TEMOIGNAGE. Renaud Van Ruymbeke : "J’ai horreur des privilèges"

Pendant quarante ans, il a instruit les plus grandes affaires financières mais c’est un terrible fait divers qui a permis au juge Van Ruymbeke de faire passer la justice à l’ère de l’ADN. A découvrir samedi 29 mai à 14 h sur France 2 dans Au bout de l’enquête, la fin du crime parfait ?

Le 18 juillet 1996, Caroline Dickinson, une Anglaise âgée de 13 ans, est retrouvée morte à l’auberge de jeunesse de Pleine-Fougères. Pendant que ses quatre camarades de chambre dormaient, elle a été violée puis étouffée. Comment entendez-vous parler de ce drame ?

Renaud Van Ruymbeke : Ce jour-là, je suis en voiture, je pars en vacances à Roscoff. J’allume la radio et j’entends cette histoire… sans m’y intéresser plus que ça. Je suis magistrat à la cour d’Appel de Rennes, plutôt préoccupé de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent… Je n’imagine pas que ce fait divers va occuper plus de deux ans de ma vie.

L’affaire Dickinson connaît des débuts rapides : en quelques jours, un suspect passe aux aveux…

Les enquêteurs subissaient une énorme pression de la famille, des médias… Ils se sont persuadés "de bonne foi" de tenir le coupable. Mais le PV d’audition est tout sauf convaincant ! L’homme ne dit pas comment il est entré dans l’auberge, ni d’où sortait le coton qui a servi à étouffer la victime… Après dix-sept jours de détention, il sera disculpé par son ADN.

La famille et la presse britannique se déchaînent alors contre les gendarmes français…

C’est un choc des cultures. En Angleterre, à l’époque, il y a déjà un fichier national avec 300 000 ADN. Chez nous, rien. Ils avaient des psychiatres "profiler" et n’hésitaient pas à relayer leurs appels à témoin dans des émissions de télé-réalité. Chez nous, c’était le secret. Et le culte de l’aveu. Alors quand les parents de la victime ont débarqué chez le juge de Saint-Malo avec la BBC, ça ne s’est pas bien passé.

En août 1997, vous prenez les rennes de l’instruction. Vous relancez l’enquête au point mort par une révolution : le prélèvement ADN des 480 hommes de Pleine-Fougères…

Ça ne s’est jamais fait en France. Par chance, les tests, facturés 2 000 francs (300 euros) pièce par les labos privés, seront faits gratuitement par les quatre grands laboratoires scientifiques nationaux. En deux ans, j’en ferai faire 3 000, en étendant notamment les prélèvements à tous les hommes impliqués dans une procédure judiciaire autour d’une auberge de jeunesse. Ils sont 95 à tester en priorité. Parmi eux, Arce Montes. Il ne ressemble pas au portrait-robot mais j’ai une intuition très forte. C’est ça le paradoxe : pour instruire, il faut avoir une intuition et s’en méfier.

Pourquoi vous échappe-t-il ?

On ne le localise pas car Interpol, sollicité, ne nous informe pas qu’à la même époque il est poursuivi pour viol en Espagne. En mars 2000, je quitte Rennes pour Paris, avec le sentiment d’avoir raté. Mais mon intuition était la bonne : Arce Montes sera arrêté un an plus tard. Vous savez, un juge d’instruction cherche. Il peut émettre de fausses hypothèses, avoir de fausses intuitions, partir sur de fausses pistes, mais il doit vérifier. J’ai toujours eu ça en tête, pour me guider comme pour me protéger des attaques.

Vous dites que l’affaire Boulin, la première affaire que vous ayez instruite, a également forgé votre conception du métier ?

Dans une lettre rendue publique après sa mort, Robert Boulin décrit "un juge haineux, ambitieux". Même si je mets tout ça sur son état psychologique, c’est très dur, à 27 ans, de voir son nom jeté en pâture. Ça m’interpelle très profondément : "Suis-je allé trop loin en enquêtant sur les comptes bancaires d’un ministre ?" Cela aurait pu être la fin de ma carrière, c’en a été l’acte fondateur. J’ai toujours eu horreur des privilèges, ça m’a porté. Je n’ai jamais protégé quelqu’un parce qu’il était important.

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