Tess Ledeux, la tête brûlée surdouée du ski acrobatique français
- Une skieuse des premières heures
- Une déferlante de récompenses à même pas 15 ans
- Une première défaite qui la dégoûte du ski
- Un doublé aux X-Games, un an après la mort de son père
- Trouver son équilibre entre vie de sportive et vie de jeune fille
- Une pionnière dans un sport surreprésenté par les hommes
- Une championne sur qui la peur et le stress ne glissent pas
- "On n’a jamais tout gagné quand on est passionné"
Dix victoires en coupe du monde, six en championnat du monde, une médaille olympique en argent… Du haut de ses 21 ans, la skieuse acrobatique Tess Ledeux a un palmarès époustouflant.
Pourtant, quand on la rencontre dans le restaurant de sa mère, Nelly Ledeux, au cœur de la station savoyarde où elle a grandit (La Plagne), c’est une jeune femme discrète qui nous fait face.
Une timidité qui tranche avec l’explosivité de ses performances sacrées d’or et d’argent en slopestyle (descente acrobatique) et en Big air (saut acrobatique), depuis ses débuts sur le circuit professionnel, à 15 ans.
« Petite, quand on lui demandait ce qu’elle voulait faire, elle répondait championne du monde« , nous glisse sa maman, fière. Et en sa terre natale, « championne » est assurément le qualificatif le plus usé quand les Plagnard.es nous parlent d’elle, alors qu’ils visitent le restaurant familial pour demander si « Tess est là ».
Une skieuse des premières heures
Vingt-et-un an plus tôt, c’est quasiment avec des skis aux pieds que Tess Ledeux voit le jour, à Bourg-Saint-Maurice (Savoie), le 21 novembre 2001. Un an plus tard, alors qu’elle tient à peine sur ses jambes, on la pose sur ses premières spatules. « Elle nous demandait tout le temps d’en faire », commente sa mère.
Sauf que la fillette « tête brûlée » se lasse rapidement du ski alpin. Alors qu’elle n’a pas 5 ans, elle passe ses soirées à faire des sauts de luge sur la piste qui fait face au restaurant de ses parents.
Je voulais juste tester mes limites et ne pas avoir à suivre les autres.
Ce qui lui plaît dans la glisse ? « Se mettre des énormes boîtes ». Si bien qu’à l’école de ski, elle fait partie des indisciplinés qui rêvent d’action et tentent leurs premiers mini sauts. “Je ne réalisais pas que c’était du freestyle, je voulais juste tester mes limites et ne pas avoir à suivre les autres”, se remémore-t-elle.
Une déferlante de récompenses à même pas 15 ans
C’est donc tout naturellement qu’elle se dirige vers le ski freestyle. Et si son cousin, Kevin Rolland, est aussi un skieur acrobatique reconnu, elle se laisse surtout porter par la passion et l’esprit de compétition, comme confirme Nelly Ledeux : « elle a toujours été déterminée, persévérante. C’est surprenant de voir ces qualités chez un enfant ».
Très vite s’impose donc chez la fillette un besoin de se surpasser et de se mesurer aux plus doué.es. Alors, quand elle apprend que Kelly Silverado, autre skieuse du coin (et aujourd’hui sportive de haut niveau) se fait remarquer, son nouvel objectif est d’être encore meilleure. « C’est elle qui m’a poussée à atteindre le plus haut niveau aussi rapidement ».
Dès 8 ans, elle participe à des concours de ski alpin, puis s’attaque aux compétitions de freestyle à ses 10 ans. Alors qu’elle entre au collège, les choses s’accélèrent. En classe club, elle est “libérée” les mardi et mercredi après-midis pour s’entraîner. En troisième, à l’aube de ses 15 ans et de son entrée en Équipe de France, ce rythme ne lui convient plus. Elle quitte le collège pour le CNED et passe le plus clair de son temps à « déboîter » sur les pistes.
D’un coup, j’ai tout eu et je suis partie aux JO en tant que favorite.
Une décision risquée qui paye. Elle remporte l’or à sa première coupe du monde, reçoit son invitation pour les X-Games – la compétition de ses rêves – et en revient avec une médaille d’argent, alors qu’elle n’a pas 16 ans.
« L’année d’avant je n’avais quasi pas de sponsors, je n’étais pas à la Fédé et je n’avais pas de résultats. Et d’un coup, j’ai tout eu et je suis partie aux JO en tant que favorite ».
Une première défaite qui la dégoûte du ski
Ses premiers JO qui seront aussi sa première « grosse claque ». En 2018, à PyeongChang (Corée du Sud), elle est éliminée dès les qualifications en ski slopestyle. « Je me suis demandée ce que je faisais là et si ça en valait la peine », se souvient-t-elle. Pendant huit mois, c’est la traversée du désert, la championne ne skie plus, « dégoûtée ».
Un électrochoc qu’elle a su prendre comme une leçon. « J’en avais besoin. Ces deux années avant 2018, la compet’ a pris le dessus sur la passion et je me suis un peu perdue. Pour la première fois je n’atteignais pas mon objectif et le monde s’écroulait, alors qu’à la base je fais ce sport parce que j’adore le ski et les sensations que ça me procure« .
Petit à petit, elle renfile ses skis, mais cette fois-ci, pour le plaisir. Si la récupération est dure, ses premières pistes en concours lui montrent qu’elle n’a rien perdu. Jusqu’à sa plus belle victoire, quelques mois plus tard.
Un doublé aux X-Games, un an après la mort de son père
Si elle parvient à rectifier le tir et à remporter l’argent en Big air lors des JO de Tokyo en 2020, ce n’est pas cette médaille qui la rend la plus fière.
Les yeux brillants et soutenue par le regard ému de sa maman, elle évoque les X-Games de 2022, dont elle est repartie avec l’or en slopstyle et en Big air, un an tout pile après la mort de son père.
« Il y a deux ans, je n’ai pas pu participer aux X-Games parce que j’étais en train de perdre mon papa. L’année suivante, j’étais sur liste d’attente et je suis rentrée au dernier moment. Personne ne m’attendait et j’ai gagné, deux fois. Je pense que je n’arriverais pas à avoir une plus belle victoire dans ma carrière, ça restera le moment le plus fort de ma vie, parce que mon père était avec moi ce jour-là ».
Trouver son équilibre entre vie de sportive et vie de jeune fille
Des épreuves personnelles et professionnelles que la jeune femme n’aurait pu affronter sans une aide psychique, dont elle parle sans tabou.
« J’ai une psychologue prep mentale qui me suit depuis quatre ans. Très vite je me suis dis ‘tu travailles à fond physiquement et techniquement, tu fais attention à ce que tu manges et à ton sommeil, mais il ne faut pas oublier l’aspect mental’. Si on veut réussir au top niveau, il ne faut négliger aucun aspect de sa performance. Je trouve que c’est important aujourd’hui que ça ne soit plus un tabou, mais je suis consciente que dans certains sports, c’est encore tu ».
Elle a un petit entourage, mais elle est super accessible.
Dans l’équation de son équilibre, son entourage détient aussi une place de choix. « On s’appelle tous les jours, voire plusieurs fois par jour », raconte sa maman, de qui elle est très proche, comme de ses deux grandes sœurs.
En amitié, la balance a été plus compliquée a stabiliser. « Même dans mon entourage sportif, il y a une différence entre les objectifs de ceux qui font du haut niveau et ceux qui font du très haut niveau. Moi je profite trois semaines et après, il faut que je me prépare pour la saison suivante. Ça ne me dérange pas, mais je sens que parfois ça crée un décalage et que si la personne en face ne vit pas la chose, elle ne me comprend pas« .
« Elle a un petit entourage, mais elle est super accessible. Sur Instagram, on essaie de répondre à tout le monde. On reçoit beaucoup de messages, les gens lui demandent des conseils, se confient… », partage sa meilleure amie, Stella Amiez.
Une pionnière dans un sport surreprésenté par les hommes
Une accessibilité qui lui permet aussi de s’imposer comme une rôle modèle pour beaucoup de jeunes skieuses, comme celles qu’elle vient rencontrer en ce week-end de février, où elle organise un concours de ski acrobatique 100% féminin.
Des exemples qui ont manqué à l’athlète, petite. « Je m’identifiais plus aux mecs, parce que c’est eux qu’on voyait le plus. C’est vers mes 13/14 ans, quand j’ai commencé à être sur les réseaux sociaux, que j’ai découvert toutes les filles qu’il y avait sur le circuit ».
Quand je vais chercher une première mondiale, je le fais pour moi, mais aussi pour laisser une trace dans ce milieu encore trop masculin.
Encore aujourd’hui, l’athlète note qu’il manque cruellement de femmes dans le ski acrobatique français. « En France, ça a encore du mal à démarrer. Au club des sports de la Plagne, il y avait deux filles dans la section freestyle l’année dernière, cette année il n’y en a plus », soupire-t-elle.
Et quand on lui demande si cette étiquette de pionnière n’est pas trop lourde à porter, la jeune femme s’interroge. « Moi j’ai d’abord envie de cocher les objectifs pour moi, mais quand je vais chercher une première mondiale, je le fais aussi pour laisser une trace dans ce milieu encore trop masculin. Pour montrer que les femmes ont la place de briller dans le ski freestyle. Alors oui, peut-être que j’ai envie de montrer la voie ».
Une championne sur qui la peur et le stress ne glissent pas
Une question parmi tant d’autres qui se bousculent dans la tête de la jeune femme, qui « ne s’arrête jamais de penser ». A la question « es-tu une grande stressée ? », elle pousse un grand « oui » sincère et presque salvateur.
« Je me rends presque malade avant les compet’, je n’arrive pas à dormir, j’ai la nausée… Je me remets beaucoup en question », lance-t-elle. « Elle a souvent peur de ne pas y arriver, ou que les gens ne soient pas au rendez-vous quand elle organise un événement. C’est une confiance qu’on essaie de lui apporter, parce qu’elle réussit toujours », complète sa meilleure amie.
La peur elle est là et elle est nécessaire.
Au-delà de la pression de la réussite, il y a aussi la peur, émotion au premier plan dans les sports extrêmes. « La peur elle est là et elle est nécessaire. Si on ne l’a plus, on est moins safe. Ça nous permet de nous canaliser un peu. Petite, j’étais une tête brûlée, je ne mesurais pas le danger. Aujourd’hui la peur vient me rationaliser et me permet de ne pas oublier les choses nécessaires à l’exécution d’un saut ».
Nelly Ledeux avoue avoir peur, elle aussi. « On fait avec. Mais elle est mature et professionnelle et je sais qu’elle ne prendra jamais de risques démesurés. Et puis, quand on fait face à une passion pareille, on ne peut pas aller contre », relativise-t-elle.
« On n’a jamais tout gagné quand on est passionné »
D’autant que pour le moment, Tess Ledeux est encore loin de mettre ses skis au placard. Même si les trophés ne manquent pas chez elle, l’athlète convoite encore une médaille d’or olympique et un globe en Big air (Coupe du monde). Son prochain défi en date : les Championnats du monde de ski freestyle, se tenant en Géorgie du 19 février au 5 mars 2023.
Mais une fois ces récompenses acquises, elle sait déjà qu’elle ne s’arrêtera pas là. « Quand j’étais petite, l’objectif c’était de gagner une Coupe du monde. J’en ai gagné 10, alors pourquoi pas 20 ? Et puis pourquoi pas devenir la fille la plus médaillée aux X-Games dans le ski ? Il y a toujours des moteurs qui s’ajoutent au-delà de la compétition. Les nouveaux tricks, les projets vidéo… On n’a jamais tout gagné quand on est passionné ».
Et puis, il y a aussi sa vie (un peu) en dehors du ski. Après avoir obtenu son baccalauréat, Tess Ledeux est aujourd’hui en dernière année d’IUT. L’an prochain, elle aimerait intégrer une école de commerce. « C’est dur, mais c’est ce qu’il faut. Même si le sport c’est l’école de la vie, je compte bien continuer à apprendre et à gagner sur tous les terrains », sourit-t-elle.
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