes des mois après l’infection
- "Un jour sur deux" : les rechutes inexpliquées du Covid long
- L’avancée à tâtons du corps médical
- Une prise en charge différenciée selon trois profils
- Les femmes, inexplicablement plus touchées
- De l’importance de la reconnaissance des malades
Matthieu s’excuse mais il doit raccrocher. Il ne tient plus, se sent proche du malaise. Voilà presque quarante minutes qu’il livre à Marie Claire son quotidien de patient atteint par une forme longue de la Covid-19. Cet Orléanais de 42 ans nous explique devoir se reposer environ une heure trente après un appel de cette durée afin de « recaler » son système.
Déjà au bout de vingt minutes d’interview, Matthieu paraissait essoufflé et ressentait des tremblements. Il commençait à perdre ses mots, son élocution était moins fluide. « J’ai l’autonomie d’un iPhone », riait-il, avant d’entamer la seconde mi-temps de l’entretien, éprouvante pour lui. Puis il prévenait : « Quand la batterie arrive à zéro, je fais un malaise ».
La métaphore du match n’est pas étrangère à ce grand sportif pour qui les activités anodines, comme une marche de quelques minutes, sont devenues un effort physique difficile à surmonter. Aujourd’hui, six mois après avoir été infecté par le SARS-CoV-2, ce directeur d’un magasin d’articles de pêche -par ailleurs créateur d’une chaîne Youtube consacrée à la nature- arrive seulement à marcher 400 mètres. Pas plus.
J’ai l’autonomie d’un iPhone. Quand la batterie arrive à zéro, je fais un malaise
Le kinésithérapeute qui lui réapprend la gestion de l’effort deux fois par semaine et l’aide à reprendre ses six kilos de muscles perdus, le rassure. Il récupère, « à vitesse d’escargot », selon son expression, pas à pas, littéralement, mais les progrès sont là. Lors de leur premier rendez-vous, le professionnel de santé lui demande de marcher durant six minutes. « Hyper facile ! », pense le sportif. Il n’arrivera pourtant qu’à parcourir 180 mètres… en cinq minutes. Impossible de continuer une minute de plus : Matthieu tombe au sol, il fait un malaise et une crise de tétanie.
Ses tremblements, ses problèmes de coordination, de concentration, sont autant de séquelles qui l’empêchent, par exemple, de conduire. Son Covid long d’une demie-année est devenu un handicap au quotidien. Et un peu plus d’an après le début de la pandémie, il n’est pas le seul…
Des séquelles handicapantes des mois après l’infection
D’après une étude française menée par la plateforme de e-santé Lifen auprès de 1 841 patients, 40% d’entre eux se plaignent de symptômes à cinq mois de leur infection, et décrivent, comme Matthieu, un impact de ces symptômes sur la vie de tous les jours dans 60% des cas.
Au total, « entre un et deux tiers des patients, quel que soit leur âge, ont encore des symptômes quatre mois après leur contamination par le virus », estiment ainsi les membres du Conseil scientifique, qui reviennent sur ces travaux dans un avis publié le 11 mars dernier.
J’ai 42 ans et je me sens comme un homme du troisième, voire quatrième âge
La Haute Autorité de Santé (HAS), quant à elle, indique dans un communiqué de presse, que « plus de 20 % des patients présentent encore au moins un des symptômes initiaux de la Covid-19 cinq semaines après le début de la maladie, et plus de 10 % à 6 mois ». Et d’avouer : « Ce temps de récupération, plus ou moins long, fluctue en fonction des patients, sans que l’on comprenne complètement pourquoi. »
Des estimations en provenance du Bureau des statistiques nationales du Royaume Uni (Office for National Statistics) concordent. Leur enquête, réalisée en décembre 2020, a mesuré qu’environ 20% des patients ont décrit des symptômes persistants après cinq semaines et plus. Ils sont environ 10% à souffrir de séquelles après trois mois.
Dans son étude, Lifen énumère les nombreux symptômes dont peuvent souffrir ces malades pluriels, et zoome sur les plus fréquents : une anosmie ou une dysgeusie, c’est-à-dire, la perte de l’odorat ou du goût (30%), des troubles cognitifs (37,1%), des maux de tête (41,2%), des palpitations ou une tachycardie (41,4%), une dyspnée, soit, une difficulté respiratoire (42,9%), et enfin, une fatigue, ressentie par la majorité de ces patients (52,9%).
« Un jour sur deux » : les rechutes inexpliquées du Covid long
À propos de cette fatigue, mentionnée par plus d’un sondé sur deux, Matthieu lâche : « Il faudrait trouver un mot plus fort que « éprouvant ». J’ai 42 ans et je me sens comme un homme du troisième, voire quatrième âge. »
Sandrine a compilé à peu près tous les symptômes listés dans l’étude durant presque cinq mois. Voire plus encore. À mesure qu’elle témoigne, l’interrogée réalise qu’elle n’a pas récupéré toutes ses capacités. Elle raconte le cœur et la tension qui s’emballaient certains soirs, « sans que cela ne soit lié à un effort ou à une émotion particulière » ; la perte du goût, réapparu au bout d’un mois et demi, et l’odorat qui n’est pas encore totalement revenu ; les maux de tête et les veines qui ressortent ; les douleurs musculaires qu’elle apaise une fois par semaine chez son kinésithérapeute, et surtout, sa résistance moins importante à la fatigue.
Plus de 10 % des patients présentent encore au moins un des symptômes initiaux de la Covid-19 six mois après le début de la maladie
Diagnostiquée positive à la Covid-19 le 13 mars 2020, avant même que le premier confinement n’ait été déclaré, cette directrice d’antenne de la radio RCJ, femme active de 47 ans à l’emploi du temps chargé, ressent encore aujourd’hui, parfois, des baisses de régime. « Je dois accepter qu’à certains moments je ne peux plus être autant ‘à fond’ qu’avant. Il faut avoir un entourage personnel et professionnel compréhensif », souligne-t-elle.
À cette angoisse d’être mal compris par ses proches, et donc peu soutenus, se mêle celle de ne jamais guérir complètement. « Il y a certains jours où je sens que j’ai plus d’entrain que d’autres. J’ai des journées plus et des journées moins », explique simplement Matthieu. Et dans ces « journées moins », survient la peur de vivre éternellement sur ce rythme alterné, sans nuance, épuisant.
Un jour, je me sentais très bien, donc j’étais rassurée, je pensais être débarrassée. Le lendemain, ça allait de nouveau mal. Et là je m’imaginais ne jamais m’en sortir
« C’était cela le plus effrayant et le plus démoralisant, acquiesce Sandrine. Un jour, je me sentais très bien, donc j’étais rassurée, je pensais être débarrassée. Le lendemain, ça allait de nouveau mal. Et là je m’imaginais ne jamais m’en sortir ». La Parisienne confie ressentir aussi d’autres angoisses, liées aux actions qu’elle faisait avant sans effort et sans se poser de question. Être seule en voiture, par exemple. Elle a aujourd’hui peur d’avoir une accélération cardiaque au volant.
L’avancée à tâtons du corps médical
Mais la plus grande angoisse de nos témoins est derrière eux : cette incompréhension du corps médical couplée à un anxiogène point d’interrogation.
Pendant les deux mois et demi suivants son dernier test positif, Matthieu raconte s’être battu « contre quelque chose qu’il ne comprenait pas ». Il s’angoisse, cherche des réponses dans les articles de presse, et tombe finalement sur une interview du Professeur Dominique Salmon-Ceron, infectiologue à l’Hôtel-Dieu, à Paris, où elle a ouvert une consultation dès mai 2020, dédiée à ces malades de la Covid qui peinent à retrouver leur état de santé habituel. Depuis sa recherche d’informations, Matthieu y est pris en charge.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a officiellement reconnu le Covid long en août 2020, mois à partir duquel Sandrine commençait à se dépêtrer de sa situation. « Les médecins me disaient que mes maux étaient psychosomatiques, car les Covid long n’étaient pas encore reconnus, rembobine-t-elle. Il me fallait réussir à intégrer qu’ils ne savaient pas et ne pas leur en vouloir pour cet aveu. »
Pour supporter le flou, l’un et l’autre ont été suivis par un psychiatre, comme il est recommandé aux patients dans leur cas. Sandrine s’est tourné vers le Professeur Laurent Karila, qui l’a aidée à reprendre confiance, espoir, « sans jamais minimiser les conséquences de la maladie ». « Il a rapidement compris que les psys et les kinés allaient avoir beaucoup de travail », souffle-t-elle, dans un sourire. Matthieu, lui, confie ressentir le besoin de consulter une fois tous les deux mois et demi. « Ça permet à l’esprit de mieux soutenir le corps », formule-t-il joliment.
Les médecins me disaient que mes maux étaient psychosomatiques
Certains Covid longs recherchent du soutien et de l’entraide auprès d’autres patients, qui, comme eux, se sentent en errance. Près de 700 membres ont adhéré à l’association #Après J20, dans laquelle Matthieu est bénévole. Ce nom, pour fédérer les personnes qui ont été atteintes par la Covid-19 et dont les symptômes ont anormalement persisté durant plus de vingt jours. « On essaie d’aider les nouveaux malades à ne pas se laisser abattre, à consulter le maximum de médecins pour écarter toutes les pathologies, cardiaques et pulmonaires notamment, car il faut éliminer tous les problèmes anxiogènes », explique le quarantenaire.
Les malades s’organisent, comme le corps médical, au départ démunis face à cette maladie encore mal connue. Pour aider les médecins dans leur diagnostic et la prise en charge des patients qui présentent des symptômes prolongés, plusieurs dispositifs ont été mis en place par la Direction générale de la Santé (DGS) ou encore par la Haute Autorité de Santé (HAS). À la demande du ministère des Solidarités et de la Santé, cette dernière a organisé un groupe de travail constitué de professionnels de santé et d’associations de malades, dont #Après J20. À la suite de quoi, la HAS a publié douze fiches techniques pour guider les soignants dans leur prescription et l’identification des symptômes. « Fiche Fatigue », « Fiche Dyspnée », « Fiche Manifestations neurologiques », etc.
Une prise en charge différenciée selon trois profils
La difficulté de la prise en charge réside aussi dans le fait que les patients ont des profils et symptômes bien différents.
La chercheuse et infectiologue Karine Lacombe distingue trois groupes. Premièrement, « les patients dont l’infection par la Covid-19 n’a jamais pu être prouvée (parce qu’ils n’ont jamais fait de test PCR, ou parce que leur sérologie était négative, car parfois celle-ci peut ne jamais se positiver) ». « Souvent des jeunes et en particulier des femmes, ces patients sont les cas les plus difficiles à prendre en compte et en charge », nous explique la Cheffe de Service des maladies infectieuses et tropicales de l’Hôpital Saint-Antoine, à Paris.
« Leurs séquelles sont principalement neuropsychiques, avec un retentissement somatique comme un syndrome fibromyalgique. On n’a pas grand chose à leur proposer, à part de séances de kiné et un suivi psychothérapique, développe-t-elle. Certains anti-dépresseurs fonctionnent aussi. Ils agissent sur la composante anxiogène de cet état-là. »
Seconde catégorie : « les patients qui ont eu une infection à la Covid-19, prouvée par un test PCR ou une sérologie, mais dont l’état n’a pas nécessité une hospitalisation ».
Ceux-là « ne développent pas les mêmes symptômes que les premiers ». « Ils peuvent garder des séquelles en fonction de comment se sont exprimés les symptômes initialement », dit l’infectiologue. « Pour ceux qui ont ressenti des manifestations cardiaques, des picotements par exemple, ces douleurs thoraciques vont rester. Chez les patients qui ont eu des symptômes grippaux, ce sont les douleurs musculaires qui vont persister. Et d’autres qui ont eu des symptômes plutôt neurologiques, vont garder, par exemple, leur difficulté à dormir », illustre-t-elle. Il y a, pour cette catégorie-là, « une persistance sur le long terme des symptômes » déjà déclenchés au moment du diagnostic.
Et enfin, troisième cas, « les patients qui ont été hospitalisés – avec un passage en réanimation ou pas – et qui gardent des séquelles objectives de leur Covid, sur le plan clinique, en particulier cardio-respiratoire ». « Ce dernier profil est le plus simple à prendre en charge, d’après l’experte. Les patients gardent des séquelles pulmonaires voire cardiaques. On peut alors les orienter vers un cardiologue ou un pneumologue. »
« Il s’agit de trois tableaux différents, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, mais que l’on met, tous trois, dans ce terme de ‘Covid long’. Il est difficile d’avoir actuellement une définition consensuelle », pointe l’infectiologue, tout comme le Conseil scientifique dans son avis : « En l’absence de définition claire, la Haute Autorité de Santé a décidé de ne pas utiliser cette dénomination et préfère la notion de symptômes prolongés après un Covid-19. »
Les femmes, inexplicablement plus touchées
Si les directives de la HAS éclairent les praticiens, il demeure cependant plusieurs zones d’ombre. Pourquoi les femmes sont plus durement touchées par cette forme persistante, par exemple ? « On ne sait pas pourquoi à ce jour », admet Karine Lacombe.
On est en train de créer une génération de malades chroniques dans la plus grande indifférence
Pour certains médecins, cette fatigue « post-virale », qui est le plus fréquent des symptômes, s’apparente à une fatigue chronique. « On est en train de créer une génération de malades chroniques dans la plus grande indifférence », s’inquiète sur le plateau du 20 heures de TF1 Hélène Rossinot, médecin spécialiste de santé publique.
Le Docteur Daniel Craw, directeur de recherches sur la douleur chronique à l’Université du Michigan, aux États-Unis, craint lui aussi, dans The Guardian, que la Covid-19 puisse déclencher ou aggraver des états de douleur chronique. Et de reconnaître que la recherche ne s’est historiquement jamais intéressée aux « pourquoi » certaines maladies chroniques affectent principalement les femmes. Ainsi, nous nous trouvons aujourd’hui avec ce point d’interrogation, dans l’incapacité de traiter ces particularités.
L’article, intitulé « Les femmes sont plus sensibles au Covid long, mais allons-nous les écouter ? », regrette que les « plaintes » des femmes au sujet de leur santé soient « souvent considérées comme excessives ou purement psychologiques. » C’est l’exemple de Sandrine, renvoyée à des « problèmes psychosomatiques » alors qu’elle détaillait aux soignants consultés de lourdes séquelles après son infection.
De l’importance de la reconnaissance des malades
« Comme beaucoup heureusement, j’en suis sortie vivante, mais pas indemne. De mes nuits et de mon corps encore brisé jaillit pourtant cette volonté. Celle de voir ces souffrances enfin reconnues ». À travers son masque FFP2, on perçoit l’émotion de l’élue LReM Patricia Mirallès, qui témoignait à la tribune de l’Assemblée nationale, le 17 février dernier, devant des députés qui ont ensuite voté à l’unanimité une résolution afin de reconnaître ces complications à long terme.
Pour l’heure, les personnes infectées par la Covid-19 dans le cadre de leur activité professionnelle peuvent bénéficier d’une prise en charge spécifique en maladie professionnelle. En revanche, le Covid long n’est, pour le moment, pas reconnu comme affection de longue durée (ALD) avec exonération du ticket modérateur. Les malades doivent donc prendre à leur charge l’avance de frais médicaux parfois coûteux. À ce propos, Patricia Mirallès confiait en février à Ouest France que « la reconnaissance de la Covid-19 en maladie chronique » viendrait « peut-être à la fin ». Selon elle, cela supposera alors « un consensus scientifique très long à obtenir, alors qu’on n’en sait pas encore assez sur cette maladie. »
Matthieu et les membres de l’association #Après J20 espèrent tout de même obtenir une véritable reconnaissance. Celle-ci passe, selon eux, par un recensement des patients concernés, et une prise en charge de ces derniers dans des centres pluridisciplinaires dédiés, qui abriteraient plusieurs médecins issus de diverses spécialités. Le but : pouvoir être soignés dans un même lieu et ainsi éviter des problèmes de logistique. Un moyen aussi de leur permettre de ménager leur fragile état, sans se fatiguer à courir d’un cabinet médical à un autre.
Matthieu évoque aussi une aide financière ou une mise à disposition du matériel nécessaire. Puisqu’il ne peut plus marcher plus de 400 mètres, il a dû s’acheter un fauteuil roulant et louer, à ses frais, une voiture adaptée à cette chaise.
Le dernier vœu de Matthieu : que cet article s’achève sur une note positive. Parce qu’il subsiste, malgré tout, de l’espoir. Espoir qu’il s’efforce de transmettre aux « petits nouveaux » de l’association qui ont le moral à plat. D’abord, la situation des Covid long est de plus en plus évoquée, écoutée, le public est davantage sensibilisé, et ce, grâce à leurs nombreux témoignages qui fleurissent sur les réseaux sociaux. Et puis, pour ne pas perdre tout espoir, il est crucial de se satisfaire des petites victoires. Se fixer des objectifs réalistes. Être fier des 400 mètres parcourus. Car c’est 220 de plus qu’au Jour 1.
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