Travail : et si on passait à la semaine de 4 jours ?

Abattre en quatre jours, le boulot qu’on fait habituellement en cinq, pour avoir son mercredi, son vendredi ou son lundi libre… Partir dès le jeudi soir ou le vendredi matin en week-end pour voir sa famille ou retaper sa fermette.  Avoir enfin plus de temps pour soi, pour ses enfants, ou ses parents dépendants… Être assez dispo pour se (re)mettre au Tai Chi ou au running, à la poterie, jardiner, s’investir dans la vie de quartier, dans une asso humanitaire… 

Faire rimer bien-être et productivité

Le débat sur la semaine de quatre jours a resurgi, notamment en Espagne et en Allemagne, avec la crise sanitaire. Faut-il diminuer et mieux partager le temps de travail pour sauver les emplois menacés par les fermetures de secteurs économiques entiers ? A contre-courant des partisans du « travailler plus « , comme l’Institut Montaigne ou le Medef, pour rattraper le temps perdu pendant la pandémie, une poignée d’entreprises françaises osent déjà semaine de quatre jours, convaincues que le modèle est bon pour la productivité et pour le bien-être des salariés.

L’idée, avec de nombreuses variantes : les employés font leurs 35 heures sur 4 jours, soit un jour off chaque semaine, en général le mercredi, le vendredi ou le lundi, et sont donc payés au même salaire que s’ils travaillaient cinq jours sur sept.

Pour les salariés déjà passés à la semaine de quatre jours, « il n’y a pas photo » ! Gaëlle Martineau, est adjointe du Service Achats chez Yprema, entreprise de vente de matériaux recyclés d’une centaine de salariés. L’entreprise applique la semaine de quatre jours depuis 1997 pour 80% de ses salariés. 

Je travaille quatre jours et je suis libre trois jours pour le même salaire qu’un 35 heures classique […] Ça permet d’avoir de vrais week-ends reposants.

Comme beaucoup de mères, elle a choisi de prendre son jour off le mercredi. « Je travaille quatre jours et je suis libre trois jours pour le même salaire qu’un 35 heures classique. C’est un bon équilibre entre la vie pro et la vie perso. Ça me permet de passer plus de temps avec mes enfants, Mélina, 9 ans, et Gabriel, 3 ans. De gérer toutes les activités extrascolaires du mercredi moi-même plutôt que de m’en remettre à des animateurs. Et de regrouper le mercredi tous ces rendez-vous, médecins, banque, démarches administratives etc. impossibles à prendre hors horaires de travail sans culpabiliser. Ça permet d’avoir de vrais week-ends reposants. » Et côté financier, Gaëlle s’y retrouve aussi : « j’économise une journée de nourrice et de centre aéré. »

Pour caser 35 heures de travail dans quatre jours, il faut donc faire des journées plus longues. « Sur cinq jours, on travaille normalement sept heures par jour. Sur quatre jours, ça représente une journée de huit heures et quarante-cinq minutes, résume Gaëlle. Donc oui, les journées sont un peu plus longues, mais le mercredi off coupe bien la semaine, qui passe du coup très vite, et permet de déconnecter du bureau, d’être plus reposée, donc plus productive au retour. »

Mais pour tenir ses objectifs de travail dans quatre journées, faut-il renoncer à tous les petits plaisirs de la vie pro : pauses café et cigarettes avec les copines, déjeuners à la cantine qui s’éternisent, papotages de couloirs ?

Une meilleure organisation

« Je pense qu’on s’organise mieux, réfléchit Marie Ouvrard, directrice éditoriale chez Welcome to the Jungle, un media consacré au travail. On se débarrasse de toutes ces réunions inutiles et chronophages, (où dans lesquelles on n’a parfois rien à faire) qu’on peut remplacer par une boucle de mails, aussi efficace. Mais je n’ai pas l’impression d’avoir renoncé à toutes ces interactions informelles avec les collègues qui permettent aussi de résoudre des petits problèmes et de trouver des idées. Quitte à travailler un peu plus tard le soir, ou à prendre un peu sur ma journée off si vraiment c’est nécessaire. Les choses ne sont pas figées. S’il y a une vraie urgence qui ne peut pas attendre mon retour et que personne ne peut s’en charger à ma place, j’interviens ».

Maman d’une petite fille de deux ans, Marie a choisi le vendredi off. « Quand on travaille 5 jours, le week-end passe très vite. Il est rogné par les séquences rangement, ménage, lessives, paperasse en souffrance, ravitaillement le samedi, là où il y a le plus de monde et où on perd le plus de temps … Outre profiter plus de ma petite fille, et partir en week-end à la campagne un jour plus tôt, mon vendredi off me permet d’avoir du temps pour moi : J’en profite pour faire de la photo, écrire, lire, et aussi regarder ce qui se fait dans les médias. Toute cette veille professionnelle nécessaire qu’on n’a pas le temps de faire en semaine ».

Sa collègue Caroline Mielvaque, Sales Development manager, dans la même entreprise profite de son vendredi off pour professionnaliser sa passion pour le fromage… « J’aide des amis qui ont lancé une fromagerie, pour renforcer les équipes et apprendre de nouvelles choses. J’ai ainsi découvert de délicieuses et très jolies tomes de chèvre à la fleur puisque mes amis ont une production familiale dans le Tarn. Avant la Covid-19, j’ai essayé d’organiser des dégustations dans la rue. »

Son jour off lui permet aussi d’autres activités, plus artistiques : peinture, céramique… « C’est une journée complètement à moi pendant que mon compagnon et mes amis travaillent ». 

Une idée qui séduit certains patrons

L’idée de la semaine de quatre jours a germé dans les années 90. « Pour notre patron, c’est le sens de l’histoire, explique Susana Mendes, secrétaire générale d’Yprema.  Il avait entendu parler des études menées par l’économiste et député européen, Pierre Larrouturou, et fervent avocat de la cause ». Qui lui-même avait écouté Antoine Riboud, le patron de Danone. Il avait lancé le concept en 1993, dans une tribune du Monde plutôt visionnaire : « l faut descendre à 32 heures, sans étape intermédiaire. Cela obligera toutes les entreprises à créer des emplois. »

C’est la loi Robien qui a permis la semaine de quatre jours en 1996. Elle permettait aux entreprises de réduire le temps de travail en contrepartie d’une embauche d’au moins 10% de salariés en CDI. En échange, elles bénéficiaient d’un allègement des cotisations patronales de sécurité sociale. Environ 400 entreprises en ont profité, comme Yprema. Résultat, « on a gagné un mois de production dans l’année », s’enthousiasme Susana Mendes, ravie par ailleurs d’avoir plus de temps pour son petit-fils ou pour aller chez le coiffeur un lundi. Puis sont arrivées les lois Aubry sur les 35 heures, qui ont rendu caduque la loi Robien. Et aujourd’hui, une entreprise qui veut passer à la semaine de quatre jours ne bénéficie plus d’allègements de cotisations patronales.

Certaines osent pourtant encore casser les codes, comme l’entreprise lyonnaise d’informatique LDLC.  Elle est non seulement passée à la semaine de quatre jours en février dernier, mais aussi aux 32 heures par semaine, soit des journées de 8 heures de travail pour tout le monde. « L’idée m’est venue en visionnant un documentaire sur une expérience similaire au Japon. L’entreprise Microsoft donnait leur vendredi aux employés. Résultat : une hausse de 40% de la productivité », a expliqué Laurent de la Clergerie, patron du groupe(1) . La preuve est faite, pour qui en douterait encore, que bien-être et performance au travail ne sont pas incompatibles. 

Ainsi, du lundi au jeudi, Caroline Agullo est coach en interne, dans l’entreprise (apprendre aux collaborateurs de LDLC à s’affirmer, à prendre la parole en public…). Et grâce à son vendredi libre, adepte du yoga Sutra de Patañjali, elle approfondit sa pratique, et organisera bientôt des cours et des stages.

Permettre de nouvelles embauches

Travailler quatre jours seulement, par semaine, qu’en pensent les cadres ? « Ce mois-ci, il a fallu que je rencontre ma conseillère bancaire, ma notaire, que je fasse ma mammographie, que j’attende le plombier, une livraison de machine à laver, mais aussi que j’aille chercher mon nouveau passeport à la mairie, entre autres, énumère Caroline, directrice de la communication dans une maison d’édition. Des choses qu’on ne peut faire qu’aux heures de bureau. Alors c’est sûr, j’adorerais avoir une journée de plus, ne serait-ce que pour regrouper les contraintes, et ne plus avoir à m’excuser comme à l’école : ‘Euh désolée, je ne peux pas participer à cette réunion, j’ai un rendez-vous chez ma gynéco prévu depuis un mois…’ Mais je travaille déjà beaucoup plus que 35 heures, souvent en soirée, le weed-end, et parfois pendant mes congés quand le travail l’exige, et c’est un travail difficile à quantifier, je ne produis pas x boulons par jours…Je ne peux donc pas faire en quatre jours ce que j’arrive déjà difficilement à boucler en cinq ».

Beaucoup de salariés sont sous pression, débordés. Il ne faut donc pas attendre des gains de productivité miraculeux si on passait à la semaine de quatre jours sans recruter.

Pour Anne Eydoux, maîtresse de conférences en économie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), la semaine de quatre jours ne serait réalisable que si les entreprises embauchaient : « En France, on a déjà une productivité très élevée. Cela veut dire que beaucoup de salariés sont sous pression, débordés. Il ne faut donc pas attendre des gains de productivité miraculeux si on passait à la semaine de quatre jours sans recruter. » Reste un paradoxe : « La fameuse loi Robien n’avait pas été si mal perçue que ça par les employeurs, quoi qu’en ait dit le Medef. Et puis elle avait créé des emplois. Et pourtant, elle a été abandonnée assez largement par la classe politique… »

Mais on en reparle à l’étranger : ainsi, L’Espagne va consacrer 50 millions d’euros pour expérimenter, pendant trois ans, la semaine de quatre jours au sein de 200 entreprises volontaires. Ce budget aidera les chefs d’entreprise à se réorganiser et à faire face à l’augmentation des coûts salariaux. Entre 3000 et 6000 salariés participeront au test. Un bilan sera dressé chaque année. Les secteurs du télémarketing, les cabinets juridiques et comptables, les architectes pourraient être les premiers concernés. Mais le gouvernement aimerait aussi pouvoir tester la semaine de 32 heures dans des professions comme l’hôtellerie ou la restauration.

Pas de perte de salaire !

En Allemagne, où 300 000 emplois sont menacés par les suites de la pandémie, un accord dans la métallurgie ouvre la voie à une semaine de quatre jours « pour permettre de conserver les emplois industriels au lieu de les supprimer », a déclaré le patron du puissant syndicat IG Metall, Joerg Hofman. Un avis partagé en France par son homologue de la CGT, Philippe Martinez pour qui « il faut travailler moins pour travailler tous et produire autrement ».

Enfin en Nouvelle Zélande, en mai dernier, la Première ministre Jacinda Ardern a lancé l’idée de passer à la semaine de quatre jours pour inciter les salariés à profiter de leur jour off pour voyager, et relancer ainsi le tourisme local, en panne depuis la pandémie.

Dans la foulée, à la fin de l’année dernière, le géant Unilever (agro-alimentaire, cosmétiques) a décidé d’expérimenter la formule en Nouvelle-Zélande sans baisse de salaire. « Nous pensons que l’ancienne façon de travailler est passée et n’est plus adaptée », a assené le directeur général d’Unilever New Zealand, Nick Bangs.

Alors pourquoi les débats sur la semaine de quatre jours sont-ils au point mort en France ? Pour Susanna Mendes, c’est culturel : « Il y a beaucoup d’idées reçues. Regardez, quand on est passé aux 35 heures, les patrons pensait que ça allait encourager la fainéantise, que les salariés seraient moins productifs… Or chez nous, grâce à la semaine de quatre jours, c’est comme si on produisait 13 mois sur 12 ! Et tout ça dans une entreprise qui compte 40% de femmes, alors que le BTP ne compte que 12% de femmes en moyenne… ! »

A bon entendeur… 

1 – Le Figaro 12/02/2021

Source: Lire L’Article Complet